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Pap Ndiaye: le tournant idéologique

[par Xavier-Laurent Salvador. Nous reprenons ici le texte de la tribune publiée dans la Figaro le 23 mai 2022]

La nomination de Pap Ndiaye à la tête de ce ministère clé qui est celui de l’éducation nationale marque un tournant idéologique du Ministère dont il prend la charge. 

Professeur des Universités à Sciences Po, le successeur du très républicain Jean-Michel Blanquer a en effet construit sa carrière et sa notoriété sur les similitudes qui existeraient selon lui entre « la condition noire » en France (titre de son essai de 2008) et celle des Noirs américains et sur l’urgence qu’il y aurait pour la France à ouvrir les yeux sur son propre « racisme structurel », le conduisant à devenir un vecteur d’importation en France de concepts clé du décolonialisme américain  

Dans un article du Monde de 2009, on lit en effet à son sujet que longtemps, cet homme de 56 ans, né en France d’un père sénégalais et d’une mère française qui l’élèvera seule « ne s’est pas posé de questions sur son identité ». La cadette décrit un univers conforme à l’idéal républicain, expurgé des différences, a fortiori du racisme : « Nous n’avons pas été frottés à ces questions. »

Que s’est-il donc passé pour qu’en 2018, ce pur produit de la méritocratie républicaine comme il le dit lui-même, se soit retrouvé à dénonce l’ « universalisme chauvin d’homme blanc hétérosexuel » du modèle français ? Pour qu’en 2020, dans Le Monde, cette personnalité déjà très en vue du monde universitaire estime qu’« Être français, c’est encore être blanc ; être non-blanc, c’est être d’ailleurs », pourfende notre difficulté à « penser le fait d’être français indépendamment de la couleur de la peau ». Toujours dans cet article, Pap Ndiaye reprend à son compte le concept de « micro-agressions », d’importation américaine, qualifiant ces questions ou remarques faites à une personne de couleur telles que « Vous venez de quel pays ? » ou « vous parlez bien français ! ». Ce que les non initiés se contenteraient probablement de qualifier au pire de maladresses seraient, pour les nouveaux théoriciens de la race dont Pap Ndiaye adopte le prisme, une manifestation d’un phénomène bien plus grave, en l’occurrence un « ethnocentrisme blanc, ignorance ou racisme euphémisé » qui serait douloureusement ressenti par les « personnes appartenant aux minorités visibles », dans la mesure où elles feraient « partie intégrante d’une expérience de vie que seules [elles] connaissent ». En d’autres termes, on peut désormais être raciste à son corps défendant, raciste sans malveillance, raciste sans haine, voire même raciste par gentillesse.

Dans la même veine, interrogé en 2017 par Le Monde sur la question du « racisme d’Etat », Pap Ndiaye déclarait que, s’il n’y avait pas de « racisme d’État » en France, il y avait en revanche du « racisme dans l’État », « des institutions [qui] comme la police peuvent avoir des pratiques racistes ». Ainsi, pour le nouveau ministre de l’Education, les comportements racistes de certains policiers ne sont plus des délits perpétrés par des individus mais des « pratiques » adoubées par l’institution police nationale. S’exprime ici à nouveau la dénonciation par le nouveau ministre de l’Education d’un racisme inhérent à notre société sinon admis par elle.

En promouvant cette notion de « racisme structurel » ou « racisme systémique », Pap Ndiaye affirmait son adhésion à une vision décolonialiste ou post-colonialiste de la société pour laquelle, comme l’exprime l’universitaire-militante Maboula Soumahoro, la « question raciale structure tout »1 et dont l’objet principal sinon obsessionnel est la dénonciation d’une soi-disant norme occidentale, blanche et dominante qui structurerait les institutions des Etats occidentaux. 

