Alors que les fondements scientifiques de la notion de genre sont questionnés, l’auteur a choisi de décaler son point de vue vers les sources ésotériques et astrologiques du genre. Petite mystique du genre, de François Rastier est paru le 15 septembre 2023 aux éditions Intervalles.
Franceinfo : François Rastier, vous publiez un petit livre très érudit sur le genre, pourquoi ce choix ?
François Rastier : Je constate que cette notion est maintenant omniprésente dans l’enseignement et dans la recherche : par exemple, on a même créé un Institut du genre. Ce n’est pas à moi de définir le genre, mais c’est mon rôle d’observer le développement de cette thématique et d’essayer de comprendre pourquoi elle se développe. Il y a deux ou trois ans, le président du CNRS avait déclaré que le genre et la race étaient les clefs de lecture du monde social. Cela s’impose donc au monde de la recherche comme à celui de l’enseignement, y compris pour les enfants et les adolescents. On multiplie les initiations, les cours « transversaux » – y compris dans le domaine de la physique ou du droit. Ce thème s’est donc naturellement imposé à moi.
Qu’est-ce qu’un linguiste peut apporter de neuf comme regard sur le genre ?
L’écriture dite inclusive s’est répandue partout, notamment dans la communication syndicale et institutionnelle des universités. Pour un linguiste, cela reste étrange, car l’écriture et la langue sont deux choses différentes. Une langue peut être écrite dans différentes écritures, cela a été le cas pour le turc par exemple. Par ailleurs, le genre grammatical n’a rien à voir avec le sexe de ce qui est désigné — quand ce qui est désigné a un sexe. Dans des langues comme le japonais ou le persan, il n’y a pas de genre, mais il n’empêche que l’égalité homme- femme en Iran n’est pas particulièrement réputée… Mes interrogations viennent de là : bien entendu, l’égalité homme femme est nécessaire, mais est-ce en inventant des mots et des ponctuations qu’on peut y parvenir ?
La langue peut avoir une valeur performative : dire, c’est parfois faire advenir. Un sacrement, par exemple… C’est la même chose concernant le genre : on est un homme, une femme, ou une personne non binaire parce qu’on le décide, et qu’on dit qu’on l’est. Quel est l’enjeu selon vous ?
Si l’on pose le principe que le genre serait une « identité performative », chacun peut décider qu’il a tel ou tel genre, dans une gamme toujours ouverte, indépendamment du sexe biologique. Dans toutes les cultures, des codifications concernent l’habillement, les manières, qui caractérisent les femmes et les hommes. C’est banal, mais pourquoi cette évidence est-elle devenue un objet de recherche ? On renvoie à un enjeu social, celui de l’égalité homme femme : ne pas prononcer le mot « femme », mais celui de « personne » par exemple, concourrait à cette égalité. Mais pour ne pas froisser les transgenres, une revue médicale internationale illustre, The Lancet, décrit les femmes comme des « corps avec vagin ». C’est étrange, de vouloir éviter ainsi le mot « femme », pour parvenir à une sorte de déshumanisation. Il y a peut-être derrière cela un lien avec des superstitions traditionnelles comme celles concernant l’androgynie… Dans des romans comme le Seraphîta de Balzac, comme dans toute une tradition ésotérique, des êtres merveilleux, angéliques, n’ont pas de sexe mais ont un genre et dépassent ainsi la condition humaine.
Justement, vous expliquez que la différence des sexes est attachée au péché original dans le Christianisme. La plupart des religions estiment que la création du monde vivant résulte de l’union d’un couple divin, comme Isis et Osiris, écrivez-vous…
Oui, et elles illustrent aussi le genre inassignable des anges, aujourd’hui concurrencé par les trans. La mystique du genre déconstruit la théologie, mais en garde le projet d’une sorte de rédemption, car elle permet de retrouver une unité originelle. Pour diverses traditions occultes, l’androgynie est un apanage divin. Le sexe des anges a toujours été non binaire.
Aujourd’hui, dans la presse féminine on trouve des articles ayant comme titre : « Je suis né dans le mauvais corps. » Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Cela veut dire qu’outre votre corps biologique, vous auriez un vrai corps, un autre corps. Ainsi, dans des croyances traditionnelles, on trouve la superstition qu’il existe un sexe astral – ce serait aujourd’hui le genre, qui fait l’objet d’une révélation. Ces éléments superstitieux sont intéressants : on naîtrait dans un « mauvais corps » en fonction de l’heure de la naissance, par exemple. D’ailleurs, l’astrologie et d’autres courants non rationnels et pseudoscientifiques sont en plein essor dans nos sociétés, notamment chez les partisans de l’idéologie intersectionnelle.
C’est une notion qui n’est pas scientifique selon vous ?
C’est une vision du monde irrationnelle. La principale théoricienne du genre, Judith Butler, déclare bien qu’il n’y a pas de théorie du genre, et on le lui concède d’autant plus volontiers qu’on n’est pas ici dans la théorie, mais dans la croyance. Sans définitions, sans méthodologie, pas de réfutation possible, et l’on pourra affirmer avec autorité qu’une réalité biologique qui paraît évidente pour tout le monde n’existe pas, que c’est une simple convention sociale, une simple assignation imposée par l’état-civil. Ce serait donc une sorte d’oppression de considérer quelqu’un comme un homme ou une femme, indépendamment d’ailleurs de son orientation sexuelle. Quand ce raisonnement est poussé jusqu’à l’extrême, il s’oppose à l’homosexualité, car elle garde quelque chose de la différence des sexes.
En quoi les discours d’aujourd’hui autour du genre vous semblent-ils relever du narcissisme de masse ?
Au cours de la vie, on peut s’identifier à différents modèles, notamment dans des périodes d’incertitude, comme à l’adolescence. Mais aujourd’hui, les croyances sur le genre justifient des injections d’hormones pour bloquer la puberté ou pratiquer des opérations comme l’ablation des seins. Or, les thérapeutes savent que l’acceptation de soi peut s’améliorer par de simples consultations psychologiques. Les traitements médicamenteux et chirurgicaux préparent un scandale sanitaire, et il y a donc là un enjeu de santé publique. Le phénomène des « transitions » est en hausse régulière et très rapide. À mon avis, les « transitions de genre » constituent la première expérience transhumaniste de masse.
Comme tous les aveuglements volontaires, l’idéologie du genre pratique le déni du réel et alimente la post-vérité. La très forte augmentation des opérations de chirurgie esthétique relève de la même problématique : des personnes se réduisent à des profils, des identités stéréotypées, et l’on considère que tous les problèmes psychologiques peuvent être résolus par des moyens techniques : c’est un des principes du transhumanisme.
« Petite mystique du genre », de François Rastier, paru le 15 septembre 2023 aux éditions Intervalles, 163 pages, 13€.
URL: https://www.editionsintervalles.com/catalog/petite-mystique-du-genre/
N.B. D’abord paru sur le site de France Info, cet entretien réalisé par Carine Azzopardi – que j’ai plaisir à remercier ici – a été révisé pour la présente publication.