fbpx

« Le discours de l’écologie (dé)coloniale est une arnaque totale »

Retranscription publiée en mai 2021 sur le site Lieux Communs, de l’émission Offensive Sonore diffusée simultanément sur Radio Libertaire. Les modifications importantes ont été placées entre crochets. Pour palier à la Novlang contemporaine, les termes « décolonial » et « indigéniste » ont été retranscrits en « (dé)colonial » et « (anti)indigéniste » afin de restaurer leur sens initial – la question est abordée en cours d’émission.

On se reportera à la page-ressource « Gare à l’écologie (dé)coloniale ! », régulièrement mise à jour, pour trouver les sources des éléments ici avancés, et bien d’autres encore.

Cette émission sera évidemment si peu appréciée du Politburo de Radio Libertaire, qu’elle interdira Lieux Communs d’antenne, après avoir auparavant suspendu « Offensive sonore » pendant six mois (elle cessera ses activités un an et demi plus tard).

———

Quentin  : En réalité l’écologie (dé)coloniale est très simple à comprendre : c’est uniquement les thèses dites (dé)coloniales ou (anti)indigénistes, c’est-à-dire racialistes ou communautaristes et islamistes qui sont appliquées au domaine de l’écologie. C’est assez simple, il suffit donc d’avoir suivi un petit peu la vie politique française depuis une dizaine d’années et on voit à peu près de quoi il retourne. Ça va demander évidemment un peu plus d’attention mais globalement le principe est assez limpide. Donc, il y a une montée en puissance depuis quelques années, particulièrement depuis deux ans, depuis les municipales et on verra pourquoi, il y a une affirmation croissante de cette écologie-là dans la plupart des groupes militants, dans l’écologie officielle aussi et dans les universités. Tout cela est un sujet de préoccupation parce qu’il y a à la fois un vide du côté des écolos et une affirmation de plus en plus importante du côté de la mouvance (dé)coloniale, (anti)indigéniste, etc.
On voulait aborder les choses au fil de la conversation autour de quatre points : d’abord les acteurs (1) et puis la naissance ou la manière dont cette chose-là a pu s’affirmer (2), ensuite les thèses qui sont défendues dont on discutera un petit peu (3) et enfin, si on a le temps à la fin, discuter de l’écologie politique telle qu’elle existe et qui rend possible une telle infiltration (4).

1 – Les acteurs de l’écologie (dé)coloniale

Alors si je commence du côté des acteurs, on peut les classer en gros en quatre grands types d’acteurs et d’abord les militants (dé)coloniaux en eux-mêmes.

Les militants (dé)coloniaux et (anti)indigénistes

On les connaît, ils sont souvent à plusieurs casquettes et par exemple Fatima Ouassak qui a eu l’honneur d’avoir un article entier lui étant consacré dans le numéro de « La Décroissance » du mois de mars – article qu’on peut trouver d’ailleurs sur internet – où on lui a taillé un costard de manière assez brillante. Peut-être que tu veux en parler un peu, Cyrille ?

Cyrille  : C’est une militante indigéniste, comme on dit, elle a fait partie du Parti des Indigènes de la République (PIR) – qui s’appelait le Mouvement des Indigènes de la République à l’époque – elle a commencé sa carrière là-dedans, je ne sais pas exactement quel était son rôle. Ensuite elle a créé un collectif qui s’appelle le Front de Mères connu officiellement pour avoir milité pour des repas végétariens dans les écoles. Officiellement, c’était par rapport à l’écologie mais si on gratte un peu dans ses interviews, on voit que c’est aussi fortement parce qu’elle ne veut pas que ses enfants mangent autre chose que du halal. Donc tout ça est un peu mélangé avec elle parce qu’elle se dit que le véritable halal n’est pas vraiment possible en France, donc il faut manger végétarien. Elle va donc mélanger un peu ces discours mais surtout elle joue beaucoup sur l’ambiguïté notamment quand on voit ses liens, etc. Elle est, par exemple, la compagne de Youssef Brakni du « comité Adama » et très impliqué contre l’« islamophobie », etc. Ce sont des militants se disant anti-racistes et victimes de discrimination, qui vont mettre en avant la religion. C’est vraiment ce qu’on retrouve aussi chez Fatima Ouassak avec ce double discours prétendant que les Arabes n’ont pas le droit de parler d’écologie et seraient renvoyés à leur religion alors que c’est elle qui en parle en permanence… C’est un discours victimaire que l’on retrouve dans pas mal de positions racialistes ou islamistes qui mettent en avant un agenda religieux et en même temps quand on questionne on nous répond qu’on fait du racisme donc qu’on empêche de parler d’écologie, etc. En réalité, elle ne parle pas d’écologie réellement : elle parle surtout de « racisme » anti-musulman ou d’« islamophobie », etc. Selon les interviews, ça change, selon le contexte, et on voit que son discours est très bien rodé ce qui lui permet d’être invitée dans pas mal de forums d’écologie pour parler du lien entre l’écologie et « les quartiers », etc. Elle se présente alors comme une écologiste et puis dans d’autres forums elle va être beaucoup plus directe…
Son collectif c’est Front de Mères, mais je sais que maintenant elle évolue dans des collectifs plus proches d’Europe Écologie Les Verts (EELV).

Quentin  : Effectivement, elle a été très largement invitée à EELV, intervient dans des universités, elle est interviewée par Médiapart, dont elle est très proche, elle est aussi passée àFrance-Culture, elle a été interviewée par Le Monde, etc. Donc elle a vraiment une audience ou, comme on dit aujourd’hui, une surface médiatique assez importante alors que son discours, tu l’as très bien souligné, est très pauvre. En fait l’écologie est un prétexte et on verra que c’est vraiment le cas de toute l’écologie (dé)coloniale : l’écologie est un prétexte pour imposer des thèmes qui lui sont complètement étrangers

Rimso  : Ce qu’il faut préciser pour les auditeurs qui ne le sauraient pas, c’est que un des relais de ces pensées-là, c’est les éditions La Découverte parce que cette dame-là y a publié, même si sa pensée est assez pauvre. Le copain de « La Décroissance » qui a écrit un article sur cette femme y met des citations tirées de son bouquin La puissance des mères (2020) qui a été accepté par ce grand éditeur parisien qu’est laLa Découverte, quand même. Il y a chez eux cette peur de se couper des espaces populaires qui vont se battre contre les violences policières dans leurs quartiers, etc. parce qu’elle a tout un délire aussi autour de « on extermine nos enfants » et « la puissance des mères qui protègent leurs enfants issus de l’immigration », « la société blanche est raciste », etc. C’est son fond de commerce.

Cyrille  : Oui, c’est un discours complètement paranoïaque. C’est-à-dire, pour certains auditeurs qui habitent en banlieue, elle dit que quand on est mère en banlieue on a peur de que son enfant ne revienne pas, qu’il soit tué par la police… Franchement pour avoir vécu très longtemps dans des quartiers chauds, on a peur d’autre chose, quand on a des enfants, que de la police… Mais effectivement dans des milieux comme France Culture ça passe très bien ce genre de discours. Mais bon, c’est vraiment limite médical, c’est une paranoïa invraisemblable.

Quentin  : Il y a des chances qu’elle soit intronisée candidate pour les législatives par EELV, donc elle est quand même promise à un avenir – jusqu’à cette émission en tout cas…

Cyrille  : (Rires) On voit que l’article de La Décroissance n’a pas d’impact, qu’on ne va pas changer les choses parce qu’on est toujours dans un système où dès qu’il y a une critique sur ce genre de personne, c’est forcément émis par des gens d’extrême droite ou islamophobes, c’est-à-dire qu’aucune critique n’est possible par rapport à ces personnalités.

Quentin  : Bien sûr, il y a une clôture très rapide. Je voulais parler aussi d’un deuxième personnage : Nabil Ennasri. Alors lui, c’est un autre genre, il est plus posé et il a quand même un niveau intellectuel un peu plus important, c’est un vrai politologue très proche des frères musulmans et il a de multiples contacts. Il est notamment à l’IESH de Château Chinon qui est un centre de formation islamiste, il a écrit plusieurs livres et semble se spécialiser dans l’écologie – donc l’écologie musulmane, l’écologie islamique. Il a lui aussi droit à une audience assez importante : interviewé dans des médias musulmans, bien sûr, mais aussi à Reporterre, où il y a plusieurs articles de lui, notamment les lendemains d’attentats islamiques pour expliquer que la religion musulmane est écologique, c’est l’ambition de ces articles… Il a écrit un livre Les Sept défis capitaux [Essai à destination de la communauté musulmane de France, Sana éditions, 2014] dans lequel le dernier des défis est consacré entièrement à l’écologie. Et puis il est cofondateur et président de l’Union Française des Consommateurs Musulmans (UFCM) avec un proche de Tariq Ramadan et un autre du CCIF, donc il est vraiment au cœur de la nébuleuse islamiste française. Ils sont en train de créer un label bio halal puisque le label bio – c’est très récent – ne peut pas être décerné à cause de l’abattage rituel, de la souffrance animale qu’elle implique, donc ils ont décidé de créer une officine qui permet de labelliser avec leur propre label les produits. On a à l’intérieur de la nébuleuse islamiste des frères musulmans le développement d’une thématique autour de l’écologie qui est très forte et qui est plus que du greenwashing, qui est vraiment une préoccupation constante.

