« Feu vert à l’écriture inclusive ? » – Lettre-réponse à Julien Bayou

« Feu vert à l’écriture inclusive ? » – Lettre-réponse à Julien Bayou

Collectif

Tribune des observateurs

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« Feu vert à l’écriture inclusive ? » – Lettre-réponse à Julien Bayou

[nous reprenons ici le texte de la réponse que nous avons publiée au texte de Julien Bayou dans l’Express]

Cher Julien Bayou 

Nous, usagers ordinaires de la langue française, après avoir lu votre entretien dans l’Express, souhaiterions apporter des précisions nécessaires à votre vision de ce que vous appelez « l’écriture inclusive » afin d’éclairer des points confus de votre jugement sur la langue.

Vous dites qu’il faut inclure tout le monde. Mais cela ne peut se faire par la langue qui n’est ni inclusive ni exclusive. Ne pas mentionner quelqu’un ne signifie pas l’exclure: c’est souvent au contraire le reconnaître comme l’un d’un tout: les « humains », c’est toi et moi… Comme toutes les langues, le français permet d’exprimer une opinion et son contraire : vous pouvez ainsi tenir des discours sexistes ou égalitaristes en utilisant les mêmes mots. La langue ne pense pas à la place des individus. D’ailleurs, à vous suivre, tous les locuteurs français étaient sexistes avant la proposition de réforme inclusive: c’est absurde !

Vous dites que la langue est « performative ». Il n’y a aucune magie dans la langue, même si cela vous arrange de le croire. Il existe peut-être des actes du langage performatifs (encore que les linguistes ne soient pas tous d’accord). Nul ne peut devenir chrétien sans être baptisé par la formule « je te baptise… ». « Oui » peut être performatif lorsque au mariage il répond à la question juridique : « Acceptez-vous de prendre pour époux untel ». Mais si vous dites : « demain tout le monde sera écologiste », vous êtes dans l’incantation; pas dans la performation. Si vous déclarez aujourd’hui que vous êtes une femme: vous ne changerez pas par magie votre condition physique. Vous êtes libre de le croire; mais il est de notre devoir de vous rappeler que non, tout n’est pas performatif.

Un autre point semble important: il n’y a pas de rapport entre les féminicides et l’emploi du genre en langue. Il n’y a par exemple pas de genre en farsi, mais le nombre de féminicides pour cause d’honneur en Iran est beaucoup plus significatif qu’en France où la langue connaît une distinction de genre. Il n’y pas de genre grammatical en anglais, mais il n’est pas sûr que les Anglaises soient malheureusement moins victimes de violences que les Françaises. En vous lisant, on apprend que la drôle de forme en usage chez les inclusivistes « tou.s.tes » serait un remède miracle. Mais c’est faux. Par ailleurs, nous vous informons que des études de feu l’observatoire national de la délinquance notait que « les personnes condamnées pour homicide sur mineur de moins de 15 ans sont majoritairement des femmes ». Avez-vous réfléchi aux conséquences de cette « visibilisation » ? Parlerez-vous « d’assassin.e.s » ? Qu’est-ce que la cause des femmes gagnerait à « visibiliser » les meurtri.e/è.r(e)s ? Les nazi.e.s ? Les bourreau.e.x/s ? Vous parlez de l’invisibilité. C’est une métaphore ! La langue ne « visibilise » en vrai rien ni personne et ne constitue pas un instrument de promotion identitaire. La