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Camelia Jordana

La chanteuse-sociologue, les pissotières et le patriarcat

Par Franck Mastard

Camelia Jordana est paraît-il chanteuse, ce qui, en soi prête à rire. Comme elle est célèbre, elle est donc automatiquement qualifiée pour être interrogée comme sociologue, anthropologue et philosophe par les journaux sérieux. Son dernier enregistrement doit être compris comme une œuvre : elle y professe le décolonialisme patriarcal victimaire, discipline nouvelle et prometteuse dont les adeptes sont bâillonnés, stigmatisés, réduits à ne pouvoir s’exprimer que dans la presse nationale et sur les plateaux télés.

Pour rompre ce silence tonitruant, la sociologue chantante a fourni les preuves de la culpabilité collective des mâles par jugement souverain et instantané. Il semblerait que, grâce à de récentes découvertes archéologiques issues des travaux de l’Université de Montcuq-en Quercy-Blanc (Lot), il faille étendre la méchanceté des hommes à l’ensemble de l’histoire connue, et vraisemblablement plus si affinités.

Revenons sur les points saillants de la pensée jordanesque, illustrée par ses plus belles citations, tirées de son interview dans L’Obs (15 janvier 2021).

« L’ensemble de ces chansons disent que si j’étais un homme, je demanderais pardon, je questionnerais les peurs, et je prendrais le temps de m’interroger »

Suivant l’enseignement en déconstruction patriarcale de la bacchante à la voix d’or, nous avons questionné les peurs, qui n’étaient pas contentes.

Le bilan est effectivement dramatique. À titre personnel, c’est vrai, je peux témoigner avoir indument profité des avantages patriarcaux conférés par mon ancêtre Gnourf, domicilié au 58 Grotte de Lascaux (Dordogne), qui un 23 septembre de l’année – 30 000, défonça la gueule de Gnourfette à coups de silex pour lui piquer une côtelette de bison juteuse et cuite à la perfection. Il en résulta un considérable apport protéiné qui lui conféra une supériorité physique dont je jouis encore, mon physique avantageux et ma musculature venue du paléolithique supérieur constituant un atout pour la sélection naturelle fondée sur le vol, le viol, la spoliation et le goût du barbecue. Heureusement, j’ai pris le temps de m’interroger et comme je me suis vite répondu, je m’excuse de demander pardon, mais je vous prie de bien vouloir accepter mes plus plates. Au nom de tous les salauds du steak.

Pissotières : « Est-il normal de partager la vision de son sexe avec des inconnus ? »

Par cette subtile référence au roman Clochemerle de Gabriel Chevallier qui narre l’installation d’une pissotière dans un village bourguignon en 1934, Gardénia Jordana s’inscrit dans une tradition de pensée urinaire bien française.

Là encore, nous avons questionné les peurs, qui en ont marre d’être dérangées tout le temps. Puis nous avons interrogé les pissotières, qui ont répondu en sifflotant « psssss ». Réduit à un nécessaire travail d’introspection, nous avons demandé à Popaul 1er ce qu’il en pensait. Réponse de l’intéressé: « Vous savez, moi, je viens juste pour pisser » (2021, Ma vision de la chose, Editions du Petit Chauve, p. 348). Nous nous sommes alors tournés vers les dits inconnus qui n’ont pas apprécié l’aspersion. Comme on le constate, socialement, il faut déconstruire les pissotières : mais c’est un travail considérable, quasiment miction impossible.

« Les hommes blancs sont, dans l’inconscient collectif, responsables de tous les maux de la Terre ».

Les apophtegmes jordananesques sont parfois difficiles à décrypter. Lapsus ? Incapacité à s’exprimer ? Les hommes blancs sont-ils responsables des maux de la terre en vrai ou seulement « dans l’inconscient collectif » ? L’inconscient collectif comprend-il les femmes ou aussi les hommes ? Ou alors, s’agit-il uniquement d’une incise ayant pour fonction de donner de la profondeur réflexive grâce à la vigueur d’un groupe nominal bien chiadé ? Ou alors, est-ce une vague atténuation croyant éviter de tomber sous le coup de « l’incitation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre », comme dit l’article 24 de la loi sur la liberté de la presse ? La beauté de cette pensée en éveil réside aussi dans les interstices de ses incertitudes.

« Le but est d’obtenir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. […] Pour y parvenir, nous devons interroger le masculin, ce ne peut pas être un combat exclusivement féminin, d’autant plus que le pouvoir dans notre société est patriarcal »

De toute évidence, c’est dans le domaine juridique et constitutionnel que les préceptes de la philosophie jordanale se déploient avec une la plus grande acuité sociale. L’égalité des droits entre les hommes et les femmes étant inscrite dans la constitution française, le combat de Bégonia Jordana semble promis à une victoire rapide.

Selon les conseils de l’artiste-politologue, nous avons cependant interrogé le masculin, qui rotait sa bière patriarcale et n’a pas souhaité répondre. Désemparé, nous avons entrepris de redéfinir le pouvoir dans une optique dégenrée mais c’était sans compter sur le phallogocentrisme derridien qui n’a rien voulu entendre.

Nous ne sommes qu’au début du développement de la pensée jordanalienne mais elle semble prendre son envol dans le sillage hégélien, car si « l’objet de l’esprit est de se saisir lui-même », alors Magnolia Jordana se saisit bien d’elle-même et propose la vision d’une entéléchie qui prolonge les grands combats sociaux de notre temps sans jamais céder à la tentation de faire de l’auto-promotion people bien-pensante avec des phrases creuses.

Collectif des Observateurs

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