Cyrille  : C’est sincère.

Quentin  : En tout cas qui est très stratégique, qui n’est pas simplement une passade, c’est une chose qui risque de s’inscrire dans la durée. Les autres acteurs, on les connaît un peu plus c’est Danielle Obono de la La France (In)soumise (LFI) ou Esther Benbassa d’EELV qui sont invitées aussi assez souvent à des raouts de militants écologistes, dans lesquels en fait elles forcent systématiquement le lien entre l’écologie et leurs préoccupations à elles, que sont le racisme, la discrimination, les quartiers d’immigration, etc.

Les militants écologistes

Deuxième catégorie, c’est celle des militants écologistes tels qu’on les connaît nous. Là on a vu les militants (anti)indigénistes et islamistes, mais les militants écologistes sont très poreux à toutes ces thématiques parce que, comme on le disait en début d’émission, les milieux (anti)indigénistes et islamistes sont relativement restreints sociologiquement parlant, mais il y a une réceptivité assez extraordinaire du côté des militants les plus motivés, les militants de la gauche, d’EELV ou des autres un peu plus radicaux. Notamment je pense à Génération Climat qui a fait une manifestation il y a un an durant l’été aux côtés du « comité Adama » – la mafia Adama – comme le collectif Alternatiba, aussi. Il y a également le PEPS, le Parti pour une Écologie Populaire et Sociale, qui donne vraiment une très grande visibilité, des tribunes, à tous les discours indigénistes et islamistes. Il y a Reporterre aussi, c’est plus surprenant mais la revue en ligne d’Hervé Kempf, qui est très bien d’ailleurs en lui-même, est vraiment une boîte de résonance à toutes ces propos-là d’écologistes (anti)indigénistes et racialistes. Eux aussi sont en train de courir après le peuple et trouvent dans ces propos l’impression d’être en connexion avec la réalité des gens du petit peuple. Extinction Rébellion, aussi, leurs militants sont en train d’être très réceptifs aussi à ces discours-là.

L’écologie officielle

Troisième catégorie, je mettrai les écologistes officiels. Alors on a vu EELV, toutes les mairies qui ont été conquises en 2019 qui sont en train de mettre en place des politiques très conciliantes vis-à-vis des islamistes, des (anti)indigénistes, des militants communautaristes. Et ils sont invités assez régulièrement aussi dans les universités d’été, dans les revues, des interviews, etc. On a vu aussi dernièrement Greta Thunberg, donc la prophétesse de jeunes écolos, affirmer que la cause des dommages écologiques était que nous vivions dans un monde colonial, raciste et paternaliste – donc elle avalisait absolument les thèses de l’écologie (dé)coloniale. Tout ça commence aussi à avoir un écho dans les colonnes du Monde, le quotidien du soir, et montre que l’écologie (dé)coloniale n’est pas simplement un délire de quelques militants radicaux mais que ça répond à quelque chose et notamment, à mon avis, à un grand vide du côté de l’institution « écologie ».

Rimso  : Dans la sphère des militants et de la presse écologique il y a aussi le mensuel historique S !lence à travers certains de ses rédacteurs et rédactrices qui ont été sensibles à ça, à toutes ces idéologies, on pourrait dire la « Wokeculture », donc cette idéologie qui voudrait défendre la cause des minorités. Ils sont perméables à ces questions-là et ont déjà fait un dossier entier là-dessus et c’est carrément des titres historiques. Quand c’est des jeunes qui arrivent, ils essayent d’être le plus « propres » possible et font une espèce de gauchisme où il faudrait combattre toutes les causes d’oppression que subissent les minorités. Pourquoi pas ? mais dans ce cas-là on verra plus tard dans l’émission que le discours n’est pas forcément très bon

Cyrille  : Je voudrais revenir sur Alternatiba. S !lencec’est une revue vendue par correspondance qui a une audience assez forte parmi les écolos mais Alternatiba, c’est plus un forum organisé, une sorte de foire un peu fourre-tout donc je pense que quelques (dé)coloniaux qui sont venus et ont proposé ça, c’est accepté comme énormément de dossiers sur la médecine alternative, sur l’Espéranto, sur des trucs, des sujets qui ne sont pas forcément de l’écologie politique mais qui vont être accepté. C’est sans colonne vertébrale et comme l’écologie politique est tellement peu forte, elle ne peut pas voir forcément les limites et ils acceptent un peu tout ça, tout va être accepté dans ce type d’organisation ou de revues. C’est pour tempérer un peu…

Rimso  : Je pense qu’il y a quand même un conflit réel. Pour S !lence, c’est un rédacteur dans le comité de rédaction comme Guilaume Gamblin qui est à fond pour pousser ces choses-là contrairement à d’autres revues comme « La Décroissance » où leurs journalistes et leurs rédacteurs ont pu sortir des choses très intéressantes ces dernières semaines mais qui se font traiter de tous les noms et quand on voit les réactions qu’il peut y avoir si on cherche un peu sur internet par rapport aux derniers écrits de La Décroissance , ça ne passe pas. Donc il y a quand même des différences au sein des organes de presse quand même.

Cyrille  : Oui, bien sûr. Par exemple « La Décroissance » quand même a une rédaction assez claire : on lit quelques numéros du journal, on comprend dans quel dans quel type d’idée on est, mais si on va sur une manifestation type Alternatiba, on peut tomber sur des choses diverses, par exemple de l’homéopathie et à côté on va trouver des choses très islamo-gauchistes, à côté on va trouver un stand très différent… En fait c’est un peu le fourre-tout où justement les organisations de type écologique décolonial peuvent s’intégrer très facilement.

Le monde universitaire et éditorial

Quentin  : Après les militants (dé)coloniaux, les militants écolos et l’écologie officielle, je parlerais du monde universitaire et éditorial. On en a parlé un peu avec des éditions LaDécouverte qui publient notamment deux auteurs qui m’ont marqué : Pierre Charbonnier,Abondance et Liberté [2019] qui est très pénible à lire, très universitaire, énormément de références assommantes et qui, en conclusion, avalise la dérive vers l’écologie (dé)coloniale sous prétexte – on en reparlera – de sortir de la dichotomie entre l’humain et la nature, de s’ouvrir à d’autres cultures, à d’autres regards sur le monde, etc., de briser la vision du monde occidentale. Et R. Keucheyan qui a écrit La Nature est un terrain de combat je crois [La nature est un champ de bataille (2014)], où il affirme que les victimes des dommages environnementaux ce sont uniquement « les racisés »…Là ça va vraiment dans le sens du discours décolonial. Et puis du côté du Seuil, qui est quand même une institution extrêmement importante, on a la collection « Anthropocène » dirigée par Christophe Bonneuil qui lui-même a un penchant très (dé)colonial. Il a publié l’an dernier Malcom Ferdinand UneÉcologie décoloniale, un livre qui a eu énormément d’écho dans toute la presse – la presse militante, la presse officielle, la presse écologiste – et qui est une sorte de bréviaire d’écologie (dé)coloniale avec le principe sous-jacent que les problèmes écologiques sont uniquement dus à l’Occident et plus précisément sont nés avec la colonisation.
Voilà en gros le thème et les thèses qui sont défendus dans ce monde universitaire et éditorial – universitaire parce que ce dernier, M. Ferdinand est directeur de recherche au CNRS et P. Charbonnier aussi [R. Keucheyan également]. Donc là on voit que la mouvance de l’écologie « (dé)coloniale », entre guillemets – on discutera des termes, je pense – c’est quand même une chose qui a une importance relative et tout cela date [grossièrement] de trois ans, donc c’est tout de même une croissance assez importante. Ce n’est pas simplement un petit groupuscule cela va d’EELV au Monde, au Seuil, La Découverte, etc.

Rimso  : Pour concrétiser pour les auditeurs, le problème c’est que toutes ces personnes-là recodent la critique sociale sur des trucs purement ethniques et c’est ça qui pose problème et qui crée des impasses dans la pensée.

Cyrille  : On peut peut-être passer à la partie « genèse » de l’écologie (dé)coloniale ?

2 – La genèse de l’écologie (dé)coloniale

Quentin  : Ce sera rapide, j’avais noté juste quelques points pour expliquer la temporalité comme on dit.

