Read More Avr / 06 6 avril 2023 By / Oguz Aziz / C’est une étude inédite. L’Association des journalistes LGBTI+ (AJL) a présenté jeudi 30 mars à l’Institut Pratique du Journalisme de Paris son travail sur le traitement des transidentités dans les médias. Comment un sujet jusqu’ici invisibilisé a viré à l’obsession médiatique chez des titres tels que Le Figaro ou Marianne ? Décryptage.
Transidentités : de l’invisibilité à l’obsession médiatique L‘AJL a scruté pendant quatre mois – d’août à novembre 2022 – le contenu des 21 premiers sites de médias nationaux, de 20 Minutes à BFM en passant par Le Monde, France Info, L’Équipe ou encore Les Echos. Au total, l’association a référencé 434 contenus pendant cette période sur les transidentités, les classant selon trois critères : de « bonne qualité », « à améliorer » ou de « mauvaise qualité ». Environ 55% des articles sont décrits comme de bonne qualité car ils ne comportent pas de mégenrage (désigner une femme trans comme un homme par exemple) ni de « deadname » (ou le morinom, le prénom assigné à la naissance mais abandonné par la personne suite à sa transition), et « évitent des clichés éculés et hors-sujet, ou des propos discriminatoires sur les personnes trans », décrit l’étude. Pour le reste, 19% sont classés « à améliorer » : cela concerne des articles qui font preuve de maladresse, « même s’il n’y a pas une intention de mal faire », précise Camille Regache, journaliste et coordinatrice de l’étude. Dans ce cas, est classé un article de BFM qui écrit transsexuels au lieu de transgenres. Enfin, 25% sont de « mauvaise qualité ». Dans cette dernière catégorie sont classés « les articles instrumentalisant ou diabolisant les personnes trans, les opposant aux femmes ou suggérant que les personnes trans sont un danger ». A l’initiative de la table ronde organisée à l’IPJ Paris le 30 mars dernier, l’AJL encourage les médias à traiter des transidentités avec déontologie et sans stéréotypes. © Aziz Oguz La coordinatrice de l’étude parle d’abord du positif : la quantité d’articles produits sur la période, avec des angles originaux, plus respectueux, serait la preuve que les transidentités sont sorties de l’invisibilité, devenant un sujet légitime. « C’est quelque chose de nouveau, avec des articles sans voyeurisme, sans fétichisation des personnes trans », explique-t-elle. Les médias donnent plus volontiers la parole aux personnes concernées, qu’elles soient anonymes ou connues. Le Monde, par exemple, a réalisé une interview de Chelsea Manning à l’occasion de la sortie de ses mémoires, en la présentant avant tout comme une lanceuse d’alerte. Sa transidentité est mentionnée par rapport à ses conditions de détention. Des célébrités trans sont traitées de « people » comme les autres, à l’instar de l’actrice et influenceuse trans Meryl Bie, découverte dans le feuilleton « Plus belle la vie ». Il est aussi question de transidentités dans des articles liés au sport. Tous ces articles témoignent ainsi d’une certaine normalisation des personnes trans dans la sphère médiatique. Néanmoins, Camille Regache regrette que seul un article sur deux soit de bonne qualité sur les transidentités. « Aujourd’hui en 2023, on considère qu’un traitement de bonne qualité doit être la base dans les médias mainstream. On ne peut pas accepter que des rédactions passent à côté de nos recommandations », dit-elle, en renvoyant vers le kit de l’AJL à l’usage des rédactions, lancé en 2014 et actualisé en 2019, sur la bonne manière de parler des personnes LGBT, dont les personnes transgenres. Et l’étude, note que, « même lorsque les lignes éditoriales sont cohérentes, le traitement des sujets ayant trait aux personnes transgenres peut varier au sein d’un même média, selon la rubrique ou la plume ». Le bon traitement médiatique des transidentités dépend souvent des bonnes volontés individuelles, d’un ou deux journalistes dans une rédaction. Présente à la table ronde de l’AJL, la co-présidente de l’association OUTrans, Anaïs Perrin-Prevelle, remarque en effet que des articles défavorables aux transidentités ne se cantonnent plus qu’aux médias de droite, comme Valeurs Actuelles, Le Point ou Le Figaro. « Maintenant y compris dans Le Monde ou à Libération, on peut avoir un article très positif, et derrière un autre article [négatif] qui vient tout péter », regrette-t-elle. A titre d’exemple, Les Echos ou La Croix produisent aussi des articles de bonne qualité, avec une part importante de contenus de mauvaise qualité, respectivement de 41,7% et 37,5%. Pour Camille Regache, c’est la responsabilité des rédactions en chef et des directions des médias de former les journalistes sur ce sujet. Dans le cadre de son action chez OUTrans, Anaïs Perrin-Prevelle affirme qu’elle « n’a pas formé une seule rédaction, pas un seul journaliste ». « A l’AFP, on considère qu’on a une responsabilité sur la représentation des minorités, dont des personnes transgenre », explique pour sa part Jessica Lopez, journaliste à l’AFP et nommée adjointe en septembre 2022 à la rédaction en chef sur les questions de genre et de diversité. Dans l’étude, 77% des articles de l’agence sont ainsi jugés de bonne qualité, contre 4% de mauvaise qualité et 19% à améliorer. « En 2021, on a actualisé notre ligne éditoriale sur les questions de genre (s’inspirant du kit