« Privilège blanc » et « mâle dominant » sont-elles en réalité des formules racistes et sexistes ?

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« Privilège blanc » et « mâle dominant » sont-elles en réalité des formules racistes et sexistes ?

Collectif

Tribune des observateurs
Se focaliser sur la « racialisation » et la « domination masculine », c’est préparer les conditions idéologiques d’une victoire du Rassemblement national. Un texte signé notamment par Nathalie Heinich, Jacques Julliard et Catherine Kintzler.

Table des matières

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« Privilège blanc » et « mâle dominant » sont-elles en réalité des formules racistes et sexistes ?

[Nous reprenons ici le texte de notre tribune parue dans le Nouvel Obs]

La victoire de Donald Trump en 2016 fut largement imputable à la division de ses adversaires, comme l’ont enfin compris les démocrates américains. Les premiers facteurs de division de la gauche en Amérique furent, d’une part, l’insistance sur la race comme catégorie politique et, d’autre part, l’occultation des rapports d’exploitation par les rapports de domination mis en avant tant par le courant « décolonial » que par le courant néoféministe, qui ont remplacé l’antiracisme et le féminisme universalistes par des revendications identitaristes et différentialistes. C’est ainsi que se sont imposées sur le devant de la scène, au nom de l’antiracisme et de l’antisexisme, des formules aussi perversement racistes et sexistes que celles de « privilège blanc », de « blanchité » ou de « mâle blanc dominant ».

Ces facteurs de division sont à présent largement répandus en France. Ils connaissent un essor d’autant plus important que les milieux « décoloniaux » s’emploient à discréditer les institutions, à coup d’accusations de « racisme d’État », pour « casser la République en deux », selon la formule revendiquée par le philosophe et inspirateur du mouvement « indigéniste » Norman Ajari. Comme eux, les islamistes dénoncent un « racisme systémique » fantasmé et une « islamophobie » brandie comme un interdit de critiquer l’islamisme, notamment après chaque campagne d’attentats. Et, de fait, l’affaire du burkini éclate à Nice deux semaines après l’attentat du 14 juillet, avec pour effet de faire passer le massacre à la trappe.

Chaque critique des effets du fondamentalisme islamique sur la société française se voit ainsi délégitimée par un dispositif idéologique auquel nombre de militants de gauche et, hélas, de chercheurs prêtent leur concours, lorsqu’ils n’en sont pas les porte-voix les plus efficaces, à l’instar des soutiens à Tariq Ramadan avant qu’il ne soit mis en examen pour viol. Enfin de nouvelles attaques contre la laïcité, accusée de n’être qu’une arme visant les musulmans, s’ajoutent à cet arsenal typique de l’« islamogauchisme », auquel seuls les faux aveugles ou les ignorants dénient toute réalité.

Complaisance idéologique

Ces derniers mois, un nombre croissant d’enseignants du secondaire et du supérieur ont dû être placés sous protection policière après des accusations d’« islamophobie » suivies de menaces de mort. Ceci éclairant cela, vingt-cinq organisations liées aux mouvements islamistes ont écrit le 8 mars à la présidente de la Commission européenne pour lui demander d’agir contre les « lois islamophobes françaises » : en cinquante-six points, cette lettre condamne la loi contre les séparatismes et souligne que le « gouvernement français a exploité l’assassinat de Samuel Paty pour son propre agenda raciste, discriminatoire et islamophobe ».


Une partie de la gauche s’est laissée berner, par complaisance idéologique ou par aveuglement. C’est ainsi que le 10 novembre 2019 La France Insoumise, le PCF et la CGT défilèrent avec le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF, aujourd’hui dissous), dans une manifestation au cours de laquelle on scanda Allahou Akbar et où des enfants furent affublés de l’étoile jaune à cinq branches, assimilant ainsi de façon abjecte le statut des musulmans aujourd’hui à celui des Juifs sous l’Occupation.

Et lorsque, plus récemment, Jean-Michel Blanquer puis Frédérique Vidal dénoncèrent le terreau de complaisances intellectuelles à l’Université qui, au nom de la « lutte contre l’islamophobie », aboutissent à une complicité idéologique avec l’assassinat d’un enseignant, des pétitions d’universitaires militants s’empressèrent de nier le problème, assimilant la critique des dérives islamistes et la défense de la laïcité aux valeurs de Pétain (pétition internationale du 4 mars 2021), d’Orban et de Trump (tribune de Sandra Laugier dans « Libération » du 12 mars 2021). Mais les a-t-on jamais entendus dénoncer l’islamo-fascisme des fondamentalistes de l’islam politique, qui encouragent voire pratiquent ouvertement l’intolérance, la violence, le sexisme et l’homophobie ?


Dépouiller la gauche de ses forces vives

En prétendant incarner toute la gauche et rien que la gauche, ces courants dépouillent la gauche de ses forces vives et de ses valeurs historiques, renvoyant au vide politique ou à la tentation droitière ceux qui ne partagent ni l’obsession de la « racialisation », de la « domination masculine », de l’« intersectionnalité » et de l’écriture inclusive, ni la culture de la censure (« cancel culture ») qui prétend non pas contester mais réduire au silence tous ceux qui ne penseraient pas comme il faut.

Et c’est ainsi que sont réunies les conditions idéologiques d’une victoire du Rassemblement national. Sa xénophobie se voit justifiée par le retour de la race dans le débat public, de même que l’ethnodifférentialisme élaboré naguère par la Nouvelle Droite et repris par l’aile identitaire du RN se trouve légitimé par des notions comme l’« appropriation culturelle ». Quant aux réunions « non-mixtes » réservées aux « racisés » que prônent les nouveaux militants « intersectionnels », ne reproduisent-elles pas une forme de ségrégation ?

C’est pourquoi une clarification idéologique est nécessaire pour que la gauche puisse réaffirmer les valeurs laïques, démocratiques et universalistes qui sont les siennes depuis un siècle, et dont elle ne s’écarte jamais qu’à ses dépens. Certes, des identités collectives existent, mais l’appartenance à une communauté ne confère aucun droit particulier – c’est là un fondement de la République française. Certes, les religions existent, mais la liberté de conscience doit être protégée par le respect de la laïcité, qui garantit notamment le droit de critiquer les religions, quelles qu’elles soient, sans que cette critique puisse être assimilée à une discrimination envers les croyants. Certes, les discriminations existent et doivent être corrigées, mais pas au prix d’une assignation des individus à des identités communautaires essentialisées. Et certes encore, des minorités existent, et peuvent même constituer des forces politiques, mais c’est à la majorité que revient, en régime démocratique, le droit de décider pour tous.


Tant que ces confusions ne seront pas levées, les tentatives unitaires nécessaires pour faire barrage à l’extrême droite seront vouées à l’échec. Il est temps que la gauche se ressaisisse en renouant avec ses valeurs fondatrices, sans se laisser intimider par le chantage provenant d’une de ses franges minoritaires, radicalisée, culpabilisatrice, victimaire et potentiellement totalitaire.

Signataires

Fatiha BOUDJAHLAT (enseignante et essayiste)
Nathalie HEINICH (sociologue, CNRS)
Catherine KINTZLER (philosophe, professeur d’université honoraire)
Jacques JULLIARD (historien)
Samuel MAYOL (maître de conférences en sciences de gestion, université Paris-Nord)
François RASTIER (linguiste, CNRS)
Jean-Pierre SAKOUN (éditeur, ancien président du Comité Laïcité République)

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