On lit par exemple dans la littérature américaine que « Les Noirs meurent plus jeunes que les Blancs aux États-Unis vraisemblablement à cause d’un racisme systémique, qui se traduit par un manque de soins de santé »2. Dans la même veine, le 12 juillet 2021 à l’ONU, le haut commissaire Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili, s’exclamait : « Derrière le racisme systémique et la violence raciale d’aujourd’hui se cache l’absence de reconnaissance formelle des responsabilités des États »

Cette petite musique se fait entendre en France depuis plusieurs années : « Tout racisme est systémique » nous dit Norman Ajari dans sa thèse soutenue en 20143. Jacques Toubon, Défenseur des droits, avait légitimé triomphalement l’emploi de ce mot en 2019 dans une décision qui concluait : « [les] contrôles d’identité discriminatoires en France […] démontrent une discrimination systémique »4. Cette antienne qui oppose au modèle républicain du « tous égaux malgré nos différences » une vision irrémédiablement clivée de la société sur le critère essentialiste de la couleur de la peau est reprise depuis par toutes les associations de défense des victimes. Et bien sûr, surtout, cette idéologie prend une place de plus en plus importante à l’université et dans la recherche comme le démontrent les publications fournies publiées sur son site par l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires. 

Outre la police, une des cibles principales des idéologues de la race est évidemment l’école, accusée d’être le lieu où se construit la norme raciste française. Plusieurs chercheurs ont ainsi et depuis longtemps fait le lien entre le soi-disant racisme « systémique » français et l’existence d’une prétendue « ségrégation ethnique à l’école »5 (G. Felouzis) ou celle de « la discrimination systémique dans le système éducatif français » (P. Perrot). C’est dire l’importance du cadeau qu’Emmanuel Macron a choisi de faire aux décolonialistes en promouvant une de leurs partisans à la tête d’un ministère aussi essentiel pour eux. 

Confirmant sa position d’actualisateur de la pensée décoloniale américaine dans le paysage politique français, Pap Ndiaye a été également missionné avec Constance Rivière, la secrétaire générale du Défenseur des Droits Jacques Toubon cité plus haut, pour rédiger un rapport sur La diversité à l’Opéra national de Paris6. Sous leur plume, la race serait en réalité « un construit social »7 qui n’aurait rien à voir avec une appréciation de la couleur de peau. Sauf que l’intégralité du rapport tourne de manière obsédante autour de la couleur de peau des acteurs en présence : « l’Opéra national de Paris n’a encore programmé ni metteur en scène, ni livret ou composition écrits par une personne non blanche. » (p. 15); « [il faut] cesser de blanchir les peaux dans le ballet » (p. 24); « L’opéra européen était le point de vue sublime des dominants sur le monde : celui d’hommes européens blancs, au pouvoir ou proches de lui. » (p. 8) Le rapport évoque même l’article de Michaela DePrince qui raconte comment les grandes scènes internationales accueillent majoritairement des acteurs qui passent « le brown paper bag test » (seuls seraient retenus ceux dont la couleur de peau est plus claire qu’un sac en papier brun). Faut-il rappeler cette évidence qui semble avoir échappé à Pap Ndiaye et à Constance Rivière : il n’existe pas un racisme négatif, c’est-à-dire un racisme qui serait mis au service de la suprémacie blanche; et un racisme positif et plein de bonnes intentions qui utiliserait des critères racistes pour de bonnes raisons. Il existe le racisme, tout simplement, qui ne supporte aucun adjectif.

La nomination de Pap Ndiaye marque l’accession à un ministère clé d’une pensée décolonialiste en rupture totale avec l’esprit laïque et républicain incarné par son prédécesseur Jean-Michel Blanquer. Mais c’est aussi l’aboutissement logique du long calvaire souffert par l’ancien ministre star de l’Education nationale, de moins en moins soutenu par son président au cours de ces derniers mois et notamment depuis qu’il avait pourfendu l’influence de l’islamogauchisme à l’université.  En nommant Pap Ndiaye en remplacement de Jean-Michel Blanquer, Emmanuel Macron, qui était resté bien silencieux à l’époque de cette polémique, s’est exprimé aujourd’hui on ne peut plus clairement : son nouveau ministre de l’éducation considère en effet que ce problème n’existe pas…. A l’instar de tous les islamogauchistes.

Xavier-Laurent Salvador

Xavier-Laurent Salvador

Linguiste, Président du LAIC

Notes & références

  1.  Andrea Dworkin, Les Femmes de droite (Remue-ménage, 2012),

  2.  Race et Violence, Frantz Fanon à l’épreuve du post colonial (Thèse 2014)

  3.  https://www.liberation.fr/debats/2018/07/03/la-race-une-categorie-sociale_1663540/; http://apsychoserver.psych.arizona.edu/JJBAReprints/PSYC621/Smedley%20Smedley%20American%20Psychologist%202005.pdf