Read More L’ancienne secrétaire d’État aux droits de l’homme Rama Yade sur le plateau de TF1 avant de participer au journal télévisé, en avril 2016.©THOMAS SAMSON / AFPL’ancienne secrétaire d’Etat, Rama Yade, est venue au secours de Gims, après les propos polémiques du chanteur sur les pyramides de l’Egypte antique. Rama Yade a salué sa volonté de « corriger une injustice » et de « réparer les Africains dans leur dignité d’Hommes ».Les pyramides égyptiennes bénéficiaient-elles d’un réseau électrique, comme l’a affirmé Maître Gims à ses 11 millions d’abonnés ? Peut-être pas, répond prudemment l’ancienne secrétaire d’État, Rama Yade, avant de s’engager dans une véritable plaidoirie en défense. Dans une vidéo, elle suggère que les propos du rappeur, reprochant également aux historiens de cacher cette vérité[1], n’ont fait polémique qu’en raison de l’incapacité d’une partie des Français à accepter l’idée d’un leadership africain. La France ferait ainsi preuve de racisme structurel. Une accusation qu’elle avait formulée dès 2021, allant jusqu’à présenter les déboulonneurs de statues comme les véritables défenseurs de l’Histoire, de « la totalité de l’histoire qu’ils connaissent bien, eux, au moins, celle que la mémoire sélective de certains de nos dirigeants a voulu dissimuler »[2].Une histoire officielle et raciste s’emploierait donc à effacer le rôle majeurqu’a joué l’Afrique. Cette rhétorique se diffuse désormais rapidement sur les réseaux sociaux. Ainsi, l’idée que les troupes de Napoléon auraient détruit le nez du sphinx de Gizeh[3] pour effacer la preuve que le pharaon avait un nez épaté et qu’il était noir y prospère. Cette thèse s’est d’abord développée dans les milieux suprémacistes noirs, où Louis Farrakhan, par exemple, le très radical leader de Nation of Islam, déclarait : « La suprématie blanche a poussé Napoléon à souffler le nez du Sphinx parce qu’il vous rappelait trop la majesté de l’homme noir »[4]. Alors, quand pour défendre Gims, Rama Yade nous invite à relireJoseph Ki-Zerbo, le lauréat 2000 du prix Kadhafi des droits de l’Homme[5], elle nous entraîne sur le chemin de l’instrumentalisation de l’Histoire inscrite au cœur de l’afrocentrisme. Ce courant politico-intellectuel est une forme d’ethnocentrisme qui attribue une place centrale et supérieure aux Africains subsahariens aux dépens des autres cultures. Pour cela, il doit imposer son récit. L’un des premiers combats de ces activistes mémoriels va naturellement se porter sur l’Égypte. Dans l’Histoire générale de l’Afrique[6], que Rama Yade cite également, Cheikh Anta Diop, intellectuel et homme politique sénégalais, va tenter de prouver que les Égyptiens étaient en réalité noirs de peau et de type africain. Sa démonstration est si peu convaincante que, dans ce même livre, un chapitre est entièrement consacré aux nombreuses critiques formulées à l’époque par les égyptologues. Si, dès le début, cette thèse est contestée ; aujourd’hui, elle est explicitement invalidée par la science. En 2017, une équipe internationale de chercheurs est parvenue à séquencer l’ADN de 90 momies. Les résultats[7]sont sans appel : ils révèlent « des liens étroits avec les habitants du Proche-Orient de l’époque, plus qu’avec ceux de l’Afrique subsaharienne ». Mais finalement qu’importe la vérité ! L’ancienne ministre explique que sa défense de Gims concerne moins la lettre que l’esprit de ses propos. Elle ne le fait pas pour rétablir la vérité, mais pour que leurs « enfants n’aient pas à raser les murs, et qu’ils marchent la tête haute. » Il s’agit de proposer une version réparatrice, thérapeutique de l’histoire, dont l’objectif premier est d’assouvir le besoin de reconnaissance de chaque communauté. C’est pourquoi, insiste-t-elle, prétendre que les Égyptiens étaient noirs et qu’ils disposaient dès le deuxième millénaire avant notre ère de l’électricité ne méritait pas autant de quolibets, car cela a été dit avec de bonnes intentions : « Tu as juste voulu corriger une injustice, réparer les Africains dans leur dignité », finit-elle par déclarer à Gims.Rama Yade, Gims, les pyramides et la dissolution de l’universalisme français Les décolonialistes ne cherchent pas à faire découvrir les