Qui ne se souvient de Giordano Bruno, de Galileo Galilei et de quelques autres que la postérité n’a pas retenus ? Le premier fut brûlé en place publique, le second assigné à résidence, les autres, probablement, ne connurent pas un meilleur sort. Leur tort à tous, avoir émis des propositions scientifiques qui n’avaient pas l’heur de s’ajuster aux convictions religieuses des autorités ecclésiastiques et à la lettre transcrite de leur dogme.
Eh bien, en 2023, le même scénario se rejoue Outre-Atlantique. L’American Anthropological Association (AAA) et la Société canadienne d’anthropologie (CASCA) ont annulé une session de leur conférence annuelle qui devait examiner la question de savoir « Pourquoi le sexe biologique reste une catégorie analytique nécessaire en anthropologie ? » Le motif invoqué par les autorités décisionnaires, je vous le donne en mille : cela aurait heurté la sensibilité de certains des leurs et « port[é] préjudice aux membres représentés par les trans et les LGBTQI de la communauté anthropologique ainsi qu’à la communauté dans son ensemble. »
Eh oui, la science aujourd’hui, comme aux XVIe et XVIIe siècles, doit se couler dans la religieuse croyance et respecter la délicate sensibilité de la communauté qui en a fait son article de foi. Esprit des Lumières es-tu encore là ?
Cela aurait pu être une plaisante pantomime à l’adresse d’universitaires qu’une nouvelle rentrée allait déprimer un peu plus. Mais non, cela se passe dans la vraie vie de sociétés savantes nord-américaines, cela concerne nos collègues anthropologues, ceux que nous connaissons, que nous lisons et avec lesquels nous échangeons parfois. Leur anthropologie va-t-elle passer sous les fourches caudines de ce nouvel obscurantisme ?
On croyait le combat de la rationalité gagné, que la science et son épistémologie de la raison raisonnante s’étaient imposées dans tous les domaines du savoir, que l’Aufklärung était une manière de philosophie basique à usage de tout chercheur universitaire. Il n’en est donc rien, tout est à reprendre. Il va falloir à nouveau ferrailler pour que s’impose la raison et la logique de la science, que les tartufferies et autres pantalonnades « genrées », « décoloniales » ou « racialisées » soient cantonnées dans leur délire fantasmatique. La science n’a toujours que faire des sensibilités affectives, sociales, religieuses, idéologiques, des chercheurs, ni même de leurs obsessions sexuelles. La science doit continuer à se faire selon la logique qui lui est propre et que chaque discipline a élaborée en épistémologie et méthodologie singulières.
À force de déconstruction et d’intersection en tous genres, on en est arrivé à oublier ce B-A-Ba de toute activité scientifique. Un nouvel obscurantisme paré de la prestigieuse tunique de la science, tout en majesté de quelques autorités académiques aux idées aussi neuves qu’invérifiables, aussi révolutionnaires que truffées de biais logiques, d’interprétations tronquées et d’intentions messianiques, s’est donc installé chez les scientifiques et entend maintenant régenter leur activité à sa manière. Les nouveaux ayatollahs de la pensée correcte viennent donc de prendre leurs premiers décrets.
Cela, c’est en Amérique du nord ! Mais en France et en Europe ? Les sociétés savantes d’anthropologues, d’ethnologues, de sociologues, etc. sont-elles prêtes à leur emboîter le pas ? Vont-elles se laisser bercer par la petite musique de la nuit noire du nouvel obscurantisme et se soumettre à la nouvelle version de l’Inquisition ?