(Article publié initialement dans Le Point le 18/01/2021)
Idée. Reliquat d’un univers monarchique à relents sexistes et patriarcaux nauséabonds, un échiquier condense toutes les inégalités et toutes les discriminations. Les échecs reposent sur une partition raciste et trop binaire du monde. Figurer la société en cases blanches et noires juxtaposées confine à l’abjection ségrégative. Opposer des équipes binairement racialisées nourrit nécessairement le ressentiment ethnique. Faire vivre, même pour un soi-disant jeu, des stratégies visant simplement la protection d’un mâle dominant (le « roi »), rappelle les heures les plus sombres de nos actualités. Bref, il faut agir !
Mode d’emploi. Il convient, tout d’abord, de rebaptiser les pièces. Certaines devront même être éliminées. Il faut, ensuite, réviser les règles du jeu. Du côté des huit pions, la solution élégante consiste à les nommer, comme le veut désormais l’usage, les pion·e·s. Pour les fous – désignation d’un autre âge – on passera évidemment par « personnes porteuses d’une déficience intellectuelle » car fou et folles, ou fou·lle·s sonne inclusivement incorrect. Le problème s’avère plus compliqué du côté des cavaliers. Choisir cavalier·e·s ne rendrait pas justice au problème spéciste posé. Tout le monde l’aura remarqué : lesdits cavaliers sont en réalité des chevaux. Alors on rebaptisera ces pièces, soit cheval ou jument, soit encore, plus précis à l’écrit, cheval·e·s. Pour le roi et la reine (non mais vraiment quel scandale !) l’expression parent 1 et parent 2 montre le chemin. D’ailleurs « un » et « deux » pourraient finalement suffire. Les tours, en tant que symboles phallocratiques patents, disparaîtraient. Remplacées, par exemple, par deux girafes. Du point de vue des règles du jeu, rien ne légitime naturellement des droits de déplacement différents. L’indifférenciation prévaudrait donc. Du côté des championnats, la mixité s’impose. Chaque partie doit être mixte car, à la différence d’autres disciplines sportives, aucune considération sexuée ne saurait interdire l’imposition d’une stricte parité. Chaque session opposerait donc un maître et une maîtresse. Enfin, la perspective indigéniste commande une révision essentielle : la fin de la domination des blancs (qui jouent toujours le premier coup). La meilleure option, plus « « colorblind », est celle de pièces de toutes les couleurs, sur un échiquier lui-même arc-en-ciel. Réformer des règles millénaires est certainement compliqué. Mais c’est à ce prix que l’on changera la société. En tout cas, après avoir traité des échecs viendra, bien entendu, le tour du jeu de dames (dont le seul nom tient de la provocation). Puis du jeu de l’oie (une compétition dégradante). Puis, enfin, de toutes les normes et habitudes.
L’exercice de style ne met pas échec et mac la logorrhée inclusive. Il vise d’abord à sourire d’exagérations grotesques, dont il ne faut pas minimiser la portée. Pasticher les extrêmes du sabir inclusif permet d’en souligner l’inanité.