Dans un grand élan de générosité, de nombreux scientifiques, et même des présidents d’université, se sont engagés à accueillir les chercheurs américains en butte à un pouvoir dictatorial qui les prive des crédits de recherche parce que leur projet ou leur champ disciplinaire déplaît à des tyrans incompétents, ou simplement parce que tel ou tel mot interdit figure dans leur programme.
Cela est bel et bon et nous y souscrivons pleinement : les scientifiques doivent se serrer les coudes quand la science est menacée. Oui, mais il faut le faire pour TOUS CEUX qui sont ainsi menacés ! La défense de la science a bon dos. Les chercheurs français ne se sont guère manifestés lorsque des scientifiques américains ont été inquiétés, menacés, ostracisés, privés de crédits, suspendus, voire révoqués pour délit d’opinion. Personne n’a alors suggéré de les accueillir en France. Le soupçon de partialité est d’autant plus fort que, parmi les chercheurs mobilisés, nombreux sont ceux qui n’ont pas hésité, ces dernières années, à s’ériger en conscience morale. Comme souvent, ce sont ceux qui mélangent allègrement les genres entre science et politique qui ont le moins de scrupule à se présenter comme les parangons de l’idéal scientifique. Avons-nous entendu UN SEUL scientifique de ce bel élan Stand up for Science s’insurger…
- … quand Elizabeth Weiss a été bannie de son laboratoire et des collections anthropologiques qu’elle étudiait parce qu’elle avait posé avec un crâne amérindien dans les mains ?
- … quand Bret Weinstein a été conspué avec violence par des étudiants sur le campus d’Evergreen et a été contraint de démissionner, avec sa collègue et épouse Heather Heying ?
- … quand Verushka Lieutenant-Duval a été suspendue par l’université d’Ottawa pour avoir prononcé dans un cours de métalinguistique le mot tabou « nigger » ?
- … quand Nicholas et Erika Christakis ont été conduits à la démission par des étudiants excités et intolérants qui les accusait (entre autres accusations fumeuses) de vouloir créer un espace intellectuel à Yale au lieu d’y créer un safe space ?
- … quand Richard Bilkszto, principal de collège de l’académie de Toronto, a été acculé au suicide après qu’une furie de l’antiracisme de type woke l’eut traité avec insistance de « suprémaciste blanc » et l’eut dénoncé aux autorités, ce qui avait entraîné son licenciement ?
- … quand, sur le campus de Columbia et quelques autres, des étudiants antisémites ont harcelé moralement et brutalisé physiquement des étudiants juifs ?
Tout cela, ce sont des faits… Et il y a des personnes derrière ces faits. Des scientifiques, des chercheurs, des enseignants honorables dont la carrière a été brisée, voire détruite. En voici quelques-uns, chacun peut en trouver d’autres. Et ne parlons pas de faits analogues qui se sont déroulés en France où un enseignant-chercheur, pour ne prendre qu’un exemple, a été condamné à deux ans de suspension pour des faits analogues, un fait non isolé qui n’a pas été dénoncé vigoureusement. L’indignation sélective de nos collègues de Stand up for Science a quelque chose de partial et de partiel et c’est la raison pour laquelle nous sommes un certain nombre à refuser de nous y joindre.
Nos scientifiques mobilisés font abstraction des nombreuses dérives militantes qui ont été pointées, notamment par notre Observatoire. Quel est le rapport entre la science et les programmes de DEI (Diversity, equity, inclusion) qui ont été développés avec enthousiasme dans nombre d’universités ? Est-il sérieux de confondre l’arrêt de ces programmes avec une suspension des financements de la recherche, comme le fait une récente tribune du Monde ? Les opérations de DEI n’ont rien à voir avec la science et leur suppression relève d’une saine gestion quand on voit les sommes incroyables qui leur étaient consacrées, au point que le New York Times lui-même s’en est alarmé. Le campus de l’université du Michigan à Ann Arbor avait recruté au total 16 000 nonfaculty employees, plus de deux fois le nombre de faculty members… La National Science Foundation, dans le domaine des sciences physiques, a focalisé sur le DEI près de 10 % de ses subventions, totalisant 675 millions de dollars de crédits.
Les scientifiques français s’insurgent contre le fait que certains mots risquent d’être proscrits si nos collègues veulent accéder aux financements fédéraux. Ils oublient que le langage est devenu un champ de bataille. Cela fait plusieurs années que le « politiquement correct » s’est développé sur les campus américains où la langue est exploitée sans vergogne dans le but d’imposer de nouvelles idéologies, avec en particulier un étrange usage des pronoms. Un vocabulaire codé a été mis en place, notamment autour de la « théorie du genre ». Il n’est donc pas étonnant que des expressions comme « corps avec vagin » pour désigner une femme ou « sexe attribué à la naissance » au lieu de sexe biologique figurent maintenant sur la liste noire des institutions académiques américaines. Le plus obscurantiste est-il celui qui s’oppose à ces expressions ou celui qui les cautionne ?
Le même problème se pose en France. Trop de collègues ont laissé courir des idéologies qui n’ont rien à voir avec la science, quand ils ne les ont pas eux-mêmes soutenues et encouragées. Des concepts aussi fumeux que « racisme systémique » ou « patriarcat » ont été brandis pour décrire la société française sans rencontrer beaucoup de résistance. La diffusion de l’islamo-gauchisme a été niée, y compris par le CNRS et les présidents d’universités. Les manifestations propalestiniennes et antisémites qui se sont produites dans les grandes écoles et les universités, où un accueil triomphal a parfois été réservé aux partisans du Hamas, ont permis de prendre la mesure de l’étendue du désastre.
Nous souhaitons vivement que soient accueillis en France des scientifiques américains, mais si c’est pour y développer des « études de genre », des « études de race », des « études décoloniales » ou des « études de gras », non : nous avons déjà tout cela chez nous ! Les objectifs du DEI sont nobles, mais ont été dévoyés, dans une exagération invraisemblable, par des idéologues qui y ont vu une fin en soi, et non un moyen d’améliorer la justice sociale, ce qui est le désir de tous.