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Les Propos de Sandra Laugier, LCP, « Genre, race : la dictature des identités ? » | Ça Vous Regarde – 05/03/2021

par Caroline VALENTIN

Invités : – Sandra Laugier, philosophe et professeur à la Sorbonne- Etienne Girard, journaliste à l’Express- Xavier-Laurent Salvador, professeur d’université, fondateur de l’observatoire du décolonialisme- Louise Jussian, chargé d’étude au département opinion à l’Ifop
Retranscription Sandra Laugier.

https://www.youtube.com/watch?v=c8mJ58ItjJM



12’55’’ : il y a peut-être 4-5 formations sur le genre en France dont une dans son université. Les enseignements sur la race et l’intersectionnalité sont aussi très ponctuels. Donc on en fait trop, on fait comme s’ils envahissaient les universités car on veut les attaquer. 


[SL n’est pas choquée qu’une traductrice néerlandaise renonce à traduire la poétesse noire américaine]

SL : Dans les universités les étudiants sont souvent très intéressés par ces thématiques qui ne sont pas toujours nées aux US, au contraire, le féminisme est né en France, dire qu’on est sous l’influence des US est très méprisant pour la pensée française.Dire que ces idées là vont conduire à la militante .. De toute façon, an a un nombre très important de chercheurs, d’enseignants, en sciences sociales, en France, pas seulement dans ces disciplines, ce ne sont pas tous des militants, ils ne vont pas tous transformer leurs étudiants en militants et puis de toute façon beaucoup de recherches viennent des combats politiques. S’il n’y avait pas eu les combats contre le racisme aux US, on n’aurait pas d’études en sciences sociales de lutte contre le racisme, s’il n’y avait pas eu les combats féministes, on n’aurait pas les études de genre. 


Pendant que XLS parle du rapport de Pap NDiaye et de Constance Rivière sur la diversité à l’Opéra de Paris et du Brown paper bag test, SL commente le concept de race en disant qu’il consiste à « dire qu’il y a des blancs et des noirs » (en ricanant). Echange:

XLS : le concept de race réactive des imaginaires politiques qui mettent en danger ou qui en tout cas interpellent violemment l’institution universitaire et l’institution scolaire. 
SL : je crois que ce sont vos imaginaires qui sont réactivés en l’occurrence
XLS : parce que nous avons des imaginaires politiques construits sur l’imaginaire des Lumières et depuis bien longtemps [inaudible à cause de la présentatrice] lutter contre ça.


Discussions sur le plateau entre la présentatrice et Etienne Girard sur le fait que ces idéologies mettent l’universalisme en échec. 

Réponse de SL : je ne crois pas du tout à ce que je viens d’entendre, je crois que toutes ces générations sont universalistes et elles considèrent que ce qui se dit universaliste est en réalité un modèle hypocrite et archi-faux. Par exemple on va dire c’est universaliste on ne fait pas différence entre par exemple les blancs et les noirs ou les personnes .. mais en réalité il y a d’énormes différences sociales, ils sont dans des situations sociales très différentes, exactement comme les hommes et les femmes, il y a effectivement des hommes et des femmes, personne ne va le nier, 
Journaliste : peut-on généraliser ? Il y a des Français noirs ou maghrébins qui réussissent très bien dans la République 
SL : oui mais de façon globale, c’est là que les sciences sociales sont intéressantes et mes collègues les connaissent très bien, c’est vrai que c’est beaucoup plus difficile, les situations des personnes d’origine étrangère, on l’a vu même avec les pourcentages des morts du COVID etc sont en réalité beaucoup moins bien traitées dans des positions sociales …
Journaliste : mais c’est pour des raisons sociales pas simplement pour des raisons d’identité, de religion ou de couleur de peau
SL : mais oui, mais bien entendu, mais c’est ça en fait réfléchir sur la race ou le genre, c’est dire qu’li y a des différences effectivement entre hommes et femmes, entre blancs et noirs mais qu’il n’y aucune raison – donc c’est nous les vrais universalistes – que ces différences entraînent autant d’inégalités. Donc ce que ces gens demandent, c’est un véritable universalisme où les gens seraient réellement égaux.
XLS : je pense que les vrais universalistes ce sont nous. Sur le privilège blanc ? Voyez Germinal de Zola, les mineurs qui allaient dans les mines pour travailler et y mourir. Le « privilège blanc » réactive un imaginaire extraordinairement clivant. [s’adressant à la journaliste] vous avez raison de dire que c’est un problème social, ni ethnique, ni racial. On voit bien que quand on aborde la question de la race, on glisse insensiblement vers la question du social, car finalement ça arrangerait tout le monde  qu’on reste sur le social, car c’est du politiquement correct et de l’admissible, mais le problème est qu’on ne parle pas de social mais de racial.
SL : parce que la race a des conséquences sociales 
XLS : c’est une métonymie de dire qu’on passe du racial au social, c’est un glissement de sens de dire que c’est du racial au social, et les métonymies c’est parfois un peu compliqué 
[reprenant le fil de son discours interrompu par SL] et le problème dans cette configuration là c’est qu’on est confronté à quelque chose qui est systématiquement clivant 
Journaliste : métonymie ? 
XLS : on l’emploie tout le temps, c’est une figure de glissement de sens. C’est ce qui fait qu’on ne dit pas un bateau mais on dit le mât, on ne dit pas l’eau mais on dir le verre …
Journaliste : et du racial au social ?
XLS : et du racial au social, c’est une métonymie qui consisterait à dire « je ne parle pas de la race mais en fait je parle du social » mais en fait je parle de la race. Et ça c’est une figure de style qu’il faut dénoncer. 
SL : personne ne fait cette figure de style. On dit juste que la race, ce qui est un concept critique comme le genre, c’est de dire justement que des différences de race vont conduire en fait à des inégalités sociales et c’est ça …
XLS : la race est une essentialisation, ce n’est pas un concept critique.


