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Le SPD et la politique des identités

par Heiner Wittmann 
www.romanistik.info

7 mars 2021

LE SPD et la politique des identités: Wolfgang Thierse a proposé de quitter le SPD

L’actualité en Allemagne illustre les appréhensions des fondateurs de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires. Voilà le film des événements :

Une discussion en ligne de la Commission des valeurs fondamentales (Grundwertekommission) du Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD – le Parti social-démocrate d’Allemagne se considère comme le parti de gauche et du peuple), le 18 février 2021, avec des représentants des groupes queer, a déraillé avec un échange d’invectives.

Le Spiegel (n° 10, 6 mars 2021, p. 25) rapporte que Gesine Schwan avait invité pour une discussion de la Commission des valeurs fondamentales le 18 février 2021, entre autres, Sandra Kegel. Des membres du groupe de travail Arbeitsgemeinschaft SPDqueer avaient exigé de retirer l’invitation adressée à Sandra Kegel à cause de son article ci-dessous. On a trouvé un compromis, une actrice lesbienne, un activiste du SPDqueer et d’autres de la communauté LGBTQI participeraient à la discussion, qui aurait très mal tournée. Le Spiegel cite Gesine Schwan avec ces mots : « Je tiens ces identités collectives pour une peste », en soulignant que ses intérêts déborderaient ce qui concerne la sexualité.

Voir aussi > SPD debattiert Umgang mit queeren Menschen, Tagesspiegel, 2.3.21

Sandra Kegel, la directrice du Feuilleton (la section du journal qui traite de la culture) du Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) a publié un commentaire Selbstbewusstsein und Kalkül (FAZ, 5 février 2021) et a demandé selon le résumé en tête de son commentaire si la plainte des 185 acteurs et actrices est justifiée. Ils se présentaient comme gays, lesbiennes, bi, queer, non-binaires et trans, critiquaient le huis clos des éditeurs et des théâtres et ils demandaient une plus grande visibilité de leurs histoires. Kegel cite entre autres Scarlett Johansson qui avait renoncé, en 2018, à jouer un rôle qui selon les critiques sur Twitter ne correspondait pas à son orientation sexuelle privée. Et Kegel cite le « manifeste » des 185 acteurs du « SZ-Magazin », qu’on pourrait comprendre comme une offre de discussion. Or, la discussion serait en cours depuis longtemps. Kegel cite les 374 femmes ayant avoué publiquement avoir avorté au magazine Stern le 6 juin 1971. Elles enfreignaient la loi et risquaient beaucoup – notamment plusieurs années de prison, ajoute Kegel : « Da zeigt sich Kalkül im Ringen um Aufmerksamkeit bei Verkennung der Verhältnisse » / « Il y a du calcul dans la lutte pour attirer l’attention avec une mauvaise appréciation des circonstances » avant de conclure : « Être écarté pour un rôle peut être ennuyeux et certainement offensant, mais ce n’est pas mettre sa vie en danger. »

Indépendamment de cet événement en ligne, Le 22 février, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, a publié un article de Wolfgang Thierse, SPD, ancien député et ancien Président du Bundestag de 1998 à 2005 et ensuite son Vice-Président de 2005 à 2013, Wie viel Identität verträgt die Gesellschaft? / Quelle quantité d’identités la société peut-elle supporter ? (Frankfurter Allgemeine Zeitung, 22 février 2021 – payant), qui avait le sous-titre suivant « Identitätspolitik darf nicht um Grabenkampf werden, der den Gemeinsinn zerstört : Wir brauchen eine neue Solidarität » / « La politique identitaire ne doit pas devenir une guerre de tranchées qui détruit le sens de la communauté : nous avons besoin d’une nouvelle solidarité ». En fait, ce sous-titre résume bien les propos de Wolfgang Thierse qui, face aux exigences identitaires, posait la question : « Dans quelle mesure la politique identitaire renforce-t-elle la pluralité d’une société, à quel moment se transforme-t-elle en division ? »

Et Wolfgang Thierse, dans son article du 22 février 2021, constate que les pluralités ethniques, culturelles et religieuses sont en augmentation en Allemagne, et ne relèvent pas de l’idylle mais sont pleines de disputes et de conflits potentiels. Or, Thierse se montre convaincu qu’il faut un accord pour tout ce qui nous unit avec toutes nos différences sur la base de nos concepts de liberté, de justice, de solidarité, de droits de l’homme et de tolérance. Il parle donc des valeurs qui portent notre société libérale et ouverte comme nos normes culturelles, nos souvenirs et nos traditions. Cette identité culturelle, serait, selon Thierse, le contraire de ce que vise la politique identitaire de droite ou de gauche.

