[par Hubert Heckmann]
Dans une circulaire datée du 5 mai 2021 et parue au Bulletin officiel du 6 mai 2021, le ministre de l’éducation nationale rejette l’usage de l’écriture inclusive à l’école:
« il convient de proscrire le recours à l’écriture dite “inclusive”, qui utilise notamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminines et masculines d’un mot employé au masculin lorsque celui-ci est utilisé dans un sens générique. »
Cependant, le flou dans la définition de ce qu’est l’écriture inclusive, ainsi qu’une méconnaissance de la langue française elle-même, amène la circulaire à recommander au nom de l’inclusivisme des usages qui relèvent bien de l’écriture inclusive, même si c’est sans point médian:
« Il est également demandé de recourir à des formulations telles que “le candidat ou la candidate” afin de ne pas marquer de préférence de genre, ou à des formules telles que “les inspecteurs et les inspectrices de l’éducation nationale” pour rappeler la place des femmes dans toutes les fonctions. »
« Marquer une préférence de genre » est une expression qui ne possède absolument aucun sens en français, même en faisant le détour par la traduction anglaise pour revenir au français « sexe ». Il y a seulement dix ans, les lecteurs d’une telle circulaire auraient-ils pu comprendre qu’il s’agit d’autre chose que de préférence sexuelle pour les candidats ou pour les inspectrices? Dans ses études sur la diffusion des termes « genre » et « intersectionnalité » par les organisations internationales (instances onusiennes et institutions européennes), Rachele Raus rappelle que gender était encore rendu par sexe dans les traductions officielles jusqu’à la toute fin des années 20001. Elle indique que l’adoption du mot genre pour traduire « gender » coïncide avec la promotion de la notion d’« intersectionnalité » par les organisations internationales, car genre et intersectionnalité font système2.
L’enseignement de la langue française est victime d’une fâcheuse homonymie entre le mot genre utilisé en grammaire pour désigner une catégorie de mots, et le nouveau mot genre qui traduit mal le gender anglais, et qui est le cache-sexe d’une idéologie visant à abolir la différence des sexes – en commençant par abolir le mot sexe.
Le ministre entérine la confusion volontaire entre genre grammatical et sexe biologique, qui est le ressort idéologique de tout l’échafaudage inclusiviste. Cela est totalement contraire aux acquis de la linguistique. Aucun pouvoir, même arbitraire, ne pourra rien contre l’arbitraire de la langue. La confusion de la notion linguistique de genre grammatical avec les organes sexuels relève d’une forme de délire. Comment une circulaire officielle du ministère de l’éducation nationale peut-elle y succomber, précisément au moment de prendre parti contre l’écriture inclusive ? Faut-il y reconnaître l’art du en même temps?
En quoi dire « les inspecteurs et les inspectrices de l’éducation nationale » rappelle-t-il « la place des femmes dans toutes les fonctions »? Le rapport au langage de cette circulaire tient de la pensée magique. Et si nous devons parler des victimes de harcèlement scolaire, est-ce que le mot féminin « victimes » nous empêchera de penser que des élèves de sexe masculin sont aussi l’objet de harcèlement? Que devra-t-on dire?
Ce tic de langage (« les inspecteurs-et-les-inspectrices ») est bien une marque de conformité idéologique, à présent exigée des enseignants, au mépris de l’usage de la langue française. Il sera facilement critiqué par les inclusivistes qui auront beau jeu de remarquer que les femmes apparaissent dans ces formules comme les éternelles secondes… et il n’y aura rien à leur répondre, car le ministère nous prie effectivement de « ne pas marquer de préférence de genre »!
L’apprentissage de la langue française est subordonné à des impératifs idéologiques:
« le choix des exemples ou des énoncés en situation d’enseignement doit respecter l’égalité entre les filles et les garçons, tant par la féminisation des termes que par la lutte contre les représentations stéréotypées. »
Tous les petits Français et toutes les petites Françaises sont sensibilisés dès la maternelle aux dangers des « stéréotypes » véhiculés par notre culture. Nous aimerions être sûrs qu’ils et elles sauront tous et toutes lire, écrire et compter, car c’est encore la meilleure voie pour réduire les inégalités.