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Renée Fregosi. Cinquante nuances de dictature décortiquées

Renée Fregosi. Cinquante nuances de dictature décortiquées

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  C’est effectivement en référence à 50 nuances de Grey mais ce n’est pas gratuit. Il y a des points communs entre la dictature et le sexe. Comme le dit le sous-titre du livre, il existe une dimension d’emprise, un aspect psychologique, une sorte de fascination-répulsion. L’idée de départ, c’était de remettre d’aplomb les concepts de dictature et de démocratie, l’une étant l’antithèse de l’autre. Aujourd’hui, cette idée est remise en cause, y compris par la plupart de mes anciens collègues. Vous notez bien que je suis à la retraite (rire).
Vous réfutez donc des termes comme « démocrature » ou « démocratie autoritaire » ?
J’utilise le terme « démocrature ». C’est un terme qui s’applique aux dictatures contemporaines. Celles qui se déguisent en démocratie. Elles vont jusqu’à organiser des élections, à cette nuance près que ces élections ne sont jamais libres. On en a de multiples exemples, le régime de Poutine en Russie, celui des mollahs en Iran ou de Chavez, puis de Maduro au Venezuela… La « démocratie autoritaire », c’est un oxymore. Un régime autoritaire ne peut jamais être une démocratie. Vous remarquerez, d’ailleurs, que la plupart des pays qui ajoutent « démocratique » dans leur nom ne sont pas démocratiques du tout.
Vous écrivez cependant qu’il y a des degrés de démocratie…
Bien sûr, il y a des conditions pour qualifier un État de démocratique, la première, celle qui est indispensable étant que s’y déroulent des élections libres et pluralistes. Mais là encore, il y a différents degrés. On peut considérer que tout être humain est doué de raison mais quel est son niveau de conscience, d’information ? Parfois aussi, certains dirigeants prennent prétexte du fait que la population est peu instruite pour éviter de lui donner véritablement le droit de vote. C’était le cas en France avant la dernière guerre mondiale. L’argument pour ne pas donner le droit de vote aux femmes (par une majorité anticléricale) était qu’elles étaient sous la coupe des curés. Il y a cependant un point de bascule qui fait qu’une démocratie devient une dictature ou l’inverse.
LIRE AUSSI. INTERVIEW. Marie-Anne Matard-Bonucci : « Le fascisme n’a pas empêché la démocratie italienne »
Donc, quelle définition donneriez-vous au mot démocratie ?
La première condition, c’est, comme je viens de le dire, la démocratie politique, d’où doivent découler trois choses. En premier lieu, la démocratie culturelle, c’est-à-dire l’éducation, l’instruction et l’accès à la culture du plus grand nombre. Ensuite, la redistribution des richesses visant à ce que chacun vive dignement. Enfin, la redistribution du pouvoir qui ne peut pas rester entre les mains de quelques-uns. Dans cette définition, il y a des tas de degrés. La démocratie antique inventée à Athènes excluait une bonne partie de la population. Jusqu’à l’avènement de la mondialisation, la démocratie se déclinait au sein des États-nation et, jusqu’aux années 90, on peut dire que la Suède en était l’exemple le plus abouti. Aujourd’hui, c’est plus compliqué. Les États et donc les élus ont beaucoup moins de pouvoir… La marge est bien plus limitée que dans les années 30 car tout se joue au niveau mondial.
Des raisons d’espérer, malgré tout ?
Le chemin vers la démocratie passe par l’émergence d’une classe moyenne. On le voit en Amérique latine, dans des pays comme le Paraguay, ou en Chine – ce qui inquiète beaucoup le pouvoir en place. On voit d’ailleurs que ce pouvoir met tout en œuvre pour restreindre les libertés. C’est la raison pour laquelle les gens qui parlaient de « dictature sanitaire » en France pendant la Covid m’ont fait bondir. Qu’ils aillent en Chine et ils verront ce que c’est ! On voit cependant que certaines démocratures peuvent être prises à leur propre piège. Les prochaines élections en Turquie sont à suivre de très près à ce titre, car l’opposition a eu l’intelligence de ne pas se disperser. On sent que le régime autoritaire d’Erdogan est inquiet. Si la population vote et que le scrutin est surveillé, il pourrait se passer la même chose qu’au Chili, lorsque Pinochet a été écarté. Les régimes peuvent tomber. Les dictatures comme les démocraties.