de l’AJL). Pour tous les journalistes, on a le manuel de l’agencier. Pour les personnes transgenres, on y explique par exemple pourquoi on n’écrit pas transexuels, pourquoi le deadname est à éviter. Même si encore récemment, le terme transexuel a été utilisé dans une dépêche. Mais on répète le message. Cela infuse », détaille-t-elle, disant qu’elle compte former à l’avenir des journalistes de l’agence sur le sujet. Novembre 2022, Le Figaro – © Etude « Transidentités dans les médias » AJL L’étude montre longuement que les transidentités sont devenues un nouveau marqueur dans des lignes éditoriales à droite. Elle constate « une obsession de certains médias ». Ces rédactions s’emparent de ces sujets pour « instrumentaliser les personnes trans, nier leur humanité et leurs droits au service d’une stratégie éditoriale réactionnaire ». L’AJL classe en tête de ces médias conservateurs Le Figaro, Le Point, Marianne et L’Express, avec respectivement 73%, 67%, 75% et 75% de contenus de « mauvaise qualité » et « à améliorer ». Ces titres produisent des articles sans lien avec une actualité. Décrivant une société perdant ses valeurs qui serait en danger, « ils sont complètement hors sols et ils participent à créer une panique morale, tout cela au service d’un agenda conservateur », décrypte Camille Regache. Sous couvert de débats et d’opinions, ces titres relaient souvent des propos haineux ou sensationnalistes. Le Figaro est particulièrement épinglé, étant décrit comme « une vitrine pour les discours transphobes, souvent par l’intermédiaire de tribunes ou d’éditos de journalistes ou de personnalités publiques », par l’AJL. La situation des plus jeunes est souvent instrumentalisée pour s’attaquer aux transidentités. « Ils essayent de faire peur, en disant que l’idéologie woke serait en train de pervertir nos enfants », dénonce Anaïs Perrin-Prevelle. Mais la militante rappelle que « depuis 2016, l’identité de genre est protégée par la loi. On n’a pas le droit de faire de l’injure, de la diffamation, d’inciter à la haine, en raison de l’identité de genre. Remettre en cause l’identité de genre d’une personne, même d’un enfant, c’est de la transphobie et c’est puni par la loi. » Aziz Oguz Le site de l’étude : https://transidentites.ajlgbt.info/
Avr / 06
6 avril 2023 By / Oguz Aziz /
C’est une étude inédite. L’Association des journalistes LGBTI+ (AJL) a présenté jeudi 30 mars à l’Institut Pratique du Journalisme de Paris son travail sur le traitement des transidentités dans les médias. Comment un sujet jusqu’ici invisibilisé a viré à l’obsession médiatique chez des titres tels que Le Figaro ou Marianne ? Décryptage.
Transidentités : de l’invisibilité à l’obsession médiatique
L‘AJL a scruté pendant quatre mois – d’août à novembre 2022 – le contenu des 21 premiers sites de médias nationaux, de 20 Minutes à BFM en passant par Le Monde, France Info, L’Équipe ou encore Les Echos. Au total, l’association a référencé 434 contenus pendant cette période sur les transidentités, les classant selon trois critères : de « bonne qualité », « à améliorer » ou de « mauvaise qualité ». Environ 55% des articles sont décrits comme de bonne qualité car ils ne comportent pas de mégenrage (désigner une femme trans comme un homme par exemple) ni de « deadname » (ou le morinom, le prénom assigné à la naissance mais abandonné par la personne suite à sa transition), et « évitent des clichés éculés et hors-sujet, ou des propos discriminatoires sur les personnes trans », décrit l’étude. Pour le reste, 19% sont classés « à améliorer » : cela concerne des articles qui font preuve de maladresse, « même s’il n’y a pas une intention de mal faire », précise Camille Regache, journaliste et coordinatrice de l’étude. Dans ce cas, est classé un article de BFM qui écrit transsexuels au lieu de transgenres. Enfin, 25% sont de « mauvaise qualité ». Dans cette dernière catégorie sont classés « les articles instrumentalisant ou diabolisant les personnes trans, les opposant aux femmes ou suggérant que les personnes trans sont un danger ».
A l’initiative de la table ronde organisée à l’IPJ Paris le 30 mars dernier, l’AJL encourage les médias à traiter des transidentités avec déontologie et sans stéréotypes. © Aziz Oguz
La coordinatrice de l’étude parle d’abord du positif : la quantité d’articles produits sur la période, avec des angles originaux, plus respectueux, serait la preuve que les transidentités sont sorties de l’invisibilité, devenant un sujet légitime. « C’est quelque chose de nouveau, avec des articles sans voyeurisme, sans fétichisation des personnes trans », explique-t-elle. Les médias donnent plus volontiers la parole aux personnes concernées, qu’elles soient anonymes ou connues. Le Monde, par exemple, a réalisé une interview de Chelsea Manning à l’occasion de la sortie de ses mémoires, en la présentant avant tout comme une lanceuse d’alerte. Sa transidentité est mentionnée par rapport à ses conditions de détention. Des célébrités trans sont traitées de « people » comme les autres, à l’instar de l’actrice et influenceuse trans Meryl Bie, découverte dans le feuilleton « Plus belle la vie ». Il est aussi question de transidentités dans des articles liés au sport. Tous ces articles témoignent ainsi d’une certaine normalisation des personnes trans dans la sphère médiatique.
