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Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné…

Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné…

Jacques Robert

Professeur émérite de cancérologie, université de Bordeaux

… C’est ainsi que fonctionne le monde intellectuel selon Alain Policar… Comment, il a dit du bien d’un livre de Dominique Schnapper et celle-ci ne lui renvoie pas l’ascenseur ? C’est à n’y rien comprendre !

Rappelons les faits : en 2018, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, crée le Conseil des sages de la laïcité ; il en choisit les membres intuitu personae, en fonction de leur engagement dans le combat pour la laïcité : ceux qui ont écrit sur le sujet, qui ont milité, qui sont sociologues, philosophes, chercheurs, enseignants, etc. Est-ce démocratique ? Eh bien oui ! Nous avons un gouvernement légitime, qui a fait suite à l’élection d’un Président de la République et d’une Assemblée nationale, ce qui a permis la nomination des ministres qui constituent le gouvernement, et qui à leur tour nomment les membres de leur cabinet, les conseils dont ils souhaitent s’entourer, etc. Processus normal en démocratie : non, les conseillers divers ne sont pas élus et n’ont pas à l’être. Ils rendent des comptes à leur ministre de tutelle, qui rend des comptes au Premier ministre, qui est responsable devant le Parlement.

Et quand un conseiller a perdu la confiance du ministre qui l’a nommé, ce dernier peut conserver cette épine dans le pied ou choisir de l’écarter du cercle de ses conseillers. Un nouveau ministre de l’éducation nationale, Nicole Belloubet, a jugé qu’en raison de prises de position publiques d’un membre de ce Conseil des sages de la laïcité, Alain Policar, qui avait été nommé à ce conseil en 2022 par un autre ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, il était  préférable de l’écarter de ce conseil et de mettre fin à sa mission. Il est avéré que ces prises de position sont en désaccord avec une loi vieille de 20 ans, applicable et appliquée, certes de façon parfois difficile, mais que le gouvernement souhaite respecter et faire respecter. Si nommer un conseiller est un processus pleinement démocratique, l’écarter de ce cercle restreint est également pleinement démocratique. Et ce n’est pas, comme il le prétend, « une atteinte à sa liberté d’expression universitaire ».

Dès lors, il est impossible de comprendre comment une centaine de personnes ont pu affirmer, dans une tribune publiée dans Le Monde 1, que « cet acte d’autorité interroge sur l’état des mœurs démocratiques ». Oui, c’est un acte d’autorité ! Que se passerait-il si les ministres de la République n’avaient plus d’autorité et si n’importe quel quidam pouvait imposer sa présence si elle n’est plus souhaitable auprès d’eux ? Cet acte d’autorité est-il antidémocratique ? Certes non ! Car s’il l’était, la nomination des membres de ce conseil l’aurait été également ! Et n’importe qui, moi le premier, aurait dû rameuter ses groupies pour se plaindre de n’avoir pas été nommé à ce conseil. Je ne considère pas comme antidémocratique ni contraire à ma « liberté d’expression universitaire » le fait que je n’ai pas été nommé à ce conseil (et pourtant je suis sage !)… Au moins n’en ai-je pas été exclu.

Au lieu d’adopter la seule attitude possible lorsque on est menacé d’être écarté d’un organisme, qui est de démissionner sans attendre la honte d’être révoqué, et ainsi de pouvoir dire : « je m’en vais comme un prince », Alain Policar a mâché et remâché son amertume en allant pleurnicher sur les réseaux sociaux et dans divers médias. J’ai déjà vu des plagiaires s’accrocher ainsi à un poste qu’ils ont obtenu par la faveur du prince et attendent d’être démis de leur fonction pour la quitter, même s’il s’agit la plupart du temps de fonctions honorifiques qui ne sont sûrement pas rétribuées. Et ils en profitent pour dire qu’ils sont incompris, allant jusqu’à prétendre qu’ils ont été « condamnés » sans avoir été entendus, que les écrits qu’on leur reproche disaient tout autre chose que leur pensée profonde et, dans ce cas précis, qu’il n’avait pas relu l’interview où il disait que le voile musulman était un « vecteur d’émancipation ». Il ne suffit pas de clamer que l’on est universaliste pour l’être, ni de penser que l’on est un « farouche partisan de la laïcité » pour l’être réellement.

Mais le plus drôle n’est pas dans cette tribune du Monde ni dans les déclarations de Policar, mais dans l’interview qu’il a donnée à Philosophie Magazine 2 : il y explique que sa conversation avec la présidente du Conseil des sages de la laïcité, Dominique Schnapper, lorsqu’il a été question qu’il en soit écarté « fut parfaitement courtoise » et il ajoute : « nous nous connaissons depuis 33 ans et j’ai souvent rendu compte favorablement de ses ouvrages ». Ça alors ! Il avait tout fait pour s’attirer ses bonnes grâces et ça n’a pas marché… Il suffirait donc de flatter les gens en place pour qu’ils vous renvoient l’ascenseur, en somme ! Et vous soutiennent lorsque vous dites des incongruités. Ce genre d’attitude renvoie bien sûr au livre de Pierre-André Taguieff Le nouvel âge de la bêtise 3, qui décrit sans fioritures la façon dont André Policar manie la brosse à reluire dans un de ses livres 4 :

« il cite ainsi […] le “livre inspiré” d’une femme d’influence, le “livre fondamental” d’un mandarin ou “l’heureuse expression” d’un autre mandarin, il note que, dans un “important ouvrage”, une “autrice” idéologiquement correcte “écrit avec bonheur” ou qu’une autre du même bord “parle d’or”, il poursuit en mentionnant la “forte figure” d’une intellectuelle décoloniale célèbre qu’il convient de ménager, le “beau livre” d’un philosophe dont il s’agit de s’attirer les bonnes grâces ou, une fois encore, le “livre inspiré” d’une essayiste renommée ».

Merci, cher Pierre-André Taguieff, d’avoir si bien caractérisé la méthode Policar que l’on a vue mise en pratique ces jours-ci ! Mais si cela a bien marché parfois, cela n’a pas marché avec Dominique Schnapper. Il lui a passé la rhubarbe, elle ne lui a pas passé le séné… Ça valait bien la peine de s’abaisser ainsi à flatter les intellectuels ! Tiens, il va flatter les politiques, maintenant : ça marchera peut-être mieux, certains ont l’habitude du clientélisme.

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