Comment l’imam Iquioussen a contribué à l’«édification islamique» d’une génération

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Comment l’imam Iquioussen a contribué à l’«édification islamique» d’une génération

Collectif

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Comment l’imam Iquioussen a contribué à l’«édification islamique» d’une génération

Nous reprenons le texte de l’interview par Alexandre Devecchio publiée dans le FigaroVox du 03/08/2022 à 19:16

ENTRETIEN – Bernard Rougier, directeur du Centre des études arabes et orientales, revient sur le parcours de l’imam Hassan Iquioussen. Selon lui, le prédicateur, dont Gérald Darmanin souhaite l’expulsion, a joué un rôle considérable dans la réislamisation de nombreux jeunes musulmans.

Bernard Rougier est également professeur à l’université Sorbonne Nouvelle – Paris-III et a dirigé l’ouvrage collectif «Les Territoires conquis de l’islamisme» (PUF, 2021, 368 p., 23 €).


LE FIGARO. – Qui est Hassan Iquioussen?

Bernard ROUGIER. – Originaire du Souss, au Maroc, né en France, à Denain dans la banlieue de Valenciennes, âgé de 58 ans, Hassan Iquioussen correspond à une figure très répandue dans le milieu de l’islam militant européen, celle d’un prédicateur charismatique qui a su conquérir une légitimité islamique en captant un public jeune, à la fois dans le monde virtuel des réseaux sociaux, avec des milliers d’abonnés sur sa page Facebook et sa chaîne YouTube (plus de 150.000) et dans le monde physique des quartiers.

Depuis une vingtaine d’années, il a multiplié les conférences dans les mosquées du nord de la France – le lieu de son implantation -, en Île-de-France et en Belgique, où, encore plus connu qu’en France, il était régulièrement invité dans les instituts islamiques et les amphithéâtres de Bruxelles, y compris dans la très catholique Université Saint-Louis. À l’époque, dans les années 2008-2010, il faisait la «deuxième partie» des conférences de Tariq Ramadan, dont il était proche et qui lui garantissait un public nombreux. Il a aussi été un invité récurrent du salon du Bourget, organisé tous les ans à la période de Pâques par l’UOIF, devenue depuis 2017 Musulmans de France, d’orientation et d’identité frériste.

Hassan Iquioussen a joué un rôle considérable dans l’«édification islamique» d’une génération aujourd’hui âgée d’une quarantaine d’années, dont il a accompagné la formation en qualité de guide et conseiller spirituel. Il a donné à son public une forte conscience communautaire par la politisation de son appartenance religieuse. Il diffuse ainsi une sorte de culture générale islamiste, comme d’autres l’avaient fait avant lui au Moyen-Orient et au Maghreb. C’est aussi un entrepreneur avisé, qui possède un impressionnant parc immobilier qui lui assure un train de vie aisé. Bénéficiant de l’aura de leur père, et, surtout, de sa force électorale, ses fils, dont l’un est prédicateur, ont aussi intégré le système politique local à Denain, dans les Hauts-de-France, selon un mécanisme d’entrisme hélas de plus en plus pratiqué par les élus locaux.

Est-il islamiste?

La réponse est évidemment positive – lui-même d’ailleurs ne s’en cache guère et fait la promotion de la Turquie d’Erdogan chaque fois qu’il y a des tensions avec l’Europe. Version idéologique et politisée de l’islam, l’islamisme veut transformer une tradition religieuse en instrument de pouvoir et de contrôle, notamment au moyen de la production de normes contraignantes. Pour le prédicateur nordiste, «l’islam est la solution» au «désordre planétaire» car «le monde est géré par des gens qui sont sans foi ni loi. Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde est dû à l’absence de l’islam: les musulmans ne tiennent plus les rênes!» (extrait d’un prêche de juin 2014 dans sa mosquée de Lourches dans le Valenciennois). Iquioussen s’identifie au courant des Frères musulmans et se veut le défenseur inconditionnel de son plus éminent représentant, le cheikh égypto-qatari Youssef al-Qaradawi, connu dans tout le monde arabe grâce à l’émission «La Charia et la Vie», longtemps diffusée sur la chaîne qatarie al-Jazeera.

Jusqu’où va ce soutien au cheikh al-Qaradawi?

Pour Iquioussen, «tous ceux qui combattent al-Qaradawi sont les alliés des ennemis de l’islam, sont des alliés des despotes et des tyrans qui gèrent le monde musulman» (extrait d’une conférence donnée il y a une dizaine d’années). Le cheikh nordiste ne désavoue pas les principales positions publiques d’al-Qaradawi: mise à mort des mécréants sortis de l’islam («murtaddin») qualifiés par lui de «traîtres à la communauté», dénonciation des accords d’Oslo, légitimation des opérations suicides pendant la deuxième Intifada, y compris quand les victimes israéliennes sont des civils non combattants -une solution également applicable aux civils américains en Irak après l’occupation du pays en 2003.