Les élections municipales de 2019 et la déliquescence de la gauche

Assez clairement il y a un point de départ qui est 2019 : la plupart des pages web, la plupart des numéros de revues, la plupart des conférences, des propos, etc. datent de 2019, plus rarement avant. 2019 c’est évidemment les élections municipales où ce sont EELV qui ont un succès relatif – relatif parce qu’essentiellement du à l’abstention – et raflent la plupart des grandes villes de France. Il se crée à partir de là un appel d’air, parce que EELV c’est un appareil essentiellement vide, ça a toujours été un marchepied pour les oligarques, et on voit d’ailleurs, là, semaine après semaine les affaires dans toutes les mairies dirigées par les Verts, les propos complètement débiles ou au mieux maladroits des conseils municipaux ou des maires, c’est assez catastrophique. Et ce vide-là est un appel d’air évidemment, ça attire tous les gens que le pouvoir fascine et c’est évidemment le cas des (anti)indigènes, des islamistes, des racialistes. C’est en tout cas une explication.

Cyrille  : Est-ce que ce n’est pas le même type d’appel d’air qu’il y avait au moment de l’émergence de La République En Marche (LREM) ? Ce n’est pas le même genre de chose ?

Quentin  : Si c’est absolument ça. De même à propos de LFI ; il y a quelques années, ils avaient fait un tabac, ils se sont tous précipités là-bas. En fait, j’ai l’impression que c’est une mouvance qui agit un peu de manière inconsciente sur la stratégie de la terre brûlée : là où ils passent ils détruisent ce qu’ils investissent. On voit très bien avec LFI de J. -L. Mélenchon : ce n’était déjà pas très brillant – c’est du gauchisme très frelaté – mais là ils sont en train de se couler, de se saborder eux-mêmes en tenant des propos qui sont dignes des Indigènes de la République de 2005. La gauche a été grillée et maintenant c’est au tour du monde écolo, en quelque sorte…

Cyrille  : Mais donc tu analyses ça plus comme un entrisme que comme une transformation d’EELV, enfin des écologistes eux-mêmes ?

Le vide écologiste face à la montée (anti)indigéniste

Quentin  : Je pense qu’il y a les deux. Parce que là j’ai parlé d’une raison qui était assez conjoncturelle mais plus fondamentalement il y a une montée en puissance, je l’ai dit en introduction, des mouvances (anti)indigénistes et islamistes. C’est évident : il y a une radicalisation des discours, radicalisation des militants, il y a une augmentation démographique aussi – donc c’est aussi mathématique –, il y a la situation qui se dégrade dans les banlieues. Il y a vraiment une poussée de quelque chose avec, en toile de fond, ce qui se passe aux États-unis, donc une dynamique réelle en marche. Et du côté des écolos c’est exactement le contraire : on est dans l’inertie. Du côté de l’écologie, en gros, depuis 40 ans, il n’y a rien de nouveau. Ni socialement ; il n’y a pas réellement de base populaire, on sait que la base électorale des écolos sont les bobos urbains des grandes métropoles, en grande partie, alors que les préoccupations écologiques intéressent beaucoup plus de monde, mais en terme électoral c’est très très pauvre. En termes politiques, c’est une catastrophe : il n’y a pas réellement de projet de société du côté des écologistes, il y a des aménagements, il y a des réformes à faire, etc. mais il n’y a pas de vision globale, pas réellement de projet de société. Et intellectuellement, c’est complètement nul : il n’y a aucune avancée réelle, quand on voit le fond de la doctrine, tout a été dit dans les années 1970, en gros, il n’y a vraiment rien de nouveau depuis. Et cette inertie des Verts a en face une catastrophe environnementale – et sociale d’ailleurs – qui est en train de s’approfondir.
Donc inertie des verts en face d’une dynamique (anti)indigéniste et (dé)coloniale : cette rencontre-là n’est donc pas uniquement de l’infiltration, c’est, je pense, une métamorphose, comme l’extrême gauche est devenue entièrement racialiste en dix ans : entre 2010 où le discours était très marginal et aujourd’hui, on voit que toute la gauche s’est convertie à ce discours-là. Je pense que c’est ce qui est en train de se passer du côté des écolos.

Rimso  : Je voudrais préciser aussi que pour la gauche, il faut remonter au mouvement altermondialiste, les Forums Sociaux Européens où monsieur Tariq Ramadan avait été invité et peu critiqué – quelques personnes vont perturber les conférences – ils avaient réussi à s’infiltrer là-dedans. Après il y a eu à ce moment-là aussi, dans les années 2003, la deuxième guerre en Irak où certaines alliances des comités anti-guerre en Angleterre et aussi en France n’étaient pas très nets avec [leurs alliances] pour combattre le « méchant américain ». Donc ça c sont aussi des passerelles qui ont existé et qui, après, ce sont peut-être entérinées parce que des militants se sont formés en groupe un peu plus costaud comme les Indigènes de la République pour avoir de l’influence.

Cyrille  : Cette époque-là, c’est l’époque de Socialisme ParEn Bas qui sont vraiment liés à des groupes trotskistes qui avaient, au moins de manière théorique, demandé une alliance entre les islamistes et les gauchistes. Et dans leur groupe à eux, on retrouve des gens comme Danielle Obono, des gens que l’on retrouve maintenant dans ces mouvements-là. Donc c’est vrai que ça remonte à loin.

Quentin  : Tu as entièrement raison de rappeler ça, Rimso : étant donné que les écolos sont essentiellement de gauche ou gauchistes, ils ont récupéré tout cet islamo-gauchisme. C’est les vases communicants, en quelque sorte. Tout l’islamo-gauchisme qui s’est vraiment développé entre 2000 et aujourd’hui est en train de passer maintenant au monde écologiste. On se souvient d’ailleurs de José Bové qui était parti à Gaza : il y avait aussi du côté écolo, à ce moment-là, un tropisme vers l’islamisme, le proto-indigéniste qui était en train de couver, etc. On avait des discours anti-occidentaux, anti-modernité, anti-Europe, etc. C’est un terrain sur lequel évidemment ne peut que se développer les discours indigénistes.

3 – Les thèses de l’écologie (dé)coloniale

Cyrille  : On peut peut-être rentrer directement dans les thèses de l’écologie (dé)coloniale, parce qu’on tourne autour, mais on ne les a pas encore définies. Là tu parles plutôt de ce qu’on appelle le tiers-mondisme : quand on parlait de soutien à la Palestine, souvent c’est à peu près les mêmes mouvements qui sont dans le tiers-mondisme. L’idée de base c’est vraiment d’espérer que les pays du tiers-monde se rebellent contre le « méchant occidental » qui poursuit la colonisation via la néo-colonisation – on peut d’ailleurs accréditer certains des constats qu’ils font mais c’est plutôt la façon dont ils instrumentalisent les pays du tiers-monde en mythifiant les luttes, notamment palestiniennes, qui peuvent provoquer des divergences. Quand on est révolutionnaire et libertaire, par exemple, on ne peut pas être tiers-mondiste, pour moi c’est antinomique. Comment ça, ça peut se mélanger, par exemple, avec l’écologie (dé)coloniale ?

L’écologie (dé)coloniale est une trahison de l’anti-colonialisme

Quentin  : Je pense qu’il faut aller un tout petit peu plus loin. En réalité l’écologie depuis le début est décoloniale, au sens exact du terme. Depuis le début le monde des écologistes milite pour la décolonisation parce que l’écologie politique, c’est une recherche d’adéquation entre une société et un environnement, un environnement naturel au sens large, un écosystème, un milieu, et cela n’est possible que s’il y a une auto-détermination de la part du peuple : ce n’est pas possible pour un peuple qui est dominé par un autre, qui est exploité, qui n’a pas des pratiques qui sont les siennes, qui est obligé d’obtenir un rendement, obligé de se soumettre à des travaux d’aménagement du territoire, etc. Donc dès le début il y a une critique de la colonisation qui est très forte et un espoir qui est placé dans les décolonisations : on pense – je parle des années 1960-70 – on espère que les nations nouvellement décolonisées vont arriver à trouver une autre voie de développement que la voie occidentale. Donc il y a une vérité dans l’écologie (dé)coloniale mais l’écologie l’a toujours été, du moins dans l’histoire récente elle a été décoloniale, immédiatement.

