[par Philippe BOULANGER1]
Soazig Quéméner, François Aubel (dir.), La dictature des vertueux. Pourquoi le moralement correct est devenu la nouvelle religion du monde ?, Éditions Buchet Chastel, Paris, 2022, 280 pages, 21 €.
Sous couvert de bonnes intentions, une nouvelle emprise morale axée sur le ressentiment et la victimisation sévit dans les pays occidentaux, principalement les États-Unis et la France, les deux modèles à prétention universaliste qui semblent les plus touchés par cette emprise. Un ouvrage collectif souligne les dérives de l’idéologie de la vertu ânonnée par des prêcheurs des justes causes minoritaires (ethniques, sexuelles, écriture inclusive) ou planétaires (écologie).
Très actifs dans les campus universitaires, les entreprises privées et publiques, les médias ou le milieu culturel, sûrs de leur bon droit, chassant en meute numérique, les hérauts de ce moralement correct se présentent comme les avocats des suppliciés réclamant des réparations et des sanctions contre les émetteurs d’« opinions offensantes ». Fondé sur le « réveil » des minorités noires et sexuelles soumises à la domination du mâle blanc et hétérosexuel aux États-Unis, le wokisme en est l’expression la plus radicale politiquement (notamment avec Black Lives Matter), mais nullement isolée. Il se répand en France, certes avec quelques difficultés.
Ce puritanisme vindicatif tuné en progrès inclusif de ces minorités oppressées est parvenu à convaincre ou contraindre tant les milieux d’affaires que les dirigeants politiques à prendre des mesures d’où le cynisme et le consumérisme ne sont jamais éloignés. Le sauvetage de la nature et la lutte contre les discriminations cristallisent les ambivalences des vertueux (souvent milléniaux) du XXIe siècle. L’écologie politique s’est muée, sur un mode punitif, en dogme de substitution à l’action collective frustrée et en guide de bonne conduite individuelle. Le racisme ne serait plus combattu par la loi républicaine en France, mais par la stigmatisation au nom de la vertu, qui pourrait entraîner l’ostracisme social voire le licenciement professionnel des ennemis, réels ou fantasmés.
La tentation de la purge imprègne le discours des vertueux, à tel point que l’autocensure l’emporte sur la censure. Le mérite de La dictature des vertueux est de fournir au lecteur des éléments de contexte culturel et historique, principalement tirés des cas étasunien et français, pour réfléchir, comprendre – et résister.