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Lettre aux censeurs de la Sorbonne

Lettre aux censeurs de la Sorbonne

Xavier-Laurent Salvador

Linguiste, Président du LAIC

[par Xavier-Laurent Salvador]

Nous reprenons ici un article précédemment publié dans les colonnes de Marianne le 25 janvier.

Les 7 et 8 janvier dernier, le colloque organisé par l’Observatoire du décolonialisme conjointement avec le Collège de Philosophie et intitulé « Que reconstruire après la déconstruction » proposait de faire un état des lieux, aussi nuancé que possible, et d’envisager comment conserver au sein du monde scolaire et universitaire, les conditions d’un pluralisme éclairé ». Nous étions une soixantaine de chercheurs réunis pendant deux jours, venus de disciplines différentes: linguistique, philosophie, sciences politiques, histoire, littérature, économie, histoire de l’art, agronomie et biotechnologies…, tous confrontés au même constat: la déconstruction est un fait; tous mus par une même volonté: reconstruire les disciplines. 

La réponse de la Sorbonne aux pressions

Prouver que la déconstruction n’est qu’un mythe: cela n’a pas manqué de susciter la polémique. Il fallait s’y attendre: Comment ? Que quelques chercheurs aient l’ambition de défendre les disciplines universitaires dans la Sorbonne en s’opposant à l’idéal déconstructionniste, voilà un scandale qui n’a pas manqué de révolter les beaux esprits qui se sont fait entendre après la manifestation scientifique; et très étonnamment: beaucoup avant qu’elle n’ait lieu. Que n’a-t-on lu dans les colonnes d’un quotidien du soir sous la plume des plus acharnés défenseurs de la déconstruction, nous traitant de tous les noms qu’on réserve aux blasphémateurs ! Déconstruire, oui; mais pas Bourdieu ni Derrida: icônes sacrées de leur modernité.

Il faut y voir la puissante capacité de prédiction de nos adversaires qui avaient déjà anticipé ce que nous ferions, dirions et conclurions avant même que nous n’ayons publié le programme définitif. Et c’est compréhensible puisque n’ayant d’autre moyen de mesurer l’intelligence d’autrui, ils se sont contentés d’imaginer ce qu’ils auraient fait à notre place. Et leur conclusion fut évidemment qu’ils auraient cédé aux plaisirs de ce qu’ils appellent le « name and shame »: dénoncer, lister, accabler. C’est leur culture, leur mode d’action et leur manière d’être. Aussi étaient-ils persuadés que le colloque serait l’occasion pour nous de nommer et d’accabler des collègues, dont nous n’aurions pas manqué de pointer les trahisons. C’est comme ça qu’ils auraient fait; ils étaient persuadés que c’était ce que nous ferions. Certains groupuscules avaient donc par anticipation demandé à l’Institution dont ils sont devenus à cet instant les dévoués zélateurs la garantie de la protection fonctionnelle pour la foule de collègues se préparant à être humiliés: « Madame la Présidente, protégez-nous des monstres qui osent envisager la reconstruction des disciplines ! » clamaient-ils en chœur par voie de presse et de tracts sous le regard approbateur d’une Université déboussolée. 

Tous ceux qui ont assisté au colloque, et tous ceux qui encore aujourd’hui en écoutent les enregistrements, savent que bien sûr il n’en fut rien et que ce congrès fut à l’image de ce que sont tous les colloques: une succession, certes impressionnante, de discours posés et sourcés établissant un constat, dressant des pistes avec humilité pendant 48 heures et sans musarder. La menace était pourtant à peine voilée: menace de procès, de plaintes et menaces d’annulation. D’autant que la Présidente de la Sorbonne n’a pas manqué de rassurer nos dénonciateurs en leur promettant ses grands dieux qu’elle demanderait nos têtes à la première incartade, tant il était évident pour ces braves gens que nous étions à la fois la Peste et le Choléra: « Aussi, soyez assurés – écrit-elle dans un courrier daté du 6 janvier – que je continuerai […] à faire un signalement auprès du procureur de la République en cas de dénonciation calomnieuse ». Citer des sources dans un colloque devient donc, sur la base d’une dénonciation, un soupçon de calomnie… Je me souviens d’un collègue qui avait mal rendu compte de l’un de mes ouvrages. Je me demande s’il est encore temps de l’attaquer ?

L’enjeu était un symbole: la Sorbonne. Un lieu chargé d’histoire où il fallait que fût clairement dit et répété par eux que des « gens comme nous » – entendez: des agrégés, des normaliens, des chercheurs épris de savoir (des universitaires, en somme) – nous n’étions pas à notre place. Non, désormais en Sorbonne, sont à leur place les géographes qui se dévêtent entièrement devant leur public en proclamant que l’anus est un « laboratoire de pratiques démocratiques ». La philosophie, la philologie, l’histoire non seulement c’est passé de mode; mais s’en réclamer est devenu un geste militant réactionnaire, fasciste et d’extrême-droite. 

Ces récriminations pathétiques font suite en vérité à une autre tentative de censure. Lors de la déclaration de naissance de notre Observatoire, le magazine Le Point avait publié une photo de certains d’entre nous dans le grand Amphithéâtre sur les lieux mêmes où les Suppliantes avaient été annulées. La photo avait été rendue publique après avoir été dûment autorisée par l’Administration. C’est alors qu’un courrier daté du 4 juin 2021 et signé d’une petite vingtaine de sorbonnagres – les mêmes qui se répandent en imprécations sur les réseaux sociaux ou en tribunes dans la presse – fut adressé au Recteur de Paris non pour protester contre l’autorisation qui nous avait été accordée; non pour manifester un désaccord sur les enjeux de l’Observatoire; mais bien pour obtenir de son autorité la suppression de la photo de Presse six mois après sa publication qualifiée « d’usage abusif ».

Dans quel pays des universitaires manifestent-ils pour demander la suppression d’une photo de presse au prétexte que la symbolique qu’elle dégage ne favorise pas leur représentation des faits ? N’est-ce pas précisément ce que l’on appelle là cancel culture ? Faut-il donc qu’ils aient une si haute estime de leur personne pour croire que l’image du grand amphithéâtre est à ce point la leur et demander des comptes à l’État sur son usage ? Faut-il enfin que notre présence à la Sorbonne soit dérangeante au point de provoquer autant de menaces, de hargne et de violence ?

Alors mesdames et messieurs les censeurs, en Sorbonne: nous sommes chez nous.

La lettre de la honte

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