Cyrille  : Il y a une différence entre être contre la colonisation et être (dé)colonial…

L’écologie (dé)coloniale est coloniale et consumériste

Quentin  : Voilà, alors là on arrive, à mon avis, au cœur du sujet, c’est-à-dire qu’on est dans l’arnaque de l’écologie (dé)coloniale. Pour tous les gens dont on a parlé là, pour toutes ces mouvances, on ne parle ni d’écologie ni de décolonisation. Fatima Ouassak se fout complètement de l’écologie, elle n’en a rien à faire, Nabil Ennasri non plus, je pense, au fond qu’il n’en a rien à faire : il n’est pas question pour eux de réduire la consommation [ou la démographie], il n’est pas question de réaménager les sociétés en vue d’une sobriété, ni d’une démocratie directe, ça me semble assez clair. Et surtout ce n’est pas décolonial au sens où les décolonisations ont déjà eu lieu. Ça c’est une chose qui est valable pour toute la mouvance (dé)coloniale, (anti)indigéniste, racialiste, etc. Ces pays sont indépendants depuis au moins un demi-siècle, l’Algérie est indépendante depuis 60 ans – c’est une chose que l’on n’entend jamais. S’il y a une écologie à faire d’un point de vue algérien, elle est à faire en Algérie. C’est en Algérie ou dans d’autres pays décolonisés qu’il faut arriver à réorienter le développement vers autre chose que les dévastations environnementales que l’on connaît et ce n’est pas du tout, évidemment, la direction que prennent les pays décolonisés et surtout pas l’Algérie.
Donc là il y a une arnaque qui est totale : les écologistes (dé)coloniaux, ses militants, sont des consuméristes et des colons. Parce que si on revient au sens des mots, un indigène c’est quelqu’un qui habite, qui vit dans le pays de ses ancêtres. Nous sommes les indigènes, c’est nous les indigènes. Cela était pointé déjà en 2005 dès l’appel des Indigènes de laRépublique, la contradiction avait été formulée notamment par J. C. Michéa qui avait écrit une page là-dessus qui était très claire et c’était absolument évident. Un indigène c’est donc quelqu’un qui vit dans le pays de ses ancêtres et un colon c’est quelqu’un qui vient dans un pays étranger et qui veut y imposer sa culture. Donc nous avons là des attitudes non pas décoloniale mais coloniale et une inversion absolue du sens des mots, que l’on voit un peu partout ; les pseudos-antiraciste à la Houria Bouteldja, etc., on s’en aperçoit, enfin le grand public est en train de s’apercevoir, que ce sont des racistes – ont dit racialistes mais ce sont des racistes. Les (anti)indigènes ne sont pas des indigènes, les (dé)coloniaux ne sont pas des décoloniaux. En fait ce sont des gens qui sont animés – on pourrait discuter des raisons – d’une haine de l’Occident, ça commence à se savoir et aussi, maintenant, des blancs. Et l’écologie est un prétexte en fait pour arriver à infiltrer les milieux et, de fait, détruire les discours, détruire l’institution.

Daman  : Est-ce que à cela les (dé)coloniaux ne répondent pas qu’il n’y a pas eu de vraie décolonisation et que de par des intérêts géopolitiques et économiques la France, par exemple, a gardé un certain monde d’intérêts et joue sur la politique intérieure de pays d’Afrique décolonisés et que, du coup, beaucoup de gens n’ont pas eu le choix que d’émigrer vers la France ?

L’écologie (dé)coloniale est un discours de fous

Quentin  : Tu as entièrement raison, c’est leur réponse systématique. Mais si tu t’y arrêtes un peu elle ne tient pas une seconde – là je renvoie à un texte sur Lieux Communs, « Immigration, écologie et décroissance », où je parle de ça, justement. Si l’Algérie, en prenant l’Algérie comme exemple, n’est pas réellement indépendante, il faut qu’elle le devienne. Donc il faut que les Algériens arrivent à se libérer de la France – mais ce n’est pas en France qu’ils feront ça. Un Ivoirien de Côte d’Ivoire s’il considère que la Côte d’Ivoire est encore la propriété de la France, il faut que la Côte d’Ivoire devienne, enfin, indépendante, donc il faut que les Ivoiriens se battent en Côte d’Ivoire pour se réapproprier leur pays, et non pas venir en France et se faire de l’argent, ce n’est pas cohérent. Ou alors, autre option, ce sont des gens qui ont immigré ici pour saboter la France afin qu’elle s’effondre et que leur pays puisse retrouver l’indépendance – mais, dans ces cas-là, ils sont pris dans une contradiction : s’ils sont ici en tant que militants « anti-France » entre guillemets, ils ne peuvent pas se plaindre du racisme, c’est impossible. Au fond, je pense que ces histoires d’(anti)indigénisme, de (dé)colonialismes, etc. c’est une folie, c’est un discours de fous, c’est complètement fou : si tu veux que ton pays soit indépendant il faut que tu restes dans ton pays et que tu te battes pour son indépendance, il n’y a pas d’autres possibilités. Durant l’occupation allemande les Français ne sont pas partis en Allemagne afin de libérer la France – ça n’a pas de sens c’est absurde. Si tu vois la révolution en Tunisie de 2011 ce sont des tunisiens en Tunisie qui ont fait la révolution ce ne sont pas les Tunisiens en France. Tu vois le mouvement du Hirak en Algérie aujourd’hui ce sont les Algériens d’Algérie qui font le Hirak, ce ne sont pas les Algériens en France.

Rimso  : Ces questions sont compliquées. Puisqu’on parlait de Côte d’Ivoire, quand certains présidents ont voulu réellement s’opposer à des choses comme le Franc CFA, ou des choses comme ça, ils ont été liquidés, mais c’est vrai que le combat est sur place. Surtout que les Français, ou d’autres, c’est pas forcément eux, si vous faites cette dichotomie Blancs / non-Blancs, Occident / pas Occident, qui pourrissent l’Afrique aujourd’hui. Il y a un relent de Françafrique comme il y a le capitalisme chinois qui vient s’accaparer des ports et des terres un peu partout. Sur le Blancs / non-Blancs aussi on peut citer les pays qui émettent le plus de CO2 par habitant : c’est des pays du golfe persique. Donc il y a aussi un truc : cet Occident, ces Blancs qui dominent le monde et qui asservissent au niveau écologique, ça ne tient qu’à moitié la route si on regarde vraiment sur ces questions purement écologiques.

L’écologie (dé)coloniale est fascinée par l’Occident

Quentin  : Tu as raison, c’est évident que lorsqu’on parle de colonisation, c’est complètement fou de parler de la France colonisatrice alors que c’est l’attitude que l’on voit aujourd’hui de la part de la Turquie, de la Chine ou de la Russie, dont il n’est jamais question. Il n’est jamais question du Tibet, il n’est plus question du Tibet en France alors que quand j’étais militant, il y a vingt ans, il y avait encore des mouvements pour la libération du Tibet – on n’en entend plus du tout parler alors c’est un processus de colonisation. On entend parler des Ouïgours, évidemment vu qu’ils sont musulmans donc ça plaît à beaucoup de gens. Il y a une focalisation sur l’Occident, uniquement. C’est un biais qui est complètement fou au sein du discours (dé)colonial et qui n’a pas de sens.
Les discours d’Houria Bouteldja, c’est comme si elle avait la nostalgie du temps des colonies, comme si elle était venue ici pour se placer exactement dans la situation du colonisé. Mais en Algérie les gens ne sont pas colonisés et s’il y a une écologie à développer en Algérie elle est à développer en Algérie. Toutes les expérimentations d’agroécologie qui ont lieu dans le Maghreb, par exemple, ce sont des gens du Maghreb qui les mènent et qui sont là-bas – je pense à la Tunisie où il y a beaucoup d’initiatives qui tentent de réformer le monde rural et c’est un travail de longue haleine, un travail au jour le jour, c’est un travail qui demande une forte implication locale et ce n’est pas depuis la France qu’on va le faire. Au sens radical l’écologie politique c’est la recherche de l’adéquation entre une société et son l’environnement et de ce point de vue-là, le discours de l’écologie (dé)coloniale n’a aucun sens

Cyrille  : On peut aussi questionner les termes aussi parce que en fait il y avait un « anti-colonialisme » jusqu’aux années 1960 durant les vraies décolonisations qui avaient lieu, ce n’était pas encore fini. Ensuite, il y a eu ensuite le « décolonial » qui, quand on recherche, vient d’Amérique Latine. Le PIR font souvent référence à l’invasion par l’Europe de l’Amérique Latine mais ils oublient l’empire Ottoman, etc., ils idéalisent un monde parfait et ne voient que l’arrivée de l’Homme Blanc qui massacre, qui colonise, etc. Donc on est dans un mythe aussi complètement délirant et ça, ça saute aux yeux. C’est ce que tu disais Rimso sur les pétromonarchies qui polluent énormément. Il y a aussi la vision de Greta Thunberg pour qui c’est l’Homme Blanc qui est méchant, comme si en enlevant l’Homme Blanc on enlèverait tout ce qui pose problème, les pollutions, etc.