Vous considérez qu’en France, par exemple, la démocratie pourrait tomber ?
Je l’écris. D’abord, parce qu’il existe tout un courant de pensée, notamment à Sciences Po, qui estime que distinguer la dictature de la démocratie n’est pas pertinent. Pour faire court, les partisans de Bourdieu ont envahi l’institution. Je considère, pour ma part, qu’il faut nommer les choses et les définir.
LIRE AUSSI. Réforme des retraites. 49.3 : les syndicalistes corses dénoncent un « déni de démocratie »
Vous listez l’islamisme comme le premier des courants qui pourrait mener à un régime autoritaire…
L’islamisme, et notamment celui qui est théorisé par les Frères musulmans, est bien plus une stratégie politique qu’une religion. Le frérisme, c’est l’une des branches du nationalisme égyptien au moment de la décolonisation. En Europe – c’est-à-dire en terre impie selon leur conception – ils pratiquent la taqiya (pratique qui consiste à masquer en partie ses buts et ses idées).
Le but, c’est de s’appuyer sur les musulmans pour créer un état islamique, à terme. Parallèlement et paradoxalement, ils ont le soutien du courant woke qui nous vient des États-Unis et a les faveurs d’une grande partie de la gauche. Quand on sait comment les femmes ou les homosexuels sont considérés par les Frères musulmans et quel est le sort qui leur est réservé dans les pays où ils ont le pouvoir, ça fait froid dans le dos. Mais ce n’est peut-être pas si paradoxal. Dans le wokisme, il y a un fond de puritanisme, de rigidité. L’islamisme et le wokisme sont des sortes de religions séculières qui fonctionnent sur des séries d’interdits et d’obligations et ont pris comme postulat d’adopter systématiquement une posture victimaire. En tant que laïque, cela m’insupporte.
« La technocratie a aussi une dimension autoritaire »
Des exemples ?
Un qui me vient à l’esprit. Lorsque par exemple, on nous dit que l’on doit prendre comme postulat qu’il faut systématiquement croire la parole des femmes dans la mesure où les hommes seraient des bourreaux par essence. J’ai adhéré au MLF à l’âge de 16 ans. Bien sûr, les femmes n’étaient pas suffisamment écoutées. Mais les cantonner au rôle de victime et vouloir nier qu’elles peuvent mentir, qu’elles sont capables de nuire ou de se venger, c’est aussi une manière de les exclure de l’espèce humaine. De même, lorsqu’on parle de racisme. Notre pays a participé à l’esclavage, à un moment de son histoire.
Il ne s’agit pas de dire que c’est bien ou de l’oublier.
À condition de ne pas oublier que l’esclavage n’a pas été inventé en Europe et surtout qu’il continue d’être pratiqué dans le monde et particulièrement dans les pays de la péninsule arabique.
LIRE AUSSI. Renée Fregosi pourfend « les nouveaux autoritaires »
Vous ne parlez pas de l’extrême droite ?
Je parle de Marine le Pen et du RN. Son parti et elle-même viennent de l’extrême droite mais aujourd’hui, je les définis comme populistes. C’est tout aussi dangereux. Le populisme, c’est la dictature de Peron en Argentine. Le populisme a, en germe, les composantes des régimes autoritaires. Mais ce n’est plus tout à fait l’extrême droite même s’il en est issu.
Deux possibilités donc de basculer dans la dictature. Il semblerait que vous renvoyez dos à dos ce que le gouvernement et plus généralement les macronistes appellent « les extrêmes »…
Ce courant de pensée a, tout autant que les précédents, une dimension autoritaire. Et je l’écris aussi. C’est la technocratie. Là aussi, il y a une parole d’orthodoxie, notamment en matière budgétaire. On explique aux populations qu’elles n’ont pas le choix. Et on affaiblit la classe moyenne. Or, la classe moyenne, c’est ce qui conditionne la vivacité d’une démocratie.
Sans espoir donc ?
Jamais. Mais à condition de rester lucide. 1955
Naissance à Ajaccio.
1971
À 16 ans, elle adhère au MLF.
1976
Elle adhère au PS alors qu’elle est étudiante.
2001
Elle intègre l’Institut des hautes études d’Amérique latine à l’université Sorbonne nouvelle en tant qu’enseignant-chercheur après deux thèses en philosophie et en sciences politiques et après une carrière politique au sein du PS.
2021
Son avant-dernier ouvrage (parmi une dizaine de livres publiés depuis 1997) Comment je n’ai pas fait carrière au PS marque sa rupture avec le PS. Son œuvre, dans son ensemble, traite principalement de laïcité, de démocratie et de l’Amérique latine. 