héros africains ni à transmettre les belles pages de l’Histoire du continent. Il s’agit pour eux, avant tout, de « déconstruire l’empire cognitif impérial »[8], car c’est dans ce mouvement de « réécriture de l’Afrique » que réside l’essence du « processus décolonial »[9]. C’est pourquoi ils ne vont pas s’intéresser à combler les lacunes, forcément existantes, de l’Histoire mondiale, ils vont chercher à en imposer une version alternative dans laquelle ils s’attribuent les premiers rôles. Ainsi, Mary Lefkowitz dans Not out of Africa (1996) propose les « « preuves » témoignant de la couleur noire de la peau de Socrate, de Cléopâtre et d’autres… »[10]. Les descendants d’Africains sont également invités à « apprendre à désapprendre », ce qui « implique d’oublier ce que l’on nous a appris, de se libérer des programmes de pensée qui nous sont imposés par l’éducation, la culture et l’environnement social, toujours marqués par la raison impériale occidentale »[11].La vérité, la rationalité, l’objectivité doivent s’effacer devant d’autres valeurs : l’antiracisme, la lutte contre le patriarcat, le décolonialisme… Comme nous l’avions déjà abordé dans une précédente chronique, avec le concept d’objectivité forte, Sandra Harding[12]a affirmé la primauté des objectifs de transformations sociales et politiques sur ceux de l’objectivité et de la rationalité scientifique. C’est ce même phénomène que traverse le champ des études historiques depuis le milieu des années 50. Discrédit des sciences : et si ce n’était la faute ni des jeunes ni des réseaux sociaux, mais celle des sorcières ? Dans un premier temps, avec les travaux de Joseph Ki-Sorbo et de Cheikh Anta Diop, la réécriture de l’Histoire a été mise au service d’un projet politique, celui des indépendances et de la décolonisation. Puis c’est au nom d’une forme de communautarisme que ce travail s’est perpétué. Sur le plan académique, maintenant, « tout se passe comme si chaque communauté devait avoir dit sa vérité. Le risque existe de voir se généraliser une « contre-tradition » scientifique qui ne serait plus d’inspiration universaliste, qui posséderait un discours spécifique, ses propres références, ses propres réseaux de diffusion et de vulgarisation des savoirs, son propre public, sa propre légitimité »[13], nous prévenait, dès 2010, un collectif d’universitaires dans un ouvrage sur l’afrocentrisme. Désormais, la machine s’emballe. Pour soulager les sensibilités identitaires et encourager l’estime de soi des personnes « racisées », le passé doit être corrigé, modifié. Si Netflix est capable d’adapter le casting de ses séries pour que Cléopâtre soit noire, pourquoi la vérité ne pourrait-elle pas faire de même ?[14]. Avec cette fièvre woke et ce relativisme généralisé, l’Histoire ne sera bientôt plus qu’un baume destiné à soulager les ressentis identitaires et les démangeaisons causées par de prétendues micro-agressions.
L’ancienne secrétaire d’État aux droits de l’homme Rama Yade sur le plateau de TF1 avant de participer au journal télévisé, en avril 2016.
©THOMAS SAMSON / AFP
L’ancienne secrétaire d’Etat, Rama Yade, est venue au secours de Gims, après les propos polémiques du chanteur sur les pyramides de l’Egypte antique. Rama Yade a salué sa volonté de « corriger une injustice » et de « réparer les Africains dans leur dignité d’Hommes ».
Les pyramides égyptiennes bénéficiaient-elles d’un réseau électrique, comme l’a affirmé Maître Gims à ses 11 millions d’abonnés ? Peut-être pas, répond prudemment l’ancienne secrétaire d’État, Rama Yade, avant de s’engager dans une véritable plaidoirie en défense. Dans une vidéo, elle suggère que les propos du rappeur, reprochant également aux historiens de cacher cette vérité[1], n’ont fait polémique qu’en raison de l’incapacité d’une partie des Français à accepter l’idée d’un leadership africain. La France ferait ainsi preuve de racisme structurel. Une accusation qu’elle avait formulée dès 2021, allant jusqu’à présenter les déboulonneurs de statues comme les véritables défenseurs de l’Histoire, de « la totalité de l’histoire qu’ils connaissent bien, eux, au moins, celle que la mémoire sélective de certains de nos dirigeants a voulu dissimuler »[2].
