Le Féminisme islamique: un concept qui ne passe ni en France, ni dans le Golfe

Le Féminisme islamique: un concept qui ne passe ni en France, ni dans le Golfe

Collectif

Tribune des observateurs

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Le Féminisme islamique: un concept qui ne passe ni en France, ni dans le Golfe

[par Arnaud Lacheret,
Directeur de la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec.]

Il y a deux ans, Eliott Savy, alors étudiant en licence à Lyon 2, était surpris qu’une séance entière de son cours de science politique soit consacrée au « féminisme islamique ». Deux lectures étaient obligatoires pour participer à cette séance, celle du livre éponyme de Zahra Ali et l’autre sur le cas du féminisme islamique en Iran par Azadeh Kian. 

Pour faire court, ce concept, qui se veut une version islamique du féminisme, considère que l’émancipation de la femme peut et doit se trouver dans les textes religieux musulmans et qu’une lecture plus féministe doit en être faite qui mènera à l’émancipation de la femme musulmane. Aujourd’hui, nombreux sont les papiers scientifiques qui parlent de cette tendance qui s’inscrit dans le courant décolonial et intersectionnel.

Or, mêler religion musulmane et émancipation féminine peut être un terrain d’étude et de recherche, après tout pourquoi pas, mais encore faudrait-il que ce concept soit pertinent et que les femmes musulmanes ayant trouvé la voie de l’émancipation en expriment un besoin et reconnaissent ce concept. Si tel n’est pas le cas, nous aurions encore un avatar du décolonialisme : un objet militant qui ne repose sur rien.

C’est notamment pour vérifier la pertinence de ce concept que j’ai interrogé 20 femmes managers du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Koweït) puis 23 femmes managers françaises d’origine immigrée se définissant elles-mêmes comme musulmanes afin de voir si, dans leur processus d’émancipation, elles comprenaient le concept de « féminisme islamique ».

Or, force est de constater que ce concept, qui n’est pas si nouveau puisque les premières recherches sur le sujet portent sur l’Iran notamment avec Parvin Paidar, puis sur l’Europe avec Malika Hamidi, n’apparait absolument pas pertinent ni utile. Sur les 20 femmes du Golfe interrogées, seule l’une d’entre elle est sensibilisée sur le sujet, tout en déclarant que l’égalité des genres doit tout de même être prise dans un sens universel. La plupart insistent en disant qu’elles ne souhaitent pas que la religion s’immisce dans leur vie privée et sociale.

Chez les 23 Françaises, le réflexe est le même et le rejet du concept est encore plus net. Souvent, ces femmes, musulmanes, qui se sont extraites de la condition d’origine de leurs parents en une génération, ne souhaitent surtout pas mêler l’égalité entre les femmes et les hommes, concept universel, avec le particularisme religieux. L’intersectionnalité est donc vivement rejetée par ces femmes qui pour autant se déclarent toutes musulmanes.

Le piège du féminisme islamique est assez bien résumé par une des plus jeunes de l’échantillon : Sharifa, 27 ans « On ne peut pas mélanger tout. C’est-à-dire, soit on décide de passer par l’Islam pur et dur et dans ce cas-là il faut appliquer toutes les règles, ce qui est aujourd’hui quasi impossible. » 

Autrement dit, le féminisme islamique n’a de sens que dans une société dont le seul cadre d’expression serait la shari’a. Et cela, si une sociologue comme Azadeh Kian en convient puisqu’elle le cantonne au cadre de la République Islamique d’Iran, les militantes comme Zahra Ali, ou celles de l’association Lallab (dont l’objet est de défendre les femmes musulmanes) ainsi que toute la mouvance décoloniale s’en fichent et présentent ce concept comme la voie de l’émancipation des femmes musulmanes.

Or que cela soit dans un des pays où l’islam est un régulateur important de la société comme l’Arabie Saoudite où en France chez les – nombreuses – femmes musulmanes s’étant très rapidement élevées socialement en profitant notamment de l’accès à l’enseignement supérieur, ce concept est soit rejeté, soit pris pour ce qu’il est : une offensive militante qui ne correspond à aucune réalité concrète.

Ainsi cette lubie militante, qui ne repose sur rien de tangible en termes d’émancipation, fait aujourd’hui l’objet de cours et d’enseignements dans le système universitaire français, sans que personne n’aille sur le terrain pour vérifier s’il n’a ne serait-ce que le début d’un rapport avec le réel, que cela soit dans les pays musulmans ou en occident. 

C’est ici le plus grand danger de la pensée décoloniale : elle est bâtie sur un monde qui n’existe pas. Alors que dans le Golfe comme en France les femmes interrogées s’émancipent en partant du principe que l’égalité entre les femmes et les hommes est universelle, on persiste à professer le contraire au sein de l’université publique française et ces enseignements infusent au point que l’on finit par trouver tout cela parfaitement normal et que l’on en vient même à propos des politiques publiques qui respecteraient le féminisme islamique alors que les femmes musulmanes émancipées le rejettent.

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