Sandrine Rousseau, symptôme de la crise de l’Université.
William est étudiant en L1 d’économie-gestion à l’Université de Lille. Jeudi dernier, le 23 septembre, son cours de 16h30-18h30 intitulé « Construction UE » a été annulé. William a été prévenu le matin même. C’était le cours de Mme Rousseau.
L’histoire de William et de son cours annulé est racontée dans Le Parisien, dont une journaliste a recueilli la confidence d’une collègue de Sandrine Rousseau: « Elle est fonctionnaire, elle a un service à assurer? Finalement, c’est une chance qu’elle ne donne que très peu d’heures de cours en tant que vice-présidente… » Les vice-présidents ne donnent certes que peu d’heures de cours, mais sont-ils donc payés à faire ce qui leur chante le reste de leur temps? Le militantisme peut-il se substituer au service?
Le Parisien a aussi rencontré d’anciens étudiants de Sandrine Rousseau: tous racontent, certains avec recul, d’autres avec admiration, l’orientation des cours eux-mêmes vers le militantisme. Un étudiant confie, sans doute avec un brin d’ironie: « On voyait bien que ses idées étaient hétérodoxes assumées, donc à gauche », ce qui indique que l’orthodoxie intellectuelle à l’université de Lille se trouve à droite. Une ancienne étudiante en redemande: « Je suis plus radicale que les écolos et que Sandrine Rousseau. » Mission accomplie, docteur Frankenstein!
À une très courte majorité (51,03%), les votants à la primaire écologiste ont décidé de renvoyer Sandrine Rousseau faire ses cours à la fac d’économie de Lille. C’est très injuste, comme le soulignait avant même ces résultats Alice Coffin, conseillère EELV de Paris: « Je suis assez fâchée contre les Verts. Je ne comprends pas pourquoi les écologistes n’ont pas désigné directement la candidate. Quand on a la chance d’avoir quelqu’un comme Sandrine Rousseau… » Ces propos, rapportés dans le Canard enchaîné du 29 septembre, pourraient presque servir de leçon de démocratie s’ils ne manquaient pas cruellement d’ambition: c’est contre les Français que Sandrine Rousseau serait en droit d’être fâchée. Puisqu’ils ont la chance d’avoir quelqu’un comme elle, ils devraient la désigner directement présidente, sans passer par la vieillerie rituelle d’une élection.
La démocratie, en Wokistan, ne s’encombre évidemment plus de procédures, encore moins du respect de la parole donnée. Sur France Inter, ce mercredi 29 septembre, l’économiste écoféministe a refusé, contrairement à Delphine Batho et Éric Piolle, de soutenir le candidat désigné par la primaire à laquelle elle participait, alors qu’elle s’y était auparavant engagée: « La balle est dans le camp de Yannick Jadot. On était à deux doigts de transformer le récit de la présidentielle […]. Les courbes étaient en train se croiser. À une semaine près, je gagnais ». Sandrine Rousseau semble s’intéresser au « récit de la présidentielle » plus qu’à la présidentielle elle-même: les représentations se substituent ainsi au réel, qui est une autre vieillerie à abolir d’urgence. La contingence du réel doit s’incliner devant les « courbes » qui ne sont pourtant qu’une cartographie projective. Mieux qu’une excuse de mauvaise perdante, c’est là potentiellement toute une technique (calamiteuse) de gouvernement. Et sur ce point, Sandrine Rousseau ne s’oppose en rien aux nouveaux modes de gouvernance, elle n’en est que le dernier symptôme (cf. Olivier Rey, Quand le monde s’est fait nombre, Stock, 2016).
On peut donner raison à Sandrine Rousseau sur un point: ça s’est joué effectivement « à deux doigts »: 50.000 voix wokes se sont portées sur elle, ce n’est pas rien, et cela promet pour la suite. Représentant une vague montante dans l’Université, Sandrine Rousseau est pourtant loin de faire l’unanimité à l’Université de Lille dont elle est vice-présidente depuis 2008: ses collègues les plus engagés politiquement dénoncent le radicalisme en trompe-l’œil d’une ambition personnelle. Tandis qu’elle prétend, dans l’émission « À l’air libre » de Mediapart, avoir « fait quatre mois de grève sur la LRU » et s’être « opposée à toutes les réformes de libéralisation de l’université », aucun des collègues lillois engagés dans la contestation de la LRU n’a le souvenir d’avoir vu Sandrine Rousseau aux côtés des enseignants-chercheurs mobilisés à cette époque… Personne ne se souvient non plus de prises de position publique de Sandrine Rousseau sur la fusion des universités lilloises, sur Parcoursup, sur la LPR ou d’autres dossiers chauds pour l’université.
Médiacités est allé à la rencontre de collègues de Sandrine Rousseau, ce n’est pas décevant. Fabien Desage, maître de conférences en science politique à l’Université de Lille (Libé a fait son portrait en « semeur de grèves »), ne cache pas sa colère: « Entre collègues, on est excédés et hyper énervés par l’imposture de son discours. Tout ce qu’elle a fait depuis quinze ans, c’est des compromis. Elle est solitaire, et n’a jamais soutenu les mouvements progressistes au sein de l’université. » EELV l’a échappé belle: dire qu’ils auraient pu choisir comme candidate une adepte du compromis!
Un collègue de Sandrine Rousseau à la vice-présidence de l’université se lâche auprès de Médiacités: « Durant son mandat, elle est loin d’être celle qui a pris les positions les plus radicales; ce n’est qu’une radicalité de façade. L’université ne lui sert que de marchepied. Elle a passé le mandat à essayer de faire autre chose, se portant candidate à la présidence de Sciences Po Lille puis à l’Institut régional d’administration. Depuis plusieurs semaines, elle fait une interview par jour à Paris alors qu’il y a des rentrées importantes à l’université. Tout le monde voit qu’elle n’est pas à Lille, mais personne ne se demande si elle travaille… »
Un Lillois bien informé a rédigé le CV de Sandrine Rousseau qui confirme qu’elle n’est engagée ni dans l’enseignement, ni dans la recherche, ni dans les grandes « luttes » dont l’université a été le théâtre ces dernières années, ni même dans une démarche écologique conséquente… Rousseau, c’était du toc. Elle se déclare « sorcière » depuis 2019, mais continue à siéger dans une Université scientifique d’excellence! Fausse écolo, Sandrine Rousseau est une vraie woke, car seule la fuite en avant idéologique peut lui donner un avantage sur ses rivaux: l’aura de sa « radicalité ».
L’Université est trop souvent le « marchepied » de causes qui lui sont étrangères. Par son mépris du service public de l’enseignement et de la recherche, qu’elle manifeste en consacrant davantage son énergie à ses ambitions personnelles qu’à son service de fonctionnaire, par son mépris des règles et procédures démocratiques au sein de son propre parti, par son mépris affiché de la scientificité et la rationalité auxquelles elle dit préférer les jeteuses de sorts, Sandrine Rousseau trahit une dégradation du climat moral, intellectuel, démocratique et scientifique dans les universités. Voilà pourquoi la campagne malheureuse de Sandrine Rousseau, maître de conférences et vice-présidente d’université, doit inquiéter ceux qui pensent encore que le rôle de l’université ne se réduit pas à l’action ou à l’incantation militante. William, qui est en L1, mérite mieux beaucoup mieux que cela.
H. H.