L’écologie (dé)coloniale est aveugle au non-occidental

Rimso  : Là-dessus il y a des choses à dire très importantes. Dans le dernier article de monsieur Raoul Anvélot de « La Décroissance » il est dit que la colonisation est avant tout capitalistique et technicienne et due à la société industrielle. Qui, sous nos latitudes, a bénéficié de la colonisation et des bienfaits de la colonisation au niveau économique ? C’est pas forcément au départ le pékin moyen de la société française – par ricochet, oui ,mais c’était une colonisation dont les capitalistes ont bénéficié et pas que les capitalistes français, en Afrique y avait aussi la bourgeoisie libanaise. Sous nos latitudes, il y a une colonisation qui a dézingué toute la classe paysanne et qui fait donc encore des ravages aujourd’hui au niveau écologique de par notre mode de vie en France. Actuellement, oui, on en bénéficie en tant que pays développé qui la bombe nucléaire, une puissance qui est mieux placé sur les marchés, on pourrait dire que c’est tous les habitants français que ce soit des militants (dé)coloniaux ou nous-mêmes, on bénéficie de notre place privilégiée dans la consommation mondiale, quelle que soient, plus ou moins, les différences dans la société, l’écart avec les plus riches, ce sont eux qui peuvent consommer plus et sont les plus protégés d’une certaine pollution, mais…

Quentin  : …encore que les déchets nucléaires [européens], ils sont enterrés en France…

Cyrille  : Il y a toujours quand même des pays du tiers-monde qui sont utilisés comme poubelle, en tous cas c’est ce qui se dit, je ne sais pas si c’est réel…

Quentin  : C’est tout à fait vrai mais c’est une question de classe sociale à l’échelle mondiale ; il est évident que ce sont les classes les plus pauvres qui récoltent en général les déchets de la société industrielle, c’est absolument évident, mais dans tous les pays et à toutes les échelles. S’il y a bien ici une oligarchie, elle est absolument obscène dans les Émirats, obscène en Russie, en Chine, etc. Il y a un ethno-centrisme dans les discours qui trahit cette fascination pour l’Occident et c’est typiquement le discours d’un colonisé pour lequel l’Occident est responsable de tout, doit tout et peut tout, comme si, au fond, les problèmes écologiques, cela allait être l’Occident qui allait les régler ou comme s’il suffisait de renverser l’Occident pour que tout aille mieux. Évidemment ce n’est pas ça du tout, du tout… Si on veut réellement discuter du consumérisme, c’est évident que les pays développés que sont maintenant la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, etc. sont sur-consommateurs – et particulièrement l’Occident, mais il faut être clair : c’est un horizon qui est désiré, malheureusement, par la plupart des habitants de la planète, et particulièrement les immigrés. Lorsqu’on immigre, et notamment en Occident, en Europe et en France, c’est pour augmenter son niveau de vie : on ne va pas immigrer en France pour décroître. Et, très bizarrement, il n’est jamais question de décroissance pour l’écologie (dé)coloniale, et ce n’est pas étonnant du tout : ce sont les tartuffes de l’écologie.

Cyrille  : Il y a quand même des collectifs qui sont décroissants et (dé)coloniaux, ça existe… Bon des petits collectifs, après ce n’est peut-être qu’une personne derrière un site internet…

Quentin  : Moi j’ai vu un compte Twitter, effectivement, mais ça restait complètement incohérent, ça partait dans tous les sens, c’était soutien à « Adama » et pour la décroissance… Mais il suffit de faire un tour dans les cités dont proviennent plusieurs d’entre nous : la consommation là-bas est ostentatoire, c’est assez obscène. Si tu n’es pas à la hauteur en termes de fringue ou de smartphones, etc., ou si tu n’as pas l’ambition que véhiculent et vantent les clips de rap avec une belle voiture et des meufs et des billets, tu n’es rien, tu n’existes pas. C’est de ça dont il faut parler : de cette culture « populaire », entre guillemets, la culture « immigrés », qui est une culture d’arrivistes, une culture de parvenus qui ne correspond pas du tout aux prétentions de l’écologie (dé)coloniale.

L’écologie (dé)coloniale méprise les classes populaires

Cyrille  : Ça c’est vraiment une différence entre, justement, les bobos des centres-villes qui, peut-être, pour certains, la plupart du temps relève juste de l’apparence mais qui tend à une vraie écologie, les vélos, etc., et les banlieues effectivement ne sont pas du tout dans les mêmes désirs. C’est le cas des couches populaires aussi en général ; ils rêvent plus de supermarchés, de consommation que de décroissance.

Rimso  : Là, ça pose la question d’une place qui te valorise dans la société, quelle place symbolique tu as dans la société. C’est plus facile pour un urbain ou une urbaine avec un beau métier, un capital culturel, qui est valorisé et qu’on valorise, de faire des choix réfléchis en termes d’écologie et de modes de vie ou de lieux de consommation éthique et tout ce que tu veux, que quand on est dans des zones reléguées où la seule chose qui te rend visible eh bien c’est d’avoir une très belle voiture que ce soit un fils de paysan, un fils de banlieusard ou un travailleur d’usine.

Quentin  : Oui, mais ça c’est un peu facile parce que tu en train de dire que quand on est pauvre on ne peut que désirer être riche. On est quand même sur Radio Libertaire, on a derrière nous deux siècles de mouvements ouvriers qui ont été autre chose qu’un mouvement de pauvres qui voulaient devenir riches. C’était un mouvement de gens très pauvres et bien plus pauvres que la plupart des banlieues d’aujourd’hui – pardon : que toutes les banlieues françaises aujourd’hui : c’était des taudis, à l’époque, et le mouvement ouvrier a quand même institué un imaginaire d’égalité sociale et pas simplement imaginé, il l’a mis en œuvre : les mutuelles, le principe de la mutualisation, datent de là, le principe des retraites, le principe de la sécurité sociale, ils ont créé des coopératives ouvrières et ils ont inventé l’autogestion, les bibliothèques municipales ; c’était ça le mouvement ouvrier ce n’est pas du tout ce que l’on voit aujourd’hui en banlieue. Donc dire que la décroissance est un mouvement de riches privilégiés, c’est en partie vrai, mais on peut pas dire symétriquement que c’est impossible lorsqu’on est pauvre, ce n’est pas vrai historiquement et ça ne conduit à rien parce que cela veut dire qu’on ne pourra réellement décroître que lorsque tout le monde sera riche – ce qui est une contradiction dans les termes.

Cyrille  : Je pense que la culture bobo des centres-villes n’est pas décroissante…

Quentin  : Je suis bien d’accord avec toi : c’est aussi une tartufferie, c’est du paraître, c’est comme disait Bourdieu, une distinction sociale, c’est une manière de ne pas ressembler à la masse et de la surplomber. Ça je suis entièrement d’accord.

Cyrille  : Pour paraphraser Rimso : c’est sexy et chic dans les quartiers riches d’avoir le jeans déchiré, c’est beaucoup moins chic dans les quartiers pauvres où les gens peuvent avoir le jeans déchiré, mais pas pour le style…

Quentin  : En réalité les milieux écolo ne sont sensibles à toutes ces fariboles que parce qu’ils ne sont pas en contact effectivement avec la population. Il y a un divorce entre le discours écolo qui existe aujourd’hui et la réalité des peuples notamment du peuple français. Tu disais que la France profonde, les Gilets jaunes désiraient la consommation et tu as en partie raison mais, pour le coup, je crois qu’ils ont aussi un contact assez étroit avec la nature. C’est étonnant que l’on vive dans une société qui parle autant d’écologie et qui est en train de détruire le peuple paysan, notamment. Les paysans c’est la part de la population la plus en contact avec la nature – paysans, chasseurs, pêcheurs, ouvriers d’espaces verts, forestiers, etc., tous ces gens-là sont en contact très direct avec l’élément naturel mais sont congédiés du discours écolo, électoralement, sociologiquement, intellectuellement. Là-dessus il y a quelque chose qu’il faudrait vraiment arriver à creuser et qui me fait dire que l’écologie telle qu’elle existe aujourd’hui en France est entièrement idéologique, c’est un écologisme, c’est une construction virtuelle qui n’a rien à voir avec, au fond, les aspirations qui existent au sein du peuple. Je ne dis pas que les Gilets jaunes sont pour la décroissance – c’est très clair, on a fait des émissions là-dessus, c’est un des reproches que je ferais à ce mouvement c’est absolument évident : il est attaché à un niveau de vie [1]. Mais cela participe aussi à toute l’évolution d’une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus du tout, notamment le fait que l’accent est mis sur les « pauvres », entre guillemets, des banlieues, les « pauvres », entre guillemets, immigrés , etc., et tout ce discours (dé)colonial dans lequel on baigne et qui est très pénible. Les Gilets jaunes a été aussi un mouvement en réaction à ça, et je pense que les écolos ont raté à ce moment-là une reconnexion avec le peuple et pour pallier à ça, je finis là-dessus, eh bien ils ouvrent grand les portes aux (dé)coloniaux et aux (anti)indigénistes qui prétendent incarner les quartiers populaires…

Cyrille  : C’était un peu compliqué pour les écologistes puisque c’est finalement une taxe censée être écologique qui a déclenché le mouvement. C’est ce qu’on avait dit à l’époque : c’est comme si on faisait peser sur eux la responsabilité en leur disant : « c’est de votre faute ». La plupart des Gilets jaunes sont quand même assez pauvres, on leur mettait des taxes pour leur dire en plus que l’écologie c’est un peu de votre faute alors on va vous faire payer plus cher le carburant.

Quentin  : Que l’écologie soit en train de devenir un discours de domination sociale et avec l’écologie (dé)coloniale et (anti)indigéniste, une domination ethnique et religieuse, c’est vraiment ce que je vois, gros comme une maison, nous arriver dessus.