Néanmoins, Camille Regache regrette que seul un article sur deux soit de bonne qualité sur les transidentités. « Aujourd’hui en 2023, on considère qu’un traitement de bonne qualité doit être la base dans les médias mainstream. On ne peut pas accepter que des rédactions passent à côté de nos recommandations », dit-elle, en renvoyant vers le kit de l’AJL à l’usage des rédactions, lancé en 2014 et actualisé en 2019, sur la bonne manière de parler des personnes LGBT, dont les personnes transgenres. Et l’étude, note que, « même lorsque les lignes éditoriales sont cohérentes, le traitement des sujets ayant trait aux personnes transgenres peut varier au sein d’un même média, selon la rubrique ou la plume ». Le bon traitement médiatique des transidentités dépend souvent des bonnes volontés individuelles, d’un ou deux journalistes dans une rédaction. Présente à la table ronde de l’AJL, la co-présidente de l’association OUTrans, Anaïs Perrin-Prevelle, remarque en effet que des articles défavorables aux transidentités ne se cantonnent plus qu’aux médias de droite, comme Valeurs Actuelles, Le Point ou Le Figaro. « Maintenant y compris dans Le Monde ou à Libération, on peut avoir un article très positif, et derrière un autre article [négatif] qui vient tout péter », regrette-t-elle. A titre d’exemple, Les Echos ou La Croix produisent aussi des articles de bonne qualité, avec une part importante de contenus de mauvaise qualité, respectivement de 41,7% et 37,5%.
Pour Camille Regache, c’est la responsabilité des rédactions en chef et des directions des médias de former les journalistes sur ce sujet. Dans le cadre de son action chez OUTrans, Anaïs Perrin-Prevelle affirme qu’elle « n’a pas formé une seule rédaction, pas un seul journaliste ». « A l’AFP, on considère qu’on a une responsabilité sur la représentation des minorités, dont des personnes transgenre », explique pour sa part Jessica Lopez, journaliste à l’AFP et nommée adjointe en septembre 2022 à la rédaction en chef sur les questions de genre et de diversité. Dans l’étude, 77% des articles de l’agence sont ainsi jugés de bonne qualité, contre 4% de mauvaise qualité et 19% à améliorer. « En 2021, on a actualisé notre ligne éditoriale sur les questions de genre (s’inspirant du kit de l’AJL). Pour tous les journalistes, on a le manuel de l’agencier. Pour les personnes transgenres, on y explique par exemple pourquoi on n’écrit pas transexuels, pourquoi le deadname est à éviter. Même si encore récemment, le terme transexuel a été utilisé dans une dépêche. Mais on répète le message. Cela infuse », détaille-t-elle, disant qu’elle compte former à l’avenir des journalistes de l’agence sur le sujet.
Novembre 2022, Le Figaro – © Etude « Transidentités dans les médias » AJL
L’étude montre longuement que les transidentités sont devenues un nouveau marqueur dans des lignes éditoriales à droite. Elle constate « une obsession de certains médias ». Ces rédactions s’emparent de ces sujets pour « instrumentaliser les personnes trans, nier leur humanité et leurs droits au service d’une stratégie éditoriale réactionnaire ». L’AJL classe en tête de ces médias conservateurs Le Figaro, Le Point, Marianne et L’Express, avec respectivement 73%, 67%, 75% et 75% de contenus de « mauvaise qualité » et « à améliorer ». Ces titres produisent des articles sans lien avec une actualité. Décrivant une société perdant ses valeurs qui serait en danger, « ils sont complètement hors sols et ils participent à créer une panique morale, tout cela au service d’un agenda conservateur », décrypte Camille Regache. Sous couvert de débats et d’opinions, ces titres relaient souvent des propos haineux ou sensationnalistes. Le Figaro est particulièrement épinglé, étant décrit comme « une vitrine pour les discours transphobes, souvent par l’intermédiaire de tribunes ou d’éditos de journalistes ou de personnalités publiques », par l’AJL. La situation des plus jeunes est souvent instrumentalisée pour s’attaquer aux transidentités. « Ils essayent de faire peur, en disant que l’idéologie woke serait en train de pervertir nos enfants », dénonce Anaïs Perrin-Prevelle. Mais la militante rappelle que « depuis 2016, l’identité de genre est protégée par la loi. On n’a pas le droit de faire de l’injure, de la diffamation, d’inciter à la haine, en raison de l’identité de genre. Remettre en cause l’identité de genre d’une personne, même d’un enfant, c’est de la transphobie et c’est puni par la loi. »
Aziz Oguz
Le site de l’étude : https://transidentites.ajlgbt.info/
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