Quand le président de la République prend les habits du Ministre de la réforme scolaire

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Quand le président de la République prend les habits du Ministre de la réforme scolaire

Xavier-Laurent Salvador

Linguiste, Président du LAIC

Table des matières

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Quand le président de la République prend les habits du Ministre de la réforme scolaire

[Tribune initialement publiée ici https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/un-collectif-d-universitaires-non-aux-professeurs-low-cost-voulus-par-macron_2179103.html sur le site de L’Express sous le titre « Non aux professeurs low cost voulus par Macron ! » ]

Quelle serait la légitimité d’un professeur de lettres « low cost » (http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/09/16092021Article637673745030614533.aspx) qui ne serait jamais allé à l’Université ? Bien faible. C’est pourtant l’ornière dans laquelle le Président semble vouloir engager la France.

Nous souhaitons alerter l’opinion sur les propos tenus par M. le Président de la République sur la formation des enseignants lors de son intervention devant les recteurs d’Académie ce 25 août [https://www.lemonde.fr/societe/live/2022/08/25/emmanuel-macron-prononce-un-discours-de-rentree-devant-les-recteurs-d-academie_6138980_3224.html]. Il évoque notamment un effondrement de la formation des enseignants pour pallier les difficultés de recrutement des professeurs mises en scène dans la presse depuis maintenant plus de trois mois. Il explique notamment la solution miracle: « Il est clair que nous devons repenser la formation de nos enseignants. On a demandé des diplômes universitaires excessifs. Il faut assumer que des gens s’engagent dans ce métier dès le baccalauréat dans ce beau métier. » 

Cette proposition est une pente dangereuse sur laquelle le gouvernement ne devrait pas s’engager. 

Autrefois, il est juste de rappeler que les instituteurs étaient recrutés avec un niveau Bac à la sortie des écoles normales. C’étaient d’excellents instituteurs. C’était avant la massification de l’Enseignement; c’était pour les métiers de l’enfance; c’était avant l’effondrement du baccalauréat dont la presse ne cesse d’annoncer la suppression depuis une décennie et que l’on s’évertue à défaire. 

Ces instituteurs étaient d’ailleurs d’excellents fonctionnaires qui sortaient de l’école avec les salaires de la catégorie B, ce qui engendrait une disparité avec les professeurs du second degré recrutés quant à eux, avec une licence et étaient catégorie A de la fonction publique. Depuis cette époque, la France a fait de considérables efforts pour uniformiser la fonction des professeurs en intégrant tout le premier degré dans le même corps des Professeurs où tous les fonctionnaires sont titulaires d’une licence universitaire dite « d’enseignement ». On a donc beau jeu « en même temps » d’annoncer qu’il n’y aurait plus d’enseignant qui gagnerait moins de 2000€ par mois: soit les licences d’enseignement proposées par les Universités après le bac en trois ans sont le lieu de cette préparation, et l’on a rien dit; soit on envisage de créer des écoles parallèles pour la formation des enseignants, et c’est peu productif. 

La proposition du Président de la République vise à détruire ce qui a été fait et à faire régresser tous les Professeurs au même rang que les Instituteurs d’il y a plus de quarante ans. Ce serait un bond en arrière consternant, et une régression extraordinaire. A l’heure où l’on ne cesse de rappeler que les professeurs français sont les plus mal payés au sein de l’OCDE, voilà qu’on envisage encore de les faire plonger dans la catégorie indiciaire. Les Français sont-ils prêts à confier leurs enfants aux 90% d’une classe d’âge qui ont obtenu ce diplôme ? Rien n’est moins sûr.

Au problème des économies de bout de chandelles vient s’ajouter celui de la casse de l’Université. En débrayant la formation des enseignants de l’Université, on vide de sa substance tout le supérieur en même temps qu’on délégitime les enseignants: une pierre, deux coups.

Dans une tribune du Figaro parue le 23 janvier 2008 (p. 14) intitulée « Tant vaut le maître, tant vaut l’école », Antoine Compagnon analysait les effets de la réforme Fillon et concluait en rappelant ce principe de bon sens: « Il est plus urgent de fortifier les licences générales préparant des professeurs des écoles polyvalents, et de compléter leur formation initiale par une formation continue leur donnant les moyens de faire réussir une bonne moitié des élèves qui entrent aujourd’hui au CP sans espoir. »

Voilà que le Président Macron, qui a pourtant lui-même engagé une réforme dans le recrutement des enseignants imposant une année d’étude supplémentaire pour passer le CAPES prend le contre-pied de tout ce qui a été fait. Et d’insister dans le même temps sur la notion floue de « projets » face à la crise de l’éducation en se défausant sur les « acteurs de terrain »… Favoriser les projets d’écoles revient en réalité à édulcorer le projet de l’École républicaine.

L’avantage est très simple pour le Ministère: en recrutant des enseignants formés en dehors des licences d’enseignement qui existent déjà, il s’offre la possibilité de manoeuvrer les salaires et de doubler la capacité de recrutement afin d’atteindre artificiellement ses objectifs managériaux. En agissant ainsi, le gouvernement qui prendrait cette décision effondrerait définitivement le service public de l’école. 

Nous invitons donc le gouvernement à se saisir de cette opportunité pour renforcer le processus de sélection du baccalauréat à l’entrée des universités, à réinvestir les universités de la formation des enseignants et à protéger les licences d’enseignement des influences parasites. 

Premiers signataires

Xavier-Laurent Salvador, Maître de Conférence, Président du LAIC et co-fondateur de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identaires

Pierre Vermeren, Professeur, Président du Conseil Scientifique du LAIC 

Philippe de Lara, Maître de Conférence

Albert Doja, Professeur des Universités

Pierre-André Taguieff, Professeur et Philosophe

Violaine Géraud, Professeur des Universités

Dominique Triaire, Professeur des Universités

Eric Desmons, Professeur des Universités

Sami Biasoni, essayiste, docteur en philosophie

Bruno Sire, Professeur des Universités

André Quaderi, Professeur des Universités

Bérénice Levet, Docteur en Philosophie et Essayiste

Jean-Marie Brohm, Professeur des Universités émérite

François Vazeille, Directeur de Recherche émérite

Gilles Guglielmi, Professeur des Universités

Monique Gosselin Noat, Professeur

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