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Les attaques sur Twitter qui ont eu lieu à la suite de la publication de cet article montrent qu’il existe deux groupes au sein d’une meute: celui des meneurs, qui possèdent une double rhétorique et celui des « suiveurs », qui n’affichent qu’un seul niveau de discours. L’un légitime l’autre.
Ils ont donc raison, il faut exploiter le corpus de la « pensée » woke. Les réactions souvent compulsives fournissent aux analystes de discours un accés non-médié aux structures profondes des manifestations de la langue dans le discours des décoloniaux. La désinhibition liée au sentiment de Kairos que procure le pseudonymat et l’urgence de déverser un sentiment d’agressivité abolissent l’ethos des chercheurs ouvrant la porte à un corpus semi-conversationnel où s’expriment les faits de langue bruts.
Corpus
Parmi les réactions, on remarque un délabrement des faits de syntaxe et de vocabulaire constant. On remarque ainsi une propension à l’apocope des mots jugés trop longs, ou souvent difficiles à dire pour quelqu’un qui se sent dans la toute puissance:
s’excuser ? -> « déso » pour « désolé », voire « désolée » ou « désolé.e »
nommer ? -> « Barbers » pour « Barbéris ».
« réacs » -> « fachos »
L’anacoluthe règne en maître: ainsi on note parfois des expressions complexes dans des textes « surveillés » (c’est-à-dire mieux écrits et signalant de la part de l’émetteur une revendication de leadership) des expressions semi-complexes dont le seul but est de connoter l’agressivité et le sous-entendu. Ainsi, on note « [qu’elle] a eu besoin de harcèlement homophobe ». Un harcèlement ne saurait être homophobe: c’est un fait d’hypallage. Dans la perspective où le discours aurait un sens, c’est éventuellement le locuteur homophobe qui pourrait harceler quelqu’un de cette manière. Mais le raccourci est un fait d’argumentation efficace puisqu’il mêle le sous-entendu agressif, l’allusion dénonciatrice et l’accusation malsaine. Le but est de créer un lien de connivence avec le groupe au détriment des lecteurs.
Beaucoup des textes du corpus sont caractérisés par des fautes de construction qu’une simple conjonction aurait permis d’éviter:
Ses publications concernent […] absolument rien sur les sujets qu’elle traite
Ces fautes sont constantes dans le corpus des autres tweets de l’auteur, ce qui nous amène à conclure qu’un tel locuteur écrit ici comme il parle sans médiation d’un recours à la culture grammaticale.
On relève également beaucoup de fautes de la part des chercheurs qui affichent ainsi une pseudo-faible maîtrise des structures grammaticales scolaires:
« que dis je » pour « que dis-je »
« Sons chef d’oeuvre » pour « Son chef-d’oeuvre »
« Sans doutes » pour « sans doute »
« citriqué » pour « critiqué »
L’argument souvent invoqué de la rapidité d’exécution et de rédaction ou l’économie des caractères ne tient pas dans les exemples cités puisqu’on voit par exemple que dans (2) l’ajout d’un tiret semi-cadratin n’aurait pas allongé le message, encore moins en (1) où l’ajout du « s » final est au contraire une gabegie d’espace. Attention, jeune galopin: grâce à nos précieux conseils plus tard tu pourras enfin écrire mieux, et plus ! Ne nous remercie pas. Mais en l’occurrence, il est aisé de voir que le locuteur maîtrise des faits de langue standard, mais qu’il affiche dans son discours une oralité feinte. C’est donc un fait rhétorique de contrefaçon dont l’enjeu est argumentatif.
De même, les barbarismes sont nombreux: « c’est pas possible » pour « c’est IMpossible » ou « ce n’est pas possible ». Le plus paradoxal restant que le même auteur peut en deux phrases faire une faute sur la négation puis l’employer proprement dans la phrase d’après. « Cette dame ne peut pas enseigner … c’est pas possible ». Ce type de disjonction discursive pourrait faire pencher l’analyse du côté de la contrefaçon: un auteur « classique » et « réac » feignant de mal parler la langue pour intégrer la meute. Ce serait d’autant plus intéressant que cela montrerait que l’idéal rhétorique dominant dans les attaques de meute serait l’illéttrisme affiché, voire revendiqué par le groupe.
On remarque quelques phénomènes de code switching impropre, comme « cette hmara » pour « cette ânesse ».
Ngram Viewer pour le mot « hmara« : très faible emploi en baisse depuis 1980, et donc peu compréhensible
On remarque quelques faits d’hypercorrection. Ainsi, un tweetos insiste sur – selon elle – la mauvaise orthographe « à priori »: elle dénote ainsi sa méconnaissance des règles du français réformé depuis 1990. Le contraste est intéressant entre d’un côté la revendication d’hypercorrection réactionnaire (« non au a avec accent ») et de l’autre, le souci d’affichage d’un enthousiasme réformiste.
La vulgarité enfin règne en maître et se caractérise par un abaissement constant du niveau de vocabulaire: « con », « hmara », « débile », « nul ».
Profil dominant
Le profil dominant du groupe est caractérisé par une disjonction permanente entre d’un côté des gens au faible vocabulaire (les menés) et des gens au discours contrefait (les meneurs) qui affichent un niveau de langue déconstruit où transparaissent des tournures de langue classique aussitôt contredite par une anacoluthe ostentatoire. Ce type de phénomène montre que la déconstruction de la langue est intégrée dans le dispositif déconstructiviste: il procède à un tour clivant qui nie d’un côté l’autorité du discours construit de l’attaquée – en faisant justement de la probité de la langue un objet-cible – et autorise le discours dégradé
Conclusion
Il faudra revenir régulièrement sur ces phénomènes de dégradation linguistique qui caractérisent un illettrisme de façade, une rhétorique déconstructiviste qui harmonise le groupe des dominants (qui possèdent la double culture de l’attaquée et de l’attaquant) et des menés, qui suivent la meute en ne possédant qu’un seul des deux discours. On retrouve là un fait de Cancel Culture « vécu de l’intérieur ».