« Quand la conviction est faite d’avance,
à quoi bon des discussions ou des débats ? »
Eschine, au procès de Timarque
Eh bien ! À la question posée par Nathalie Heinich, Le wokisme serait-il un totalitarisme ?, on peut répondre « Oui ! » On se souvient peut-être du cas de ce principal québécois qui a fini par se suicider après les horreurs déversées sur son compte par une excitée de l’antiracisme façon woke. Plus près de nous est le cas de ce journaliste de Télérama révélé sur le site de Factuel où cette nouvelle a été diffusée : le journal a mis à contribution, il y a quelques années, le « cabinet » Egaé, dirigé par Caroline De Haas, pour débusquer en son sein les sexistes et autres agresseurs présumés coupables. Ces dames sont allées fouiller les poubelles, tenir pour vraies des dénonciations anonymes autant que farfelues, susciter les confidences, non seulement de celles qui auraient à se plaindre mais aussi de leurs collègues qui ont vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, allant jusqu’à enquêter sur la vie sexuelle de sa grand-mère.
C’est aujourd’hui un étudiant de Sciences Po de vingt ans, Pablo Ladam, qui nous raconte la folie qui s’est emparée de son école dans sa lutte contre les « violences sexistes et sexuelles ». Il le fait dans un texte de grande qualité, Terreur violette, qu’il faut absolument lire et que nous espérons tous voir publier rapidement. Nous avions vu dans les journaux la terreur que font régner les étudiants activistes propalestiniens sur les campus de Paris et de province1 ; mais la terreur que fait régner un comité illégal dirigé contre les VSS était passée sous les radars. Il a fallu que cet étudiant raconte sa propre aventure, son éviction de toutes les activités sociales de l’école pour que cette terreur soit connue. Pablo Ladam écrit très bien, analyse avec pertinence les tenants et les aboutissants des persécutions qu’il a vécues – et que bien d’autres de ses condisciples ont vécues.
Des milices se sont ainsi constituées dans tous les domaines, celui de l’université, celui du spectacle ou de la politique ; croyant faire régner la justice, elles marquent au fer rouge innocents et coupables, privés des moyens de se défendre, désignés à la vindicte populaire et ostracisés sans ménagement. Nous voici revenus à l’Athènes du IVe siècle, celle des sycophantes, celle où Eschine parvint à faire condamner Timarque sans apporter la moindre preuve. Encore y eut-il procès ! Les lettres de cachet sont de retour, délivrées non par le roi, mais par un patriarcat en jupons auto-investi d’une mission purificatrice. Le stalinisme au quotidien… Bien avant la Convention européenne des droits de l’homme, les constituants de 1791 avaient établi que nul ne pouvait être condamné sans jugement par un tribunal indépendant, reprenant ainsi les principes de l’habeas corpus que les Anglais avaient établis un siècle auparavant.
Juste un point sur lequel je voudrais insister : cette milice autoconstituée, la Cellule d’enquêtes internes préalables, traque la vie privée des étudiants sur de simples dénonciations. Composée exclusivement de femmes, dont beaucoup sont d’anciennes militantes féministes, agissant hors de tout cadre légal et n’instruisant qu’à charge, jouant à la fois le rôle d’instructeur, d’enquêteur, de procureur et de juge, elle est présidée par une conseillère d’État.
Quelle est donc la formation juridique des conseillers d’État, qui ne semblent pas connaître les principes élémentaires du Droit ?