Discussion entre la journaliste et Etienne Girard sur pourquoi on en est là, la porosité avec le modèle américain. Influence de la pop culture américaine, de passeurs intellectuels qui ont fait passer des concepts américains vers la france. Ce qui est gênant ce n’est pas qu’ils sont américains mais qu’ils ne sont pas universalistes. « Privilège blanc » notamment, qui ne parle que de la race, la couleur de la peau, il n’y a aucune intersectionnalité avec la classe. La journaliste indique qu’aux US, il y a des professeurs qui s’excusent d’être des blancs privilégiés.


SL : c’est vrai qu’aux US, la majorité des professeurs d’université sont blancs pour des raisons historiques, sociales, en France c’est la même chose, et en France personne ne s’en excuse mais je crois que  la question, c’est justement de la savoir et quand on parle de « privilège blanc », c’est vraiment une expression qui est arrivée au moment où ce sont en fait les blancs eux-mêmes qui se sont rendus compte qu’ils étaient favorisés par le fait d’être blancs alors qu’effectivement il y a toujours cette illusion que l’on vient encore d’entendre formulée que tout le monde est traité pareil, qu’il n’y aucune différence …
Etienne Girard : Ah non non je ne dis pas ça du tout 
SL : si vous ne dites pas ça c’est que vous reconnaissez qu’être blanc c’est malgré tout une aide par rapport à être noir ou être d’origine…. 
XLS : on peut recontextualiser peut-être le débat. Etre blanc n’importe où ?
SL : par exemple, les noirs qui essayent d’arrêter un taxi, dans notre pays, c’est beaucoup plus difficile, voilà, le privilège blanc, c’est vraiment immédiat, le fait que les personnes d’origine étrangère en France, il y a eu beaucoup plus de victimes du covid parce qu’ils sont dans des régions aussi défavorisées, 

Journaliste : on en parlera d’ailleurs tout à l’heure sur votre livre 
SL : voilà, c’est des données, c’est pas un privilège au sens d’une accusation morale, c’est que, de fait, il y a simplement une prise de conscience de beaucoup de gens du fait qu’ils ont été favorisés par là comme par d’autres facteurs. 
XLS : je vais être un peu taquin mais je me demande si l’on oserait par exemple défendre l’idée d’un privilège autochtone qui serait recontextualisé dans chaque civilisation. Et je pense que l’on aurait peut-être quelques difficultés à avancer dans ce débat en regardant par exemple le fonctionnement des privilèges autochtones dans les différentes civilisations. Mais vous voyez que progressivement on glisse dans un débat qui est extrêmement intéressant car il révèle en fait une volonté de clivage. Nous nous pensons par exemple que l’école est la solution, que la démocratie est la solution. Et quand les idées seront portées par les politiques et aboutiront démocratiquement dans le débat, sans doute sera-t-il temps peut-être de s’en saisir. Mais quand on réintroduit l’idée que la langue nous appartient, à nous, – je cite le titre d’un livre de Maria Candela et Laélia Véron – mais à qui ce « nous » s’oppose-t-il ? Quand je dis « privilège blanc », mais ce blanc s’oppose à quelle autre couleur ? A combien de nuances de gris doit-on s’opposer pour pouvoir comprendre le sens de cette expression ? 


Journaliste présente un sujet par une autre journaliste : dans l’express, l’ifop a fait un sondage 

les idées woke sont mal connues par les Français. Ça commence à infuser dans l’opinion publique mais ça reste marginal. Dans la batterie d’item proposés, Seul 4 passaient le cap des 50% : le privilège blanc, la culture du viol, les études de genre, l’écriture inclusive. Concepts utilisés par les médias depuis quelques temps et c’est comme cela qu’ils entrent dans l’opinion publique. 

connaissance de ces termes très marquées, par l’âge – les jeunes sont beaucoup plus woke – et les diplômes – les plus diplômés sont plus woke. 