C’est effectivement en référence à 50 nuances de Grey mais ce n’est pas gratuit. Il y a des points communs entre la dictature et le sexe. Comme le dit le sous-titre du livre, il existe une dimension d’emprise, un aspect psychologique, une sorte de fascination-répulsion. L’idée de départ, c’était de remettre d’aplomb les concepts de dictature et de démocratie, l’une étant l’antithèse de l’autre. Aujourd’hui, cette idée est remise en cause, y compris par la plupart de mes anciens collègues. Vous notez bien que je suis à la retraite (rire).

Vous réfutez donc des termes comme « démocrature » ou « démocratie autoritaire » ?

J’utilise le terme « démocrature ». C’est un terme qui s’applique aux dictatures contemporaines. Celles qui se déguisent en démocratie. Elles vont jusqu’à organiser des élections, à cette nuance près que ces élections ne sont jamais libres. On en a de multiples exemples, le régime de Poutine en Russie, celui des mollahs en Iran ou de Chavez, puis de Maduro au Venezuela… La « démocratie autoritaire », c’est un oxymore. Un régime autoritaire ne peut jamais être une démocratie. Vous remarquerez, d’ailleurs, que la plupart des pays qui ajoutent « démocratique » dans leur nom ne sont pas démocratiques du tout.

Vous écrivez cependant qu’il y a des degrés de démocratie…

Bien sûr, il y a des conditions pour qualifier un État de démocratique, la première, celle qui est indispensable étant que s’y déroulent des élections libres et pluralistes. Mais là encore, il y a différents degrés. On peut considérer que tout être humain est doué de raison mais quel est son niveau de conscience, d’information ? Parfois aussi, certains dirigeants prennent prétexte du fait que la population est peu instruite pour éviter de lui donner véritablement le droit de vote. C’était le cas en France avant la dernière guerre mondiale. L’argument pour ne pas donner le droit de vote aux femmes (par une majorité anticléricale) était qu’elles étaient sous la coupe des curés. Il y a cependant un point de bascule qui fait qu’une démocratie devient une dictature ou l’inverse.

LIRE AUSSI. INTERVIEW. Marie-Anne Matard-Bonucci : « Le fascisme n’a pas empêché la démocratie italienne »

Donc, quelle définition donneriez-vous au mot démocratie ?

La première condition, c’est, comme je viens de le dire, la démocratie politique, d’où doivent découler trois choses. En premier lieu, la démocratie culturelle, c’est-à-dire l’éducation, l’instruction et l’accès à la culture du plus grand nombre. Ensuite, la redistribution des richesses visant à ce que chacun vive dignement. Enfin, la redistribution du pouvoir qui ne peut pas rester entre les mains de quelques-uns. Dans cette définition, il y a des tas de degrés. La démocratie antique inventée à Athènes excluait une bonne partie de la population. Jusqu’à l’avènement de la mondialisation, la démocratie se déclinait au sein des États-nation et, jusqu’aux années 90, on peut dire que la Suède en était l’exemple le plus abouti. Aujourd’hui, c’est plus compliqué. Les États et donc les élus ont beaucoup moins de pouvoir… La marge est bien plus limitée que dans les années 30 car tout se joue au niveau mondial.

Des raisons d’espérer, malgré tout ?

Le chemin vers la démocratie passe par l’émergence d’une classe moyenne. On le voit en Amérique latine, dans des pays comme le Paraguay, ou en Chine – ce qui inquiète beaucoup le pouvoir en place. On voit d’ailleurs que ce pouvoir met tout en œuvre pour restreindre les libertés. C’est la raison pour laquelle les gens qui parlaient de « dictature sanitaire » en France pendant la Covid m’ont fait bondir. Qu’ils aillent en Chine et ils verront ce que c’est ! On voit cependant que certaines démocratures peuvent être prises à leur propre piège. Les prochaines élections en Turquie sont à suivre de très près à ce titre, car l’opposition a eu l’intelligence de ne pas se disperser. On sent que le régime autoritaire d’Erdogan est inquiet. Si la population vote et que le scrutin est surveillé, il pourrait se passer la même chose qu’au Chili, lorsque Pinochet a été écarté. Les régimes peuvent tomber. Les dictatures comme les démocraties.

Vous considérez qu’en France, par exemple, la démocratie pourrait tomber ?