Quand Iquioussen explique, dans une conférence prononcée au début du conflit syrien, que «les chiites sont maintenant, de manière claire et nette, nos ennemis» pour tenter d’expliquer les affrontements en Irak et en Syrie, il s’inscrit – et inscrit ses auditeurs -, dans une guerre confessionnelle généralisée qui donne une dimension théologique et essentialiste à des conflits moyen-orientaux de nature politique. J’ai pu constater lors d’entretiens la réalité d’un «patriotisme communautaire sunnite» inimaginable en France il y a une vingtaine d’années.

Iquioussen a-t-il un positionnement politique?

Hassan Iquioussen cherche explicitement à créer un «lobby politique musulman» et à structurer un «vote communautaire musulman» dont le but est de faire pression sur les pouvoirs publics – à la manière, dit-il, des homosexuels qui ont imposé la loi sur le mariage pour tous. La priorité pour lui est de réislamiser les jeunes musulmans pour les «sortir de la drogue» et en faire des adhérents à sa vision collective et autoritaire de l’islam.

En matière de politique municipale, Iquioussen a posté une vidéo en 2014 intitulée Débat sur le vote: halal (autorisé) ou haram (interdit), chirk (associationnisme) ou intérêt général?, où il explique «comment garantir à M. le Maire les 853 voix des fidèles de la mosquée» pour structurer un électorat musulman. Selon lui, la méthode est simple. Il faut voir le maire et lui dire: «La dernière fois, vous avez gagné avec 50 voix. Je vous en offre 853. Il fait quoi le maire? Il fait des génuflexions et des prosternations!»

Quel est le rapport entre la loi séparatisme et cet arrêté d’expulsion?

L’arrêté d’expulsion s’inscrit dans l’esprit de la loi confortant le respect des principes républicains – dite loi sur le séparatisme – votée le 24 août 2021 visant en l’espèce à sanctionner un prédicateur islamiste pour «incitation à la haine». Selon les explications données à l’Assemblée nationale par le ministre de l’Intérieur mardi 2 août, Hassan Iquioussen, quoique né en France en 1964, aurait refusé l’obtention de la nationalité française à sa majorité, ce qui l’oblige à renouveler son titre de séjour tous les dix ans. Au mois de mai, la commission départementale avait refusé ce renouvellement, sans doute en raison de l’activisme de l’intéressé.

Comment analysez-vous les réactions de solidarité en faveur d’Iquioussen et la pétition signée par une vingtaine de mosquées des Hauts-de-France?

Ceux qui réagissent aujourd’hui sont les mêmes que ceux qui avaient fait campagne contre le vote de la loi séparatisme en dénonçant l’avènement d’une «islamophobie d’État» menaçant la liberté d’expression.

Soutenu par les sympathisants décoloniaux et islamo-gauchistes, qui voient dans la politique du gouvernement un héritage néocolonial, le réseau frériste se mobilise pour défendre l’une de ses figures emblématiques, en s’aidant de relais institutionnels et médiatiques en Europe et aux États-Unis. Une cagnotte a même été créée à cet effet, ce qui est indécent au regard des moyens matériels de l’intéressé.

Quelle leçon plus générale peut-on tirer de la séquence actuelle?

En termes de philosophie politique, la loi sur le séparatisme renforce le versant républicain de la démocratie française, après le développement accéléré de son versant libéral, sous l’influence de la jurisprudence européenne. Ce versant libéral ne cesse d’être exploité par des forces peu libérales pour miner par un travail de fond la dimension républicaine de l’État – la reconnaissance d’un bien commun par l’identification du citoyen avec la République. À ce titre, la loi sépare l’ordre du croire – le théologique – , de l’ordre du faire – le normatif -, pour libérer les musulmans des risques d’une emprise islamiste sur leur tradition. Nos compatriotes musulmans doivent pouvoir, au nom de leur foi (ou de leur absence de foi), soumettre celle-ci, plus riche et plurielle que ce qu’en disent les islamistes, à un droit d’inventaire. Loin d’être liberticide, la loi m’apparaît plutôt comme la traduction législative de la manifestation de masse du 11 janvier 2015, après le massacre de la rédaction de Charlie hebdo. Elle prend acte du lien entre le haut du spectre – l’action terrorisme – et le bas du spectre – a prédication de rupture, qui cherche à opposer les musulmans au reste du monde.

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