4 – Les errements de l’écologie politique contemporaine

Rimso  : J’aimerais bien qu’on pose la question de la fin de la paysannerie parce qu’actuellement il n’y a plus de paysans, ceux qui sont dans les campagnes, il y a tout un imaginaire à recréer sur la paysannerie. Tout ça, ce sont des exploités de la chaîne industrielle de distribution de denrées frelatées avec toutes les nuisances qu’il y a et c’est plutôt soit de très grandes exploitations qui s’en sortent pas trop mal, des grands patrons qui exploitent des travailleurs, parfois et même souvent immigrés – et en temps de Covid on voit les pleurs des patrons disant qu’on ne pourra pas récolter et que les fruits vont pourrir sur les arbres parce qu’on n’a plus de main d’œuvre pas chère qui vient d’Europe de l’Est ou du Maghreb… Bref c’est compliqué, on est dans une société où il y a un saccage de toute une partie de la population qui crée des déséquilibres écologiques et des pollutions énormes et on a perdu un peu la question de l’imaginaire dont on parlait tout à l’heure, le consumérisme que ce soit en banlieue ou même dans les zones les plus reculées le rêve de faire du tuning ou de la bagnole, etc. et c’est très très très présent, malheureusement.

Déconnexion d’avec le peuple et sa nature

Quentin : Tu as raison Rimso, la campagne est presque complètement industrialisée, mais il reste malgré tout un peu plus d’un demi million d’agriculteurs aujourd’hui et il y en a encore beaucoup qui tentent d’en faire une aventure humaine avec des vraies relations aux animaux, aux espèces, aux systèmes d’élevage, aux systèmes agricoles, à l’agrosystème. Il y a aussi tout un mouvement de néo ruralité. Donc c’est quelque chose qui n’est pas entièrement détruit. Je pense en tout cas que ce qui est aussi en voie d’être détruit, c’est une culture qui est propre : j’ai été dernièrement en contact avec des milieux agricoles de province, de région comme on dit, et je suis frappé par le fait qu’il n’y a que le rap et les postures de banlieue qui déteignent sur les jeunes. C’est devenu un modèle depuis plus de trente ans maintenant : le modèle du jeune est le « jeune de banlieue », entre guillemets, avec le look, avec le comportement, avec le sexisme… C’est très étonnant, mais la colonisation, elle est ici. Quand quand Serge Latouche nous parle de « décoloniser les imaginaires » – et on voit que le terme est une porte ouverte à l’écologie (dé)coloniale, c’est très étrange comme expression – cette décolonisation serait d’abord à jouer à cette échelle-là, c’est-à-dire que les jeunes de régions arrêtent de se prendre pour des jeunes des banlieues et qu’ils aient une existence symbolique. Ils n’existent nulle part. Un jeune aujourd’hui dans l’imaginaire collectif c’est un jeune de banlieue, un jeune issu de l’immigration, c’est très étrange. Les jeunes ruraux ou de la périphérie ou du péri-urbain, de la ruralité qui forment quand même plus de 60% du contingent des jeunes de moins de 25 ans, n’ont pas d’existence, comment dire, symbolique n’ont pas de ressources, ce sont des invisibles : d’où les Gilets jaunes qui ont surgi notamment lors du mouvement du même nom [1]. Donc il y a une ruralité qui n’est pas complètement morte, je pense, et, qui en tout cas, est complètement négligée de la part du discours écologiste qui vise presque uniquement à tenir un discours moralisateur et culpabilisateur auprès des agriculteurs mais aussi des pêcheurs et des forestiers, etc [2]. Il y a une coupure sociologique mais qui est politique aussi, et c’est dans ce gouffre-là, à mon avis, que s’infiltrent les discours de l’écologie (dé)coloniale, en perdant complètement les repères, en partant dans des abstractions qui n’aident absolument à rien à régler, ne règlent aucun problème. Au contraire, ils ne font que les approfondir.

Cyrille : Là on rentre justement dans les racines de l’écologisme, de l’écologie (dé)coloniale qui se retrouvent dans plusieurs croyances que l’écologisme lui-même a mis en avant.

Explication mono-causale

Quentin : Oui, je pense qu’il faut avoir ce mouvement intellectuel – que je trouve intéressant – [qui consiste à] partir des impasses dans lesquelles on est, et de remonter le fil : comment en est on arrivé là ? Par exemple c’est très simple, enfin, c’est maintenant un peu plus clair qu’il y a quelques années, à propos de la Gauche : comment est né l’islamo-gauchisme ? On peut en faire la généalogie, on en avait un peu parlé ; le prolétariat qui déçoit ; on se cherche un prolétariat de substitution : le tiers-mondisme ; etc [3]. Il faudrait que l’on fasse la même chose à propos de l’écologie : comment l’écologie politique, telle qu’elle existe depuis une cinquantaine d’années, peut aujourd’hui être aussi poreuse aux discours débiles de l’écologie (dé)coloniale ? Je pense qu’une des causes fondamentales est que l’écologie politique telle qu’elle existe s’est développée dans la matrice gauchiste, dans la matrice de gauche, c’est-à-dire avec les mêmes travers, les mêmes réflexes, les mêmes automatismes [4] et notamment dans la croyance en un facteur ultime, dans un élément qui incarnerait le Mal. Par exemple le capitalisme, on voit à gauche depuis longtemps le mot qui obsède c’est : le « capitalisme », et à toutes les questions que l’on pose, on a comme réponse : « le problème est le capitalisme ». Du côté des écolos on a d’autres variations des discours : ça peut être la société industrielle et alors tous les problèmes écologiques viennent de la société industrielle ; ou alors du développement, de la techno science ; ou de la technique et alors tous les problèmes sont attribuables à un seul facteur, unique : la technique. Ça je pense que c’est une posture religieuse : on cherche l’incarnation d’un Mal sous une figure unique et une fois que cette figure sera éliminée apparaîtra une solution miracle, elle aussi unique. C’est-à-dire qu’une fois que le capitalisme sera abattu, nous vivrons dans le communisme, ce sera le Paradis sur terre ; une fois que la société industrielle sera dépassée nous vivrons dans des rapports apaisés avec la nature ; une fois que la question de la technique sera « réglée » entre guillemets – je ne sais pas ce que ça veut dire – nous aurons un avenir écologique assuré ; etc. Ça, je pense que ce sont des positions qui sont héritées de la gauche [5] et qui dans le domaine écologique ne sont pas du tout, du tout adaptées.

Cyrille  : C’est l’idée du Grand Soir, c’est-à-dire qu’il y aura un moment où tout va basculer et où tout ira mieux. C’est ce que l’on a on retrouve dans les idéologies millénaristes , etc.

Cécité historique

Quentin  : Absolument. Lorsque l’on prend un petit peu de recul, et ça commence à se faire depuis une vingtaine d’années, on se rend compte que dans l’histoire les problèmes écologiques ont été quasiment constants [6]. Non seulement en Occident avant la colonisation, évidemment, mais aussi dans d’autres civilisations : on connaît les déboisements massifs et qui ont eu lieu en Chine aux alentours du XIe et XIIe siècle, ça avait été monumental. On connaît des empires qui se sont effondrés pour avoir dévasté leur environnement naturel…

Cyrille  : …je pensais à l’Égypte …

Quentin  : Bien sûr, mais même tout le bassin méditerranéen, par exemple : aujourd’hui on vante les mérites de la garrigue et du maquis, paysages typiquement méditerranéens, mais en fait ce sont les cicatrices de forêts qui étaient auparavant et qui ont été ravagées et par les Grecs et par les Romains et par les Perses et par les Assyriens… Le bassin mésopotamien, donc l’Irak actuel, était une plaine d’une fertilité extraordinaire – c’est là que sont nées les grandes civilisations de Sumer, d’Assyrie, etc., – et elle a été en grande partie désertifiée et aujourd’hui ce sont des plaines qui sont très peu fertiles. Lorsqu’on remonte l’histoire, il semblerait même que ce genre de catastrophes existait avant le néolithique : on sait que lorsque l’être humain a débarqué en Australie, les ancêtres des Aborigènes ont provoqué la disparition d’espèces locales qui étaient extrêmement importantes et cela s’est passé il y a quarante mille ans… Lorsque Homo sapiens est arrivé sur le continent américain, il y a douze-treize mille ans – donc les ancêtres des Amérindiens – il s’est passé exactement même chose : un massacre hallucinant et on retrouve des fossiles d’animaux qui ont entièrement disparu sur quelques centimètres montrant que durant 2-3 mille ans, il y a eu des massacres systématiques [7]. Ça c’est une réponse à mon avis très pertinente à l’écologie (dé)coloniale qui prétend [ou sous-entend] qu’avant la colonisation les peuples avaient des rapports harmonieux, de concorde, de communion avec la nature : c’est en partie faux. C’est en partie vrai ; il y a eu des rapports très intimes et très équilibrés [avec la nature] en Europe ou au Maghreb, en Chine, en Inde, etc. et il y a eu aussi les massacres, destruction et dévastation [environnementaux]. L’histoire de l’environnement est d’une complexité extraordinaire et il est difficile de donner des leçons. Le mieux est d’avoir une posture d’humilité et de tenter de trier les choses. Je suis pas en train de défendre le capitalisme, ni la société industrielle, ni la techno-science, etc. Ce que je suis en train de dire, c’est qu’on ne peut pas réduire le problème de l’écologie un facteur unique en promettant derrière, de manière implicite, une solution unique.

