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La chèvre, le chou et l’écriture inclusive

La chèvre, le chou et l’écriture inclusive

[par Guillaume Pronesti, modérateur du groupe FB « Non à l’imposition de l’écriture inclusive »]

On connaît la mauvaise plaisanterie jouée au mathématicien Chasles. De 1861 à 1869, le faussaire Vrain-Lucas lui vendit plus de 27 000 lettres « autographes» de Pascal, de Galilée ou de Judas (!), écrites dans un ancien français de cuisine. Chasles, pourtant un des grands noms de l’Université de l’époque, était d’une crédulité infinie. Détrompé, il eut l’imprudence de porter plainte… et toute l’affaire s’étala dans la presse, à son grand ridicule.

On sait moins que l’Académie des Sciences, à qui Chasles avait montré les lettres, débattit de leur authenticité pendant… deux ans!

En moins de quinze jours, un expert de Pascal avait pourtant conclu à des faux grossiers, à l’encre mal séchée et bourrés d’anachronisme voyants. Las, l’Académie n’en tint pas compte, refusa de clôturer le débat et laissa Chasles défendre ses fausses lettres… par d’autres fausses lettres encore moins crédibles, fabriqués dans la minute par le même faussaire.

Et cette comédie se poursuivit deux ans durant sans que personne n’ose l’interrompre, sous les rires de l’Europe entière, qui se demandait comment l’élite de la recherche française pouvait tomber si bas.

Falsification historique, idéologie… et surtout corporatisme universitaire

Imaginer soixante mandarins examiner gravement une lettre d’Aristote à Alexandre (sic!) fait sourire… mais visiblement pas assez réfléchir leurs successeurs qui, cent cinquante ans plus tard, laissent tranquillement enseigner les mensonges historiques de l’écriture inclusive.

Les deux affaires se ressemblent, déjà par le côté éhonté des falsifications. Vrain-Lucas faisait écrire en français Archimède et Hérode : Viennot, avec une poignée de citations tronquées, construit le mythe d’une «masculinisation» de toute une langue par quelques linguistes machos conspirant sans relâche du XIIIe au XXe siècle… ce qui est la définition même d’une théorie du complot. On s’attendrait à la voir classée parmi celles des Illuminatis, du QAnon, et autres machines à boucs émissaires : pas citée dans les manuels de bonne rédaction des universités.

L’idéologie joue dans les deux cas un grand rôle. Les lettres de Chasles flattaient le nationalisme des élites françaises de la fin du Second Empire : elles prouvaient que Pascal, et non Newton, avait inventé la physique moderne. Par temps de rivalité franco-anglaise, on n’allait pas y regarder à deux fois.

Pour Viennot, c’est évidemment le sacro-saint féminisme 2.0, cause jamais critiquable même quand elle dérape, sous peine de se faire mal voir de son directeur de département, de ses collègues de Gender Studies et du responsable Égalité H/F local – au fait, vous tenez vraiment à votre titularisation?

Ce qui nous ramène à l’autre facteur commun des deux histoires : l’entre-soi universitaire et la tendance à ménager ses pairs, dont on aura besoin de l’appui un jour ou l’autre. Il ne faisait pas bon se froisser avec un Chasles parvenu au faîte des honneurs (chaire de géométrie à la Sorbonne, médaille Copley) et à la fin (68 ans) d’une longue carrière où il avait semé des disciples influents partout. De là l’extrême réticence de ses camarades académiciens à reconnaître que le roi était nu.

Les chèvres-et-chou

Un siècle et demi plus tard, l’Université s’enfonce dans la même ornière – et les complaisants universitaires de Second Empire ont trouvé des successeurs très doués.
Les plus représentatifs sont trois linguistes que l’on voit rôder de commissions en plateaux de télé depuis que le sujet intéresse les médias. Faute de mieux, on les appellera ici « les chèvre-et-chou ».