Sondage sur la laïcité et les jeunes : Ifop et Licra (sondages Samuel Paty). Images sur la rencontre du 22 octobre 2020 de la ministre chargée de la jeunesse, Sarah El Haïry, venue clôturer 4 jours de débats sur la laïcité avec une centaine de jeunes venus de toute la France. Dialogue de sourds avec des jeunes qui veulent autoriser le voile à l’école. Un point de vue largement partagé par la jeunesse : 52% des jeunes sont favorables au port de signes religieux dans les lycées publics contre 25% des Français. De manière générale, les jeunes jugent plus durement que leurs aînés la laïcité à la française. 37% des lycéens estiment que les grandes lois (1905, 2004) sont « discriminatoires envers les musulmans ». Le droit au blasphème garanti depuis 1881 en France est de moins en moins accepté. Selon l’IFOP, véritable clivage entre les musulmans et le reste de la jeunesse : 78% des musulmans s’opposent au droit de blasphémer, contre 45% des catholiques et 47% des sans religion. Parmi les jeunes qui se disent musulmans, 88% seraient pour revenir au port de signes religieux au sein de l’établissement scolaire. Mais la journaliste IFOP précise que cela ne signifie pas un rejet de la laïcité, c’est qu’ils la voient différemment, ils ne la construisent pas, ils ne la pensent pas de la même manière que leurs aînés, ils la voient au prisme de l’inclusivité. ils n’ont pas de problèmes avec le port des signes religieux ostensibles dans l’espace public, ils considèrent que c’est un moyen d’atteindre une forme d’égalité et de liberté. Opposition au droit au blasphème : peur de discriminer. 

Journaliste : XLS, le combat laïque est perdu ? 

XLS : il est perdu si personne ne se bat. Mais on est confronté à un choix de civilisation ou à un choix de société. Le problème si vous voulez , on l’a un peu résumé nous sur le site, c’est qu’on a fini en fait par instaurer l’idée que l’école était le lieu de la colonisation, je vous raconterai une anecdote à ce sujet, et que la France était elle-même coloniale dans ses propres écoles. 
L’école, c’est coloniser les esprits, coloniser, c’est mal, donc l’école, c’est mal.

[SL s’agite en secouant la tête]

Je le porte ce discours, je vous donnerai l’exemple que j’ai eu dans mes cours un jour, il y a très peu de temps, je faisais cours sur Charlemagne, je parlais de l’école, pourquoi l’école, et une étudiante me dit, ce qui ne m’était jamais arrivé, « ah oui l’école c’est pour les acculturer ». « Pardon ? Pour les acculturer ? Pour les éduquer vous voulez dire ». « Ah non ! Les acculturer, écraser leur culture autochtone ». J’étais sidéré ! Donc on a fait 35 minutes en plein cours d’ancien français sur la laïcité. Je pense que l’école de demain, les professeurs d’après-demain, ils se construisent dans l’université d’aujourd’hui. C’est aussi l’une des raisons qui nous ont amenés à nous mobiliser.. 

Journaliste : et à vous battre au sein de l’observatoire et à réagir toutes les fois qu’une conférence n’est pas possible ..

XLS : exactement, quand vous voyez ce qui se passe à Grenoble en ce moment-même, Kinzler et notre collègue Vincent Tournier pointés du doigt alors qu’ils sont politistes, qu’on les pointe pour islamophobie et qu’on affiche leurs noms à l’entrée de l’université, quand vous voyez les associations étudiantes embrayer sur ce problème-là, je pense qu’aujourd’hui, on peut se doter d’un outil qui consiste simplement à regarder ce qui se passe. On verra ce qu’on en fait !

Journaliste : SL vous aurez le mot de la fin là-dessus. La laïcité c’est un pilier de notre constitution ? 

SL : oui bien sûr 

Journaliste : … Les expressions religieuses n’ont pas droit de cité au sein des établissements publics et a fortiori le sanctuaire de l’école or la jeunesse n’a pas l’air de le comprendre …

SL : Et c’est un principe très très important mais tous les jeunes qu’on entend là ben ils ont grandi aussi au milieu de toutes sortes d’autres jeunes d’origine étrangère etc donc ils savent que même si la laïcité c’est un très beau principe, il est constamment utilisé et pointé en fait contre certaines personnes, contre certaines religions, et donc du coup le terme effectivement et je trouve que c’est vraiment dommage il a perdu sa force et son aura parce qu’il a été utilisé pour stigmatiser. 

Xavier-Laurent Salvador

Xavier-Laurent Salvador

Linguiste, Président du LAIC