Absence de perspectives

Cyrille  : Surtout que ce qu’on peut remarquer dans l’idéologie (dé)coloniale, c’est qu’elle est uniquement négative il n’y a pas de penseurs, il n’y a pas une philosophie qui viendrait d’Afrique [par exemple] : c’est uniquement des gens qui critiquent la colonisation, l’esclavage, etc. mais il n’y a pas de pensée positive dans le sens où il y a très peu d’alternative au système occidental. D’ailleurs tous les ressorts idéologiques viennent en général des universités américaines, il n’y a pas de développement de pensées autonomes donc ce serait mal parti pour recréer une société qui mettrait au centre l’écologie et l’humain après des révolutions (dé)coloniales… On voit mal l’alternative…

Quentin  : La situation est la même à propos de l’islamo-gauchisme. On peut comparer l’islamo-gauchisme, par exemple, à la complaisance vis-à-vis de l’URSS ou d’autres régimes de Pol Pot, du FLN, de Castro, etc. ; c’est une complaisance envers un totalitarisme [8]. Mais au moins derrière il y avait l’idéal d’une société socialiste utopique. Le parallèle avec l’islamo-gauchisme s’arrête là parce qu’ici il n’y a rien de positif : il n’y a pas de société musulmane modèle, c’est une absurdité, ça ne fait rêver personne et sinon on irait tout simplement, on irait y vivre… Il n’en est rien. Et là, effectivement, tu as raison, on se retrouve avec l’écologie (dé)coloniale dans la même situation : c’est une critique et même une haine de l’Occident et même des Blancs, c’est une folie, c’est une haine sans solution. On dirait que la solution est dans l’anéantissement… Mais une fois que tout sera anéanti, on voit pas ce qui pourrait remplacer … Mais je crois que c’est cette haine aveugle qui leur donne une telle énergie.

Le primitivisme

Alors ceci étant dit et si on parle de véritable écologie décoloniale là pour le coup la critique ne peut pas être appliquée. On voit se développer dans le milieu écologiste un primitivisme – qui très ancien là aussi – c’est-à-dire le rêve de revenir une société pré-moderne avec des cosmogonies de type indiens d’Amazonie, Africains de brousse, etc. Notamment après le livre de Philippe Descola Part-delà nature et culture [Gallimard 2005], livre par ailleurs très intéressant, il y a beaucoup d’écolos comme à Reporterre, qui se sont mis à rêver d’adopter la mythologie des Achuars ; c’est une tribu d’Amazonie animiste dans laquelle n’y a pas de séparation entre la nature et les humains, où tout est flouté, les relations avec les éléments naturels sont équivalentes à des relations entre gens d’une famille, d’une fratrie ou de cousinage, etc. Là, on a une alternative, mais elle est complètement métaphysique, elle est absolument inapplicable [9]. Donc les écolos en sont arrivés à rêver à ça.

Cyrille  : C’est la sortie de la rationalité

Se débarrasser de la modernité

Quentin  : Complètement, absolument. Là c’est une sortie de modernité. Et alors l’écologie (dé)coloniale dont on parle aujourd’hui utilise ce tropisme primitiviste pour, de manière aussi implicite, faire rêver l’Occident à un au-delà de la modernité [10]. Mais c’est absolument vide ; il n’y a rien du tout, c’est une impasse, moi je pense que, très profondément, c’est une impasse, notamment parce que là nous parlons d’écologie politique, et que l’écologie en tant que science et la politique en tant que le domaine de la pensée exigent une séparation entre la nature et l’être humain. Peut-être que l’on en reparlera un autre jour mais ce sont des notions philosophiques qui sont importantes à mon avis. Prenez par exemple le cas de la Chine où il n’y a pas de séparation réelle entre la nature et la société, du moins de manière assez approximative, il y a un taoïsme où il y a une alternance entre deux principes, le Yin et le Yang que vous connaissez, l’homme et la femme, l’obscurité et la lumière, etc. Ça fait beaucoup rêver les écolos, une autre cosmogonie, une autre ontologie, comme disent les anthropologues, où la nature et la société ne soient pas opposés. Mais le problème est que, à partir du moment où il n’y a plus d’opposition entre la nature et la société, les questions éthiques ne vont pas se poser la même manière ; par exemple cette semaine a été annoncé la création par une équipe franco-chinoise, je crois, d’un embryon mi-humain, mi-animal…

Cyrille  : … une chimère…

Quentin  : … absolument, ce qu’on appelle une chimère. Nous, on est très choqués ; c’est quelque chose dont on n’a pas du tout envie, qu’il y ait des manipulations génétiques sur le vivant. Mais derrière cette attitude-là, qui est la nôtre, il y a un clivage entre le naturel et l’artificiel. Ce clivage-là, dans la cosmogonie chinoise, est très largement atténué ; il n’y a aucun problème, pour un Chinois, de créer des êtres hybrides aussi bien dans la robotique que dans la génétique. Mais, là-dessus, les écolos ne parlent pas, évidemment… C’est très compliqué, ce sont des histoires qui sont vraiment complexes et on ne peut pas dire qu’il faut que l’Occident arrive à sortir la modernité pour adhérer à une cosmogonie chinoise, indienne, Achuar ou je ne sais quoi. C’est une absurdité.

Évanescence de la politique

Rimso  : Tout ce que vous dites là me fait penser à un mythe, c’est un peu le retour à des pensées magiques, un état psychologique où on est tous à chercher le Paradis sur Terre, l’Éden, quitte à ce qu’ils soient réellement établit pour certains ; ça peut être la religion par exemple, pour la pensée islamiste ou autre, où on rêve à des territoires où iraient les peuples et qui seraient magnifiques… C’est vrai que ça ne tient pas du tout la route pour transformer notre quotidien, nos relations… Ce qui est important pour moi, c’est que si on veut remettre en cause des choses importantes dans notre rapport à l’écologie et au social, il faut de s’attaquer aux modes de production ; parce que si la question du travail et du comment on produit les choses n’est pas posée, on pourra toujours essayer de faire des micro-consommations différentes, essayer de combattre la démesure, etc. mais il faudrait se forger une philosophie qui nous permette aussi de faire mettre en place nos moyens de subsistance, comme on disait. On ne veut pas vivre dans des sociétés où c’est, je crois, moins de 5% de la population qui nourrit tous les autres ; forcément il y a une massification industrielle et toutes les nuisances qui vont avec. Sur la question de travail, on peut se poser la question : comment on devrait s’organiser pour produire ? Parce que si on refuse que certaines tâches soient hypra-spécifiques, que l’on extrait je ne sais pas combien de kilos de tonnes de métaux à certains endroits pour faire tourner des industries, des avions, des armées, des téléphones, des télévisions écran plat, et tout ça, c’est polluant, c’est dangereux… Peut-être qu’il faudrait que quelqu’un se dise : est-ce que moi je suis prêt à me mettre à sa place ? Là, on se dit qu’il y a une hiérarchie du travail, c’est comme ça, c’est les autres qui vont prendre, je m’en fous, je continue à me gaver… Mais évidemment il faut que l’on rende désirable aussi la question de savoir comment on s’organise et est-ce que l’on est prêts, nous, à faire, à réfléchi à ça ? Qu’est ce qu’on est prêt, nous, à faire comme boulot, ou pas ? Et qu’est-ce qu’on est prêt à faire subir à d’autres pour en bénéficier dans notre consommation ?

Quentin  : Tu as tout à fait raison. Tu renvoies en fait au projet de société. L’écologie est politique par essence, à la manière dont on l’entend ici : une politique écologique exigerait l’élaboration d’un projet de société. Mais on en est extrêmement loin, effectivement. La manière dont on produit, et qui produit et comment, mais aussi la manière dont on décide. C’est un peu la question que je pose aux décroissants ; moi, je suis pas contre la décroissance mais ils restent dans un registre de l’économique – la croissance / la décroissance – et je lis très rarement des considérations politiques sur qui produit et comment et pour qui et qui décide et comment et à quel moment et selon quel protocole [11]. C’est-à-dire qu’il n’est pas question de démocratie directe, ou très peu, ou c’est très implicite et même chose pour production. Le problème est que l’écologie – c’est ce que je disais auparavant – est très marquée par l’imaginaire de gauche et il faudrait arriver à en sortir parce que la gauche, la gauche marxiste, postule que la politique n’existe pas, en fait. Pour un marxiste, il n’y a que l’économique et la politique n’est que secondaire [par rapport] à l’économique ; donc la question de la société de demain n’a pas à se poser. Il y a très peu d’écrits de Marx qui parlent de la société communiste, c’est très allégorique, très elliptique et c’est la même chose dans la plupart des mouvements du XXe siècle ; on lit rarement des propos sur [ce que sera] la société de demain. Je pense que l’écologie devrait renouer avec la politique au sens noble, c’est-à-dire la question « quelle société on veut ? » et tenter de la décrire, non pas décrire une utopie, mais tenter de retrouver des repères, au moins et je pense qu’aujourd’hui on en est à un tel niveau de désincarnation, d’abstraction qu’on en arrive à l’écologie (dé)coloniale qui raconte n’importe quoi. Je suis d’accord avec toi ; je suis pour un retour à des questions très politiques.

