Au sujet d’un recrutement de professeur en « Littérature et Écologie » à l’Université de Strasbourg

Au sujet d’un recrutement de professeur en « Littérature et Écologie » à l’Université de Strasbourg

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Au sujet d’un recrutement de professeur en « Littérature et Écologie » à l’Université de Strasbourg

[par Hubert Heckmann]

L’emploi du terme « écologie » est intéressant dans le « Profil publication (Galaxie) : Littérature et Écologie – ECO/LIT » mis au concours en mai 2022.

Puisqu’il ne s’agit pas de l’écologie scientifique (les sections CNU indiquées sont les 9e et 10e, « Langue et littérature françaises » et « Littératures comparées », mais pas 67e, « Biologie des populations et écologie »), il s’agit donc de l’écologisme politique. Mais la 4e section du CNU (Science politique) est absente elle aussi, car l’écologie n’apparaît pas dans le profil comme objet d’étude, mais comme mot d’ordre.

En jouant sur l’homonymie entre une science et un courant politique, le profil du poste accole une discipline (« Littérature », qui correspond aux deux sections CNU indiquées) et une orientation militante. Imagine-t-on des postes en « Psychologie criminologique et Anarchisme insurrectionnel », « Sciences de l’éducation et Conservatisme social », ou « Génétique de l’évolution et Démocratie chrétienne »… ?

Le recrutement porte donc à la fois sur les compétences scientifiques dans une discipline et sur la conformité politique à une ligne idéologique déterminée par le profil du poste, ce qui est contradictoire et s’apparente au lyssenkisme. Certains milieux militants n’hésitent pas à réclamer un « alignement de la science » (« Alignons notre pratique scientifique sur les enjeux impérieux de ce siècle », tribune d’étudiants des ENS, Le Monde du 11 mai 2022).

La dimension militante est confirmée par le contenu de la fiche elle-même : « Les études consacrées aux rapports entre écologie et littérature émanent en effet d’une réflexion transdisciplinaire, à la croisée des sciences humaines (sociologie, anthropologie, philosophie et éthique), de l’engagement politique et militant, et des sciences dures. » Les « sciences dures » ne figurent ici qu’au titre d’alibi mou : combien de chercheurs spécialistes de la biocénose et du biotope dans le comité de sélection ?

Le profil détaillé avoue benoîtement qu’il s’agit d’importer un produit anglo-saxon : « Fortement développée outre-Atlantique sous le nom de green studies, l’étude des liens entre littérature et écologie demeure encore peu représentée en France, et souvent cantonnée à l’étude de la littérature contemporaine. ECO/LIT vise à infléchir cette situation en manifestant l’ampleur et la centralité de ce domaine de spécialité. » Aucune raison valable n’est donnée à ce mimétisme déshonorant, vassalisation volontaire de la recherche française. Quand les green studies mûriront, comment éviter qu’elles ne deviennent braune Studien ?

La conception des études littéraires exposée par la fiche repose sur un postulat naïf et pernicieux, à l’intersection de l’idéologie managériale et du préjugé woke : « La littérature joue un rôle crucial dans la représentation du monde, mais aussi dans la transformation des mentalités et des comportements. » Les études littéraires ne sont donc tolérées que si elles affichent leur utilité sociale, ce qui se fait ici d’après un paralogisme : puisque la littérature façonnerait les représentations du monde et transformerait les mentalités et les comportements (prémisse d’origine marxiste simplifiée et recyclée par diverses vulgates), c’est en étudiant la littérature que l’on pourrait agir sur les représentations du monde et transformer les comportements (conclusion formellement erronée).

Les sciences humaines sont donc réduites à une forme d’ingénierie du social : « si de nombreux citoyens prennent aujourd’hui conscience de la nécessité d’une transition écologique, cette relation à l’environnement s’établit autant par des actes et des engagements quotidiens que par le truchement de l’imaginaire. Il paraît donc essentiel d’accorder toute leur place aux travaux qui, prenant appui sur les outils de l’analyse littéraire autant que sur les études culturelles, mesurent l’impact de cet imaginaire […] » (extrait de la fiche de poste). Mesure d’impact et travail sur « l’imaginaire » pour produire du consentement (de l’ « acceptabilité sociale » dans le jargon des appels à projets) : n’est-ce pas la définition même de la propagande ? L’universitaire en Lettres et sciences humaines est enrôlé en tant que technicien programmateur de Weltanschauung.

Dernier point, qui a son importance : les green studies ne sauraient être « cantonnée[s] à l’étude de la littérature contemporaine ». Le collègue recruté devra passer à la moulinette des green studies « les manifestations littéraires d’une conscience écologique antérieure au XXe siècle, ou extérieure à l’espace européen ». Il ne s’agit même pas d’aborder à partir d’une problématique contemporaine les œuvres marquées par une altérité culturelle ou temporelle, mais de les sélectionner en fonction d’un effet de ressemblance anachronique pour projeter sur elles, de façon non critique, une Weltanschauung qui leur est de fait étrangère. Quand nous recouvrons de nos propres préoccupations les témoignages des cultures différentes de la nôtre, nous pratiquons l’ethnocentrisme du présent dans une visée d’édification – avec l’assurance de retrouver dans nos conclusions l’illustration de nos intentions. Est-ce bien la mission de l’enseignement et de la recherche universitaires ?

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