Entretien avec un Professeur fictif: toute ressemblance avec des personnes ayant existé est fortuite.
- La Sorbonne est et demeure aux yeux du public une référence pour les Humanités. Que reste-t-il aujourd’hui de cet esprit de conservatoire qui a caractérisé son histoire ?
La question du positionnement de la Sorbonne dans le contexte globalisé des études supérieures est essentielle. Aujourd’hui, les grands circuits de formation « passent pas l’étranger » et la Sorbonne, pour ne pas être ringarde, doit évidemment s’aligner sur ses concurrents les plus prestigieux en Californie et en Angleterre…
- Merci. Mais alors, la langue française dans tout ça ? C’est un pilier de la Constitution de la République (article 2) non ?
Oui sans doute. Il existe en Sorbonne une Unité de Recherche qui s’appelle « UFR de Langue française ». C’était un conservatoire de la langue dont la création remonte à 1968, au moment où – comble du conservatisme -un professeur réactionnaire mais estimable (Frédéric Deloffre) décide de réunir des enseignants pour créer un conservatoire de la langue, qui est devenu aujourd’hui une référence pour l’enseignement du français dans le monde, mais également un lieu dynamique de recherches sur la linguistique française. On y enseigne toutes les sciences issues de la linguistique, de la grammaire moderne jusqu’à la stylistique, en passant par la morphologie ou l’histoire de la langue. C’était le temps d’une école linguistique que l’on appelle le Guillaumisme, du nom d’un linguiste français renommé qui avait fondé la psycho-linguistique. Mais toutes les écoles y étaient un peu représentées. Feu Georges Molinié, président de la Sorbonne au tournant du siècle et surtout ancien élève de Frédéric Deloffre, a fondé une nouvelle discipline qui maintenant fait partie des épreuves des concours. Michel Zink y enseigna avant d’entre au Collège de France. Certes Molinié avait tendance à ne faire cours qu’au féminin: mais c’était un hommage perpétuel à l’éternel féminin. Et son ouvrage sur la pornographie, dont personne ne revendique la filiation, était d’une classe qu’on ne trouve pas dans les post-porn studies aujourd’hui.
- C’est donc un haut-lieu de la pensée du patrimoine linguistique et de la francophonie ?
On peut en douter aujourd’hui que les grandes figures de la linguistique ont déserté les lieux. Pensez par exemple que la Grammaire du français inclusif écrite par la dénommée Alpheratz est un « produit en cours de développement » lié à la rédaction d’une thèse qui n’est pas soutenue sous la direction d’un des membres de l’UFR de Langue française intitulée sobrement: Le Genre neutre en français, depuis novembre 2017.
On voit la rapidité du développement de cette recherche qui en deux ans a engendré de nombreuses chroniques de presse et de nombreux événements médiatiques mais pas encore de soutenance. On remarque d’ailleurs que sur le site d’enregistrement des thèses, l’ouvrage est enregistré sous pseudonyme – ce qui n’est pas critiquable en soi et l’on a bien le droit de s’appeler comme on veut – ce qui renforce le sentiment d’un « produit marketing » bien ficelé.
- Mais cela signifie-t-il que la Sorbonne soutient le mouvement inclusiviste et décolonial ?
On est confronté, comme dans toute la société, à des choix déterminants qui modifient profondément le rapport aux sciences et aux méthodes. Rachele Borghi par exempe a récemment été recrutée sur un poste en Géographie. Cela fait bien longtemps que la géographie n’est plus une science inhumaine des paysages et qu’elle est devenue une science de la géographie humaine (une sociologie). Et cette métonymie, ce glissement de sens est à l’origine d’un glissement de sciences.
Cette collègue est selon ses propres mots « maîtr·e de conférence en géographie à Sorbonne Université. Queer, transféministe et pornoactiviste, elle travaille à la déconstruction des normes dominantes qui se concrétisent dans les lieux et propose leur subversion ». Elle est très connue pour ses interventions qu’elle termine entièrement nue afin sans doute de « mieux déconstruire » le système. On trouve beaucoup de ses « performances scientifiques » sur le web où se mélangent remarquablement le militantisme décolonial et la science humaine…
Spécialisée en « post-porn », elle travaille à décoloniser sa discipline [1]: « Le post-porn rompt avec tous ces binarismes, afin de mettre l’accent sur la dimension politique du genre et de la sexualité et de l’extraire de la sphère privée dans laquelle elle est habituellement reléguée ». Là encore, il s’agit de détruire le repère de la différence homme-femme par la multiplicité des « genres » mis en scène pornographiquement. Dans ses conférences, elle invite son auditoire à « porter attention à « l’anus comme laboratoire de pratiques démocratiques » tout en se déshabillant progressivement…pour finir nue à la fin de sa présentation .
- Mais est-ce que c’est grave finalement que la science débouche sur le militantisme ? À quoi ça sert de faire des études si ça ne débouche pas sur une démarche militante et active pour changer le monde ?
Vous avez raison, c’est admirable et c’est exactement le sens de la démarche scientifique. Toutefois vous conviendrez qu’il ne faut pas inverser les prémisses et les conclusions: c’est parce qu’on est soi-même un chercheur (c’est-à-dire une démarche, une méthode, un observatoire, un objet et une culture de la preuve) qu’on légitime son combat. Et non l’inverse: ce n’est pas parce qu’on milite sur la base de conclusions personnelles qu’on légitime le champ de sa recherche ! On peut en discuter bien sûr: mais on ne peut le faire que dans le cadre d’une controverse, pas d’une polémique stérile. Ce qui signifie qu’il faut partager un minimum d’éléments communs, comme par exemple le fait que dans un débat scientifique, le port du vêtement n’est pas discutable…