Une histoire officielle et raciste s’emploierait donc à effacer le rôle majeurqu’a joué l’Afrique. Cette rhétorique se diffuse désormais rapidement sur les réseaux sociaux. Ainsi, l’idée que les troupes de Napoléon auraient détruit le nez du sphinx de Gizeh[3] pour effacer la preuve que le pharaon avait un nez épaté et qu’il était noir y prospère. Cette thèse s’est d’abord développée dans les milieux suprémacistes noirs, où Louis Farrakhan, par exemple, le très radical leader de Nation of Islam, déclarait : « La suprématie blanche a poussé Napoléon à souffler le nez du Sphinx parce qu’il vous rappelait trop la majesté de l’homme noir »[4]. Alors, quand pour défendre Gims, Rama Yade nous invite à relireJoseph Ki-Zerbo, le lauréat 2000 du prix Kadhafi des droits de l’Homme[5], elle nous entraîne sur le chemin de l’instrumentalisation de l’Histoire inscrite au cœur de l’afrocentrisme. Ce courant politico-intellectuel est une forme d’ethnocentrisme qui attribue une place centrale et supérieure aux Africains subsahariens aux dépens des autres cultures. Pour cela, il doit imposer son récit. L’un des premiers combats de ces activistes mémoriels va naturellement se porter sur l’Égypte. Dans l’Histoire générale de l’Afrique[6], que Rama Yade cite également, Cheikh Anta Diop, intellectuel et homme politique sénégalais, va tenter de prouver que les Égyptiens étaient en réalité noirs de peau et de type africain. Sa démonstration est si peu convaincante que, dans ce même livre, un chapitre est entièrement consacré aux nombreuses critiques formulées à l’époque par les égyptologues. Si, dès le début, cette thèse est contestée ; aujourd’hui, elle est explicitement invalidée par la science. En 2017, une équipe internationale de chercheurs est parvenue à séquencer l’ADN de 90 momies. Les résultats[7]sont sans appel : ils révèlent « des liens étroits avec les habitants du Proche-Orient de l’époque, plus qu’avec ceux de l’Afrique subsaharienne ». Mais finalement qu’importe la vérité ! L’ancienne ministre explique que sa défense de Gims concerne moins la lettre que l’esprit de ses propos. Elle ne le fait pas pour rétablir la vérité, mais pour que leurs « enfants n’aient pas à raser les murs, et qu’ils marchent la tête haute. » Il s’agit de proposer une version réparatrice, thérapeutique de l’histoire, dont l’objectif premier est d’assouvir le besoin de reconnaissance de chaque communauté. C’est pourquoi, insiste-t-elle, prétendre que les Égyptiens étaient noirs et qu’ils disposaient dès le deuxième millénaire avant notre ère de l’électricité ne méritait pas autant de quolibets, car cela a été dit avec de bonnes intentions : « Tu as juste voulu corriger une injustice, réparer les Africains dans leur dignité », finit-elle par déclarer à Gims.
Rama Yade, Gims, les pyramides et la dissolution de l’universalisme français
Les décolonialistes ne cherchent pas à faire découvrir les héros africains ni à transmettre les belles pages de l’Histoire du continent. Il s’agit pour eux, avant tout, de « déconstruire l’empire cognitif impérial »[8], car c’est dans ce mouvement de « réécriture de l’Afrique » que réside l’essence du « processus décolonial »[9]. C’est pourquoi ils ne vont pas s’intéresser à combler les lacunes, forcément existantes, de l’Histoire mondiale, ils vont chercher à en imposer une version alternative dans laquelle ils s’attribuent les premiers rôles. Ainsi, Mary Lefkowitz dans Not out of Africa (1996) propose les « « preuves » témoignant de la couleur noire de la peau de Socrate, de Cléopâtre et d’autres… »[10]. Les descendants d’Africains sont également invités à « apprendre à désapprendre », ce qui « implique d’oublier ce que l’on nous a appris, de se libérer des programmes de pensée qui nous sont imposés par l’éducation, la culture et l’environnement social, toujours marqués par la raison impériale occidentale »[11].
La vérité, la rationalité, l’objectivité doivent s’effacer devant d’autres valeurs : l’antiracisme, la lutte contre le patriarcat, le décolonialisme… Comme nous l’avions déjà abordé dans une précédente chronique, avec le concept d’objectivité forte, Sandra Harding[12]a affirmé la primauté des objectifs de transformations sociales et politiques sur ceux de l’objectivité et de la rationalité scientifique. C’est ce même phénomène que traverse le champ des études historiques depuis le milieu des années 50.
Dans un premier temps, avec les travaux de Joseph Ki-Sorbo et de Cheikh Anta Diop, la réécriture de l’Histoire a été mise au service d’un projet politique, celui des indépendances et de la décolonisation. Puis c’est au nom d’une forme de communautarisme que ce travail s’est perpétué. Sur le plan académique, maintenant, « tout se passe comme si chaque communauté devait avoir dit sa vérité. Le risque existe de voir se généraliser une « contre-tradition » scientifique qui ne serait plus d’inspiration universaliste, qui posséderait un discours spécifique, ses propres références, ses propres réseaux de diffusion et de vulgarisation des savoirs, son propre public, sa propre légitimité »[13], nous prévenait, dès 2010, un collectif d’universitaires dans un ouvrage sur l’afrocentrisme. Désormais, la machine s’emballe. Pour soulager les sensibilités identitaires et encourager l’estime de soi des personnes « racisées », le passé doit être corrigé, modifié. Si Netflix est capable d’adapter le casting de ses séries pour que Cléopâtre soit noire, pourquoi la vérité ne pourrait-elle pas faire de même ?[14]. Avec cette fièvre woke et ce relativisme généralisé, l’Histoire ne sera bientôt plus qu’un baume destiné à soulager les ressentis identitaires et les démangeaisons causées par de prétendues micro-agressions.
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