Tout d’abord, Thierse souligne le danger de la politique identitaire de droite qui tente de définir une identité culturelle nationale comme un levier pour exclure les « autres » et les « étrangers ». La politique d’identité de gauche court un autre danger, celui de raccourcir les processus de discussion et d’entente. Les refuser revient à ce que la Cancel Culture est en train de mettre en œuvre.

L’exigence d’un langage tenant compte d’une sensibilité en ce qui concerne les « genres » (gendersensibel) ou plus généralement les minorités ne favorise pas, dans tous les cas, une communication constructrice de communauté. Nous connaissons de nouveaux iconoclastes, écrit Wolfgang Thierse, et il cite des actes de libération symbolique parés d’une préoccupation subjective face à un nom qui a l’air d’insulter. De tels actes ne devraient pas devenir l’affaire des démocrates.

Sans ambages, et pas moins précis, Thierse évoque la diversité : « Wir leben gewiss mehr denn je in einer ethnisch, kulturell, religiös-weltanschaulich pluralen Gesellschaft. Diversität ist nicht das Ziel, sondern eine faktische Grundlage unserer Gesellschaft. » / « Nous vivons plus que jamais dans une société ethniquement, culturellement, religieusement et idéologiquement plurielle. La diversité n’est pas le but, mais une base factuelle de notre société ». Et il ajoute que le respect devant l’autre n’est pas tout, il faudrait qu’il aille de pair avec l’acceptation des règles comme les décisions de la majorité.

Après ces articles et la discussion qui a déraillée du 18 février, la Présidente du SPD Saskia Esken et le Vice-Président Kevin Kühnert, dans un courriel cité par queer.de ont déploré qu’on aurait « honte » des propos des représentant(e)s du SPD » qui auraient proposé « une image rétrograde du SPD ». Cette formule donne à penser que la direction du SPD n’avait peut-être pas bien lu l’article cité de Wolfgang Thierse, ou bien l’on pourrait aussi penser que cette même direction avait peur des réactions suscitées par l’article de Thierse.

Wolfgang Thierse sachant bien qui était visé, a réagi immédiatement et a adressé une lettre à Saskia Esken lui demandant si l’on souhaitait qu’il reste membre du SPD ou si ce serait nuisible ». Il aurait des doutes, si deux membres de la direction du parti prenaient leurs distances par rapport à lui.

Depuis lors, Saskia Esken tente de recoller les morceaux: Esken sucht Gespräch mit Thierse – „Wir schämen uns nicht für Dich“ – Tagesspiegel, 3 mars 2021. Thierse et Esken se sont téléphonés et ils veulent reprendre leur échange la semaine prochaine avec Kevin Kühnert.

Wolfgang Thierse n’est pas du tout isolé au SPD : Gesine Shwan, la Présidente de la SPD-Grudwertekommission et ancienne candidate à la Présidence fédérale avait défendu à peu près la même position dans l’article Wider das Gift kollektiver Identität du Süddeutsche Zeitung (26 février 2021-payant).

Thierse, lui, a défendu son point de vue. Voici la traduction française de son interview à la radio Deuthschlandfunk le 25 février 2021. Et voici l’interview de Wolfgang Thierse par Antje Hildebrandt pour Cicero « Viele in der Partei schämen sich » (6 mars 2021-payant).

Il n’est pas sûr qu’on pourrait réduire ce débat seulement à un conflit entre générations comme l’explique le Spiegel (n° 10, 6 mars 2021, p. 25). Le problème va beaucoup plus loin et concerne le débat public et la manière dont « les constructions des identités » servent uniquement à « l’émancipation à l’égard de la discrimination » ou « sont à la source de nouvelles dévalorisations » (Bernd Stegemann, Die Öffentlichkeit und ihre Feinde, Stuttgart : Klett-Cotta, 2021, p. 132) : « sensibilité », « agression » et ensuite « anéantissement publique » (p. 134).

Voir aussi :

Partei auf dem Weg in die Geschichte – Süddeutsche Zeitung, 5 mars 2021

Der «Fall» Thierse: Wie sich die SPD-Führung selbst beschämt – NZZ 6 mars 2021

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Collectif des Observateurs

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