Souvent engagés en politique par ailleurs, ils y ont appris l’art délicat de ménager l’un et l’autre. Dans une tribune de journal, ils sont vent debout contre l’écriture inclusive : sur une grande radio de gauche, ils approuvent ensuite ses représentants les plus ineptes…

Leur discours change selon leur public : aux anti-inclusivistes ils proposent « des armes pour lutter contre l’écriture inclusive ». Aux inclusivistes, ils expliquent doctement qu’il faut tenir compte de la nature de la langue et de la résistance des gens au changement (chiffres à l’appui), et éliminer les pratiques les plus outrancières, comme le point médian, pour faire passer tout le reste.

Pour justifier ces grands écarts continuels, ils s’appuient sur une doctrine assez singulière. Ils commencent par rejeter les théories qui fondent l’écriture inclusive… ensuite recommander l’adoption de certaines de ses graphies, comme le doublet. Drôles de gens, qui veulent couper la racine mais garder le tronc en place!

Il y a une absurdité fondamentale à dire que les théories des inclusivistes sont fausses, que le français n’est pas sexiste… pour ensuite réclamer comme eux d’imposer des réformes à la langue pour « rendre les femmes plus visibles », même si elles sont moins sévères.

Plutôt que sur une théorie du complot masculiniste comme Viennot, nos chèvre-et-chou les justifient par des représentations sociales à corriger (« les ingénieurs » fait pour des raisons historiques surtout penser à des hommes, donc il faut dire « les ingénieurs et ingénieures »).
Mais c’est toujours la même conception de la langue, vue non comme un patrimoine vivant partagé par tous, mais comme un système que l’on peut modifier par en haut à grand coup de décrets et de circulaires pour soutenir les lubies politiques du moment. C’est une idée de technocrate, et ce n’est pas un hasard si nos chèvre-et-chou sont tous des vieux habitués des ministères et des commissions diverses.

Et ils espèrent bien continuer d’y siéger. D’où le « placement produit » agressif qu’ils font sur les réseaux sociaux dans les deux camps : autopromotion éhontée, création de faux comptes qui les soutiennent, plaintes au modérateur si on ne fait pas assez leur éloge… et refus général du débat d’idées.

À la moindre question un peu précise, on est renvoyé sèchement à leur très ambigu guide (« lisez mon livre ! », « vous l’avez mal lu »), ce qui leur éviter de se mouiller. Ou l’on se fait qualifier d’« extrémiste », eux étant des « modérés » incompris. La modération, pour eux, consiste visiblement à changer de vérité suivant la situation politique du moment.

L’affaire Blanquer

Le plus révélateur fut leur comportement après la parution de la circulaire Blanquer : celle qui, sous prétexte d’interdire le point médian là où personne ne l’utilisait, impose le doublet inclusif (« les étudiants et étudiantes ») dans toute l’administration de l’Éducation Nationale.

Les « chèvre-et-chou » disaient ne recommander le doublet que «quand cela fait sens» : c’est à dire pour des professions historiquement masculines (ingénieurs, plombiers).
La circulaire l’impose partout et sans restrictions… quelle est leur réaction ?
Ils renient tranquillement leur ancienne opinion pour suivre leur ministre de tutelle…

Le matin même, l’un d’eux m’écrit carrément (je gère un groupe Facebook contre l’écriture inclusive dont il faisait partie) qu’il retire tous ses messages pour « raisons stratégiques de poste universitaire ». Sic !

Et la linguiste belge qui m’assurait ne vouloir utiliser le doublet « qu’une fois sur mille ou dix mille » trouve maintenant « très bien » la circulaire qui oblige de l’utiliser en permanence. Et se vante même d’avoir inspiré une directive équivalente dans son pays… qui promeut ouvertement un langage inclusif à peine allégé.

L’opportunisme des chèvre-et-chou, s’il leur ouvre les portes des médias et des commissions gouvernementales, commence à lasser les deux camps. A force de louvoyer en fonction des perspectives d’avancement et des possibilités de passage à l’antenne, ils finiront par ne plus avoir le respect de personne. Et comme les trop accommodants collègues du mathématicien Chasles, par se décrédibiliser, en même temps que les institutions qui leur donnent la parole. Pour la seconde fois, le roi Idéologie ira nu.

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