Le problème est que lorsqu’on se remet à discuter de ça dans un imaginaire de gauche, on se retrouve avec les vieux découpages gauchistes qui, au font, n’ont jamais été dépassés entre les staliniens, les trotskistes, les post-mao, les insurrectionnalistes, etc. donc on retombe dans la vieille politique [12]. Ça c’est une impasse de notre époque et dans laquelle l’écologie est embourbée jusqu’aux épaules.

Une nouvelle mythologie religieuse

Pour rebondir sur ce que tu disais au tout début ; tu as entièrement en raison aussi – si j’ai bien compris – lorsque tu parles d’imaginaire religieux. Au fond l’écologie politique est un décalque de l’imaginaire gauchiste qui est lui-même, au fond, un décalque de l’imaginaire judéo-chrétien et donc dans lequel on a un peuple élu – le prolétariat –, un Paradis, une Bible – LeCapital –, un Dieu – un Dieu mauvais qui s’appelle le Capital, justement, donc le capitalisme comme l’incarnation du Diable, etc. Et on est, aujourd’hui, encore plus dans un imaginaire religieux lorsqu’on parle d’écologie : on parle du Jardin d’Éden, on parle du Déluge, on parle de l’Apocalypse, on nage réellement dans des mythes, des mythes contemporains avec la culpabilité judéo-chrétienne sur laquelle l’écologie (dé)coloniale et les (anti)indigènes jouent à fond – ce sont les Blancs qui sont coupables, « vous avez croqué la pomme, etc., donc vous êtes mauvais, il faut expier votre faute ! », c’est la repentance, etc. Ça, ce n’est pas de la politique, là, on est dans la psychothérapie, la mauvaise psychothérapie…

Peut-être pour enchaîner aussi sur quelque chose d’un peu plus précis : le terme d’« Anthropocène » a beaucoup de succès et il y a beaucoup de variations dessus, le « Capitalocène », le « Colonisanocène », le « Technocène », le « Thanatocène », etc. et là on est vraiment, pour moi, dans de la spéculation qui ne mène à rien. L’Anthropocène, je pense que les auditeurs sont au courant, c’est l’idée que depuis un siècle ou deux, nous sommes entrés dans une société industrielle où l’être humain a un impact sur le fonctionnement de la planète. Le problème est qu’on en déduit qu’avant nous n’avions aucun impact et c’est faux. Rien que l’emploi du terme, à mon avis, dénote un regard qui est faux : depuis que Homo sapiens existe – et Homo sapiens, c’est trois cent mille ans – il a un impact massif sur son environnement, il a déboisé de manière monumentale, il a créé des extinctions massives d’espèces, il semblerait même qu’il ait changé le climat deux ou trois fois… Il y a une histoire entre l’environnement et l’Homme et en ça le terme d’Anthropocène me semble réduire le problème à la question de l’Occident. Donc, là aussi, on voit que le terme qui émane du milieu écologique occidental prépare à l’offensive de l’écologie (dé)coloniale. C’est pour ça que je pense que l’écologie (dé)coloniale a malheureusement de l’avenir ; le terrain de l’écologie politique de tel qu’il existe aujourd’hui est très dévasté, il est très pauvre, très idéologique, religieux même, et il ne débouche sur rien.

Cyrille  : J’ai impressions que ça remonte encore plus loin : ça me fait penser à toutes ces histoires de mère nourricière, etc. Dans l’écologie on retrouve beaucoup de mythes, donc c’est pas forcément anti rationaliste mais il y a quand même des mythes fondateurs qui renvoient à l’image du bon sauvage. C’est-à-dire qu’il y aurait un moment dans l’humanité où on était bon, par nature et la société nous corrompt et cette société, c’est le système capitaliste et c’est l’Occident.

Quentin  : Oui, absolument. Mais ce mythe rousseauiste est présent aussi dans l’imaginaire libertaire ; il y a de ça dans l’imaginaire anarchiste qui voudrait qu’il suffirait d’abattre les systèmes d’oppression, les hiérarchies, les dominations, [les religions], etc. et il y aurait un accord entre nos désirs mutuels, il suffirait de discuter un peu et puis tout se réglerait… Ça c’est un imaginaire qui a baigné le mouvement ouvrier qui était très naïf. Malheureusement, on se rend compte que ce n’est pas comme ça que ça marche : l’être humain n’est pas fait a priori – n’a pas été conçu si jamais il a été conçu par quelque chose ! – pour vivre de manière harmonieuse ni entre les humains, ni entre l’homme et la nature. Si jamais il y a des accords, si jamais il y a des harmonies ponctuelles, si jamais il y a un établissement de relations équitables, c’est systématiquement une création, une création culturelle – et encore faut-il le vouloir. Tu as entièrement raison de dire qu’on nage en plein mythes dès qu’on parle d’écologie, mais dès qu’on parle de politique aussi. Et je crois que la pensée, un objectif de la pensée, l’objectif même de la pensée, c’est d’arriver à sortir des mythes et non pas une fois pour toutes, parce qu’on vit avec, mais arriver à penser, c’est arriver et à penser hors des mythes…

Cyrille  : … démythifier…

Quentin  : Oui, ponctuellement, mais à un moment donné, arriver à penser en dehors des mythes, en dehors de la religion, en dehors de solutions qui datent de plusieurs millénaires [13]… Et on se débat avec ça…

Entre l’écologie techno-scientiste, gestionnaire et gauchiste

Rimso  : Je voulais préciser aussi, à propos des idéologies écologistes, des mythes que ça peut véhiculer ; certains disent qu’il faut retourner à l’écologie, au fondement de l’écologie qui est une science, la science écologique. Et alors là, attention, moi je suis aussi critique du rationalisme comme il peut être mené, avec tous ce côté scientiste. Je pense qu’il faut trouver notre ligne de fuite et discuter politique et discourir sur ce que l’on veut dans la société sans tomber ou retomber dans une écologie comme science ou de l’écologie mystique.

Quentin : Oui, on est à l’intersection de plusieurs écologies. Je pense qu’il y a trois pièges dans l’écologie politique. Il y a d’abord le techno-scientisme dont tu viens de parler, croire que la science va tout résoudre. Il y a ensuite l’écologie gestionnaire, c’est-à-dire, en gros, on ne change rien à part quelques lois, on met des éoliennes en plus des centrales nucléaires, on protège les petits oiseaux, etc. Et puis l’écologie gauchiste qui est en train, je crois, de devenir l’écologie (dé)coloniale [14]. Je pense que c’est trois impasses effectivement et qu’il y aurait un chantier énorme qu’il faudrait ré-ouvrir : la pensée de l’écologie politique. C’est un chantier qui est énorme mais qu’il est urgent d’ouvrir parce qu’on va avoir un « mix » des trois : on va avoir les techno-scientistes à travers les projets de géo-ingénierie où on tente de modeler les grands cycles de la biosphère en envoyant notamment des particules dans l’atmosphère pour filtrer les rayons du soleil afin de limiter les changements climatiques, de séquestrer le carbone à l’aide de procédés artificiels, etc. ; on va avoir l’écologie gestionnaire puisqu’il ne risque pas d’avoir de révolution émancipatrice ou du moins c’est mal parti ; et puis on va avoir l’écologie (dé)coloniale puisque ce sont des dynamiques mondiales qui sont en train de se mettre en place et que l’Occident décline assez clairement. Donc on risque de se retrouver avec un régime qui prendra le pire de ces écologies politiques [15]…

Cyrille : Peut-être qu’on peut conclure là-dessus. À moins que vous ayez des choses à rajouter…

Daman  : Quentin, peut-être que tu peux rappeler un ou deux articles, des liens ou des ouvrages…

Quentin : Je peux renvoyer à la page « Gare à l’écologie (dé)coloniale ! » et aux articles de « La Décroissance » dans les deux numéros de mars et avril, qui sont très bien.

Cyrille : Celui d’avril était un numéro sur contre l’écologie (dé)coloniale, plus ou moins, avec un long un article à l’intérieur. Il y a aussi la brochure de Lieux Communs qui s’appelle Pandémie, écologie et politique.

Quentin : Et sur cette page « Gare à l’écologie (dé)coloniale ! » on a tenté de synthétiser la plupart des choses qui se sont dites ici en termes de descriptions sociologique de l’infiltration de l’écologie (dé)coloniale dans les milieux écolos, avec des renvois quelques textes.

Lieux Communs (Collectif)

Lieux Communs (Collectif)