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La démagogie au service du patriarcat (islamiste)

La démagogie au service du patriarcat (islamiste)

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, normalien et agrégé d'histoire, est un spécialiste du Maghreb et des mondes arabo-berbères.

Dans une tribune à RFI, un politologue nommé  Alain Policar, membre du Conseil des sages de la laïcité, en appelle à une application tolérante et au cas par cas de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école, en l’espèce le voile islamique —, autrement dit à sa neutralisation : une loi tolérante sur le feu rouge reviendrait de même à « abolir » les feux de circulation au profit des plus gros véhicules, comme cela se fait de facto en Égypte ou ailleurs.

Quelques heures après que la petite Samara de Montpellier a été battue jusqu’au coma devant son collège — avec traumatisme crânien —, parce que sa coiffure ne plaisait pas à une fille voilée qui la traita de mécréante, fallait-il se fendre d’une telle lâcheté ? Laquelle se reportait en fait initialement au lycée de Paris dont le proviseur a été contraint de partir en retraite anticipée (en français, de démissionner) à la suite du mensonge d’une élève illégalement voilée dans son propre lycée.

La collégienne de Montpellier, Samara, osait venir depuis une semaine à son collège de la Paillade en cheveux teints, ce qui lui valut d’après sa mère des crachats quotidiens, destinés à la faire rentrer dans le rang salafiste : tenue discrète et morne au collège, revoilement dès la sortie et dans la rue, tenue informe pour cacher son corps supposément affriolant de jeune fille, absence de maquillage et de tout vêtement à même d’attirer le regard d’un homme, dont on présuppose qu’il ne sait pas calmer ses instincts prédateurs devant une gamine. Samara a eu de « la chance ». Devant le lycée français d’Alger en 1989, comme dans certaines villes de l’Angleterre d’aujourd’hui, ce sont des jets d’acide qui visent les membres nus des jeunes filles en cheveux et en jupe, afin de les rappeler à la loi patriarcale du voilement.

Il faudrait payer un billet d’avion à notre politologue pour qu’il se rende en Tunisie, où — en dépit de la salafisation ponctuelle et de l’apparition du voile intégral — il pourrait voir que dans ce pays musulman la majorité des femmes se promènent sans voile dans l’espace public, parce que la loi égalitaire de Bourguiba, que les Tunisiens ont plébiscitée en 2014 lors du vote de la nouvelle constitution, impose un ordre égalitaire à la société. Le voile est possible, mais il n’est porté que par les femmes les plus pauvres et les plus religieuses ; dans ce pays, l’émancipation individuelle et l’ascension sociale, qui sont les objectifs d’une république moderne, passent notamment par le dévoilement et la liberté des femmes. Telle n’est plus la situation des banlieues de l’islam en France, quand y règne l’ordre patriarcal des Frères musulmans et des salafistes, et que des nervis le font respecter à coup d’insultes (pute, « qahba ») — et je sais par mes filles et leurs amies que ces insultes quotidiennes sont déversées bien au-delà des seules musulmanes d’apparence, selon les mots mêmes de ces cracheurs de rue —, de crachats, voire de coups de tête et de balayettes, ainsi que le décrit la sociologue Sabrina Medjaber, qui vivait déjà cela dans une banlieue française lors de son adolescence avant l’arrivée de la loi de 2004. C’était il y a vingt ans.

Que notre politologue, qui ne doit pas avoir beaucoup d’élèves ni d’étudiants, et qui semble se rendre assez peu dans les quartiers où prédomine le voile islamique dans l’espace public, sache que le voile n’est que rarement un choix — quelles que soient les dénégations officielles —, parce que les populations et cultures dont il parle sont, dans les classes populaires tout au moins, astreintes à une vie communautaire et collective qui ne fait aucun cas des aspirations individuelles. Elle leur impose bien au contraire des normes collectives dont le voile et le contrôle du corps des femmes par invisibilisation, claustration, mariage et relations tolérées ou imposées sont les impératifs catégoriques. Qu’il lise ou relise Le Harem et les cousins, de l’anthropologue panthéonisée Germaine Tillion, pour savoir de qui et de quoi il parle.

On aurait pu attendre d’un « sage de la laïcité » qu’il soit effondré face à la morne chronique de la vie des établissements scolaires sous contrôle des islamistes pendant ce mois de ramadan 2024, qui pousse manifestement certains zélotes de l’islamisme à surréagir, mais c’est l’inverse qui se produit. Ce n’est pas le patriarcat le plus antiféministe que selon lui il faudrait combattre, c’est l’ordre républicain qu’il faudrait un peu plus dévoyer. L’histoire ne sert manifestement à rien, après des décennies de prosélytisme islamiste vendu dans les médias par de jeunes bourgeoises provocatrices (promotrices du Hijab day à Sciences Po par exemple), qui dorment bien tranquilles dans leur quartier cossu, ou par des agents stipendiés par les dollars de Qatar qui ruissellent — comme nous l’avons vu jusqu’au sommet du Parlement européen. La seule réponse de tant de Républicains et de tant d’Européens, avachis par une histoire qu’ils ne parviennent pas à digérer, est d’avilir toujours plus nos principes, ce qui serait sans conséquences si cela ne brisait pas la vie ni la liberté de centaines de milliers de nos concitoyennes — à supposer que les citoyens soient indemnes de telles lâchetés et de leurs effets.

On aurait pu attendre que, révolté par tant d’acharnement à piétiner nos lois (l’an passé, il y avait jusqu’à 200 abayas dans un seul établissement scolaire de la région lyonnaise, et cette année, 6 professeurs en moyenne sont menacés chaque jour avec des armes par destination), le ci-devant « sage » de la laïcité veuille mettre toutes les mineures de France à l’abris du voile islamique, voire toutes les usagères des services publics de l’éducation et de l’Université, mais c’est l’inverse qui s’est produit : puisque nous avons du mal à faire appliquer la loi, renonçons-y ! Pas officiellement, mais avec « discernement ». Notre politologue n’a manifestement pas bien compris à qui il a affaire. Sauf s’il considère que le patriarcat tant honni par nos jeunes femmes doit régner en maître sur les couches populaires des banlieues de France. Auquel cas, sa place au Conseil de la laïcité n’est plus justifiée, et le ministère de l’Éducation nationale — qui l’a nommé à ce poste — s’honorerait en exigeant sa démission. Une femme libre en prise avec le XXIe siècle le remplacerait avec profit.

Pierre Vermeren, Président du conseil scientifique du LAIC.

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