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La facture du mépris

Le XXe siècle a découvert l’infiniment petit. Nous n’avons jamais aussi bien compris la puissance de notre cerveau. Nous savons déjà beaucoup, grâce à la biologie moléculaire, associée aux sciences cognitives, de nos immenses capacités neuronales. C’est pourtant à cet instant précis que la France a cessé d’exiger davantage de ses élèves, pour les laisser sombrer dans une étrange médiocrité.

Notre école a renoncé au par cœur, à l’étude, aux lectures complexes, à la noble langue française, à la poésie, aux langues mortes puis aux langues vivantes -hors un globish de sit-com-, à la grammaire, à l’orthographe, à la chronologie, à la géographie, au calcul mental ; même les « problèmes » de mathématiques ont été sortis du bac math à la création du bac S en 1995. Pourquoi prenons-nous nos enfants pour des imbéciles au moment où nous avons ouvert l’infini des connaissances sur nous-mêmes ?

Le paradoxe est immense. Dans les siècles aristocratiques, on demandait énormément à peu d’élèves exceptionnellement éduqués. Nos Humanistes connaissaient leur latin et leur grec à dix ou quatorze ans (outre leur Bible et leurs Classiques). L’utopie savante du XIXe siècle et les inventeurs de l’école pour tous ne se sont pas contentés d’offrir un langage minimal aux petits paysans de France -comme aux rares petits colonisés sélectionnés pour l’école- : on exigeait d’eux l’excellence des choses élémentaires (orthographe, calcul, poésie etc.), avant de sélectionner les meilleurs pour les tirer vers l’excellence secondaire, puis supérieure. Mais ce temps a cessé. Pourquoi et avec quelles conséquences ?

Pourquoi ?

Parce que nous avons jugé que le temps démocratique massifié était celui des idiots. Qu’il fallait qualifier peu pour les qualifier tous. Quand les enfants d’immigrés sont arrivés en France, dans les années 1970, nos dirigeants ont réduit les exigences, discipline par discipline, afin que ces élèves présumés faibles, puissent « s’intégrer ». Un racisme bienveillant en quelque sorte. Plus l’hétérogénéité familiale et culturelle a investi nos écoles, moins nous avons exigé, jusqu’à ce que la « fabrique du crétin » devienne un fait de société qui embrasse jusqu’aux enfants de la bourgeoisie. Le mépris de classe s’est mué en désinvolture culturelle fardée de bonnes intentions.

Avec quelles conséquences ?

Elles sont déjà immenses. La souffrance et l’impuissance de millions d’enfants et d’adolescents à qui on apprend si peu les poussent vers la violence, l’abattement, les paradis artificiels ou la délinquance. Ils ont compris qu’aucune porte ne s’ouvrira. L’impuissance est moins vive chez nos 25% de bacheliers mention très bien (200 fois plus qu’il y a un demi-siècle) : mais la plupart apprennent vite le poids du mensonge et la rouerie de leurs aînés, car là aussi, la porte est étroite. Si la France plonge dans Pisa, eux se heurtent au mur des savoirs académiques, encore debout dans certaines disciplines (déjà ciblées par l’excellent O. Faure).

Ciblés par les idéologies contemporaines du ressentiment et de l’assignation à résidence -corporelle, raciale, sexuelle…, comme s’ils n’étaient qu’un corps sans esprit-, voilà nos demi-habiles invités à se draper dans l’anti-intellectualisme. Wokisme, islamisme, radicalités de toutes sortes, néo-racialisme ou écologisme radical se disputent la rage des éconduits, des trompés et des déculturés. Des entrepreneurs politiques et religieux cyniques font leur miel de cette déroute. Mais le « sens de l’histoire » est un mythe, car nous sommes les acteurs de l’Histoire. Il arrive même parfois, que nous prenions de bonnes décisions.

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, normalien et agrégé d'histoire, est un spécialiste du Maghreb et des mondes arabo-berbères.