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Accueil médical personnalisé ou communautarisme ?

Accueil médical personnalisé ou communautarisme ?

Renée Fregosi

Philosophe et politologue. Membre de Dhimmi Watch. Dernier ouvrage paru : Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs. Éditions de l’Aube, 2022

[par Renée Fregosi]

Le 7 mai 2021, Le Quotidien du médecin publiait un article intitulé « L’universalisme médical face aux poussées identitaires ». Il est significatif que la profession médicale ose évoquer désormais à voix haute des pratiques qui ont cours à bas bruit depuis quelques années déjà. Les partisans d’un humanisme universaliste se sentent semble-t-il davantage entendus et soutenus depuis que des organisations comme la LICRA sont, à l’occasion du renouvellement de leur direction, revenus à leur positionnement originel après avoir cédé un temps à la vulgate du politiquement correct communautariste. Sans doute, des mouvements comme l’Observatoire du décolonialisme ont-ils également contribué à la levée de l’omerta dans de nombreux milieux professionnels (universitaires, mais pas seulement).

La question des listes communautarisées de médecins a commencé à faire du bruit dans les médias en août 2020 lorsque le compte Twitter de Myriam Aïssatou intitulé « Globule Noir » a proposé un annuaire de soignants de couleur. Cette liste a été qualifiée de « Folie identitaire » par la LICRA et le CNOM (Conseil national de l’Ordre des médecins) a parlé de « sirènes du communautarisme et de la division ». Bien sûr, l’activiste « antiraciste » a justifié son initiative « individuelle » par ce qu’elle considère comme un racisme sinon encore « systémique » mais du moins fréquent : « ce qui est inacceptable, ce sont les mots et les gestes de certains soignants à l’égard de patientes noires » dit-elle. Appréciation soutenue par le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) dont la vice-présidente et porte-parole Thiaba Bruni affirme : « Le déni et l’impunité des propos et des actes racistes dans le milieu médical est hallucinant ».

Certes, comme le dit le Dr Juliette Tchuenbou, présidente de l’Association des médecins africains de France (AMAFF) : « que des patients aient l’impression qu’ils seront mieux pris en charge par des soignants de même origine, plus proches d’eux, c’est parfaitement légitime et c’est une évolution sociétale qui dépasse la médecine ». Et bien sûr, sauf en cas d’urgence à l’hôpital, le libre choix de son médecin par le patient doit être respecté. Au demeurant, on voit là s’ouvrir la brèche d’un communautarisme concernant le milieu médical il est vrai, au même titre (mais pas moins) que l’ensemble de la société. 

Chacun privilégiant, au détriment de toutes les autres possibles, une appartenance réelle ou fantasmatique à un groupe éthnico-culturel ou marqué d’une autre spécificité mais considéré comme « discriminé », des communautés se constituent et se referment sur elles-mêmes. Toutes les relations sociales y compris donc le lien thérapeutique comme le voisinage dans l’habitat, la camaraderie dans l’établissement scolaire et avec des collègues de travail, s’établissent et demeure au sein du groupe d’appartenance exclusif. Et cela fonctionne quelle que soit la communauté choisie comme référent. 

Ainsi, dans le milieu médical donc, plusieurs alertes ont été lancées à propos d’annuaires de médecins confessionnels pour dénoncer des « fondamentalismes religieux qui menacent notre système de santé », comme le titrait l’hebdomadaire Marianne le 14 novembre 2019. Sur Twitter, des syndicalistes tels Jérôme Marty, président de l’UFML, ou un infirmier membre du Printemps républicain, Vincent Lautard, ont alerté sur la création de l’annuaire de l’Organisation musulmane des acteurs de santé (OMAS), proche des Frères musulmans. Selon Vincent Lautard, l’organisation soutient des prises en charge « selon les règles du Coran » et promeut un obscurantisme médical : « On va aller voir un médecin qui partage ses croyances, en mélangeant pratique religieuse et exercice médical, ce qui pose problème. » La séparation des sexes notamment, s’affirmera dans le refus que les femmes soient soignées par des hommes et vice-versa.

Certes certains médecins catholiques ne sont pas reste : l’association « Choisir la Vie », qui organise des marches contre l’IVG et la loi Leonetti-Claeys, propose des formations destinées aux professionnels de santé et aux étudiants dans une optique confessionnelle évidemment. Et les évangéliques comme l’Eglise universelle du royaume de Dieu organise des séances de « rétablissement de la santé par la foi » et prône la prise en charge des orientations sexuelles, avec des risques de dérives sectaires que dénonce la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). 

Par ailleurs, d’autres répertoires ont vu le jour sur le Web à l’initiative d’associations s’affirmant féministes. Créé en 2018, le collectif Pour une MEUF (Pour une médecine engagée, unie et féministe) regroupe une centaine de soignants, beaucoup de généralistes, des sages-femmes, infirmiers et orthophonistes. Une autre île médicale s’est constituée à l’initiative de personnes en surpoids, les « gros-ses » comme les désigne plus simplement le collectif Gras Politique. Celui-ci recueille les témoignages de patients (graspolitiqueliste@gmail.com) pour blacklister sur internet les praticiens discriminants : « Soignant-es, vous êtes sur cette liste car vos usager-es ont rapporté des comportements ou des maltraitances grossophobes », explique leur site.

On peut situer les débuts de ce mouvement de médecine communautarisée lorsque des médecins gays avaient créé une association (AMG) dès 1982, alors que le sida commençait à décimer les patients homosexuels. Aujourd’hui en sommeil, l’AMG a passé le relais en 2016 au réseau des médecins gay friendly, au moment du débat sur le mariage pour tous, réagissant à un contexte d’homophobie plus ou moins latente pour proposer aux personnes LGBT un annuaire de quelque 400 professionnels. Parmi eux, le Dr Véronique Sansigolo, généraliste, précise que sa démarche est « purement amicale, sans jugement ni prosélytisme ; le réseau ne poserait problème que s’il devenait sectaire et prenait de l’extension ». 

En effet, cette réaction de solidarité et de soutien aux homosexuels réellement ostracisés au moment où le sida était considéré comme « le cancer gay » était tout à fait compréhensible et elle fut très utile à plusieurs égards. Ainsi, la pression que les associations ont mise sur les pouvoirs publics et sur les milieux scientifiques a probablement contribué à la découverte précoce du virus puis à l’accélération de la recherche sur les traitements. Mais comme tout phénomène social, la structuration du milieu homosexuel a produit aussi des effets pervers (c’est-à-dire non voulus et parfois contraires au but initial), notamment le risque d’un repli identitaire séparatiste. 

C’est ce travers qui peut être reproché sans doute à la multiplication des réseaux racialistes, religieux, sexistes et communautaristes de tout type. Le risque consiste en effet dans la sortie d’une conception universaliste de la médecine, autrement dit l’abandon d’une approche personnalisée, c’est-à-dire centrée sur la personne totale, sur l’individu unique, au profit d’une approche privilégiant la dimension collective censée définir seule le patient. Tandis que la singularité même de chacun le fait appartenir à la commune humanité des humains par-delà leur diversité, le communautarisme nie la pluralité des particularités qui nous constituent et qui en l’occurrence doivent informer le diagnostic et orienter la thérapeutique adaptée à chacun en propre. 

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