Je l’écris. D’abord, parce qu’il existe tout un courant de pensée, notamment à Sciences Po, qui estime que distinguer la dictature de la démocratie n’est pas pertinent. Pour faire court, les partisans de Bourdieu ont envahi l’institution. Je considère, pour ma part, qu’il faut nommer les choses et les définir.

LIRE AUSSI. Réforme des retraites. 49.3 : les syndicalistes corses dénoncent un « déni de démocratie »

Vous listez l’islamisme comme le premier des courants qui pourrait mener à un régime autoritaire…

L’islamisme, et notamment celui qui est théorisé par les Frères musulmans, est bien plus une stratégie politique qu’une religion. Le frérisme, c’est l’une des branches du nationalisme égyptien au moment de la décolonisation. En Europe – c’est-à-dire en terre impie selon leur conception – ils pratiquent la taqiya (pratique qui consiste à masquer en partie ses buts et ses idées).

Le but, c’est de s’appuyer sur les musulmans pour créer un état islamique, à terme. Parallèlement et paradoxalement, ils ont le soutien du courant woke qui nous vient des États-Unis et a les faveurs d’une grande partie de la gauche. Quand on sait comment les femmes ou les homosexuels sont considérés par les Frères musulmans et quel est le sort qui leur est réservé dans les pays où ils ont le pouvoir, ça fait froid dans le dos. Mais ce n’est peut-être pas si paradoxal. Dans le wokisme, il y a un fond de puritanisme, de rigidité. L’islamisme et le wokisme sont des sortes de religions séculières qui fonctionnent sur des séries d’interdits et d’obligations et ont pris comme postulat d’adopter systématiquement une posture victimaire. En tant que laïque, cela m’insupporte.

« La technocratie a aussi une dimension autoritaire »

Des exemples ?

Un qui me vient à l’esprit. Lorsque par exemple, on nous dit que l’on doit prendre comme postulat qu’il faut systématiquement croire la parole des femmes dans la mesure où les hommes seraient des bourreaux par essence. J’ai adhéré au MLF à l’âge de 16 ans. Bien sûr, les femmes n’étaient pas suffisamment écoutées. Mais les cantonner au rôle de victime et vouloir nier qu’elles peuvent mentir, qu’elles sont capables de nuire ou de se venger, c’est aussi une manière de les exclure de l’espèce humaine. De même, lorsqu’on parle de racisme. Notre pays a participé à l’esclavage, à un moment de son histoire.

Il ne s’agit pas de dire que c’est bien ou de l’oublier.

À condition de ne pas oublier que l’esclavage n’a pas été inventé en Europe et surtout qu’il continue d’être pratiqué dans le monde et particulièrement dans les pays de la péninsule arabique.

LIRE AUSSI. Renée Fregosi pourfend « les nouveaux autoritaires »

Vous ne parlez pas de l’extrême droite ?

Je parle de Marine le Pen et du RN. Son parti et elle-même viennent de l’extrême droite mais aujourd’hui, je les définis comme populistes. C’est tout aussi dangereux. Le populisme, c’est la dictature de Peron en Argentine. Le populisme a, en germe, les composantes des régimes autoritaires. Mais ce n’est plus tout à fait l’extrême droite même s’il en est issu.

Deux possibilités donc de basculer dans la dictature. Il semblerait que vous renvoyez dos à dos ce que le gouvernement et plus généralement les macronistes appellent « les extrêmes »…

Ce courant de pensée a, tout autant que les précédents, une dimension autoritaire. Et je l’écris aussi. C’est la technocratie. Là aussi, il y a une parole d’orthodoxie, notamment en matière budgétaire. On explique aux populations qu’elles n’ont pas le choix. Et on affaiblit la classe moyenne. Or, la classe moyenne, c’est ce qui conditionne la vivacité d’une démocratie.

Sans espoir donc ?

Jamais. Mais à condition de rester lucide.

1955

Naissance à Ajaccio.

1971

À 16 ans, elle adhère au MLF.

1976

Elle adhère au PS alors qu’elle est étudiante.

2001

Elle intègre l’Institut des hautes études d’Amérique latine à l’université Sorbonne nouvelle en tant qu’enseignant-chercheur après deux thèses en philosophie et en sciences politiques et après une carrière politique au sein du PS.

2021

Son avant-dernier ouvrage (parmi une dizaine de livres publiés depuis 1997) Comment je n’ai pas fait carrière au PS marque sa rupture avec le PS. Son œuvre, dans son ensemble, traite principalement de laïcité, de démocratie et de l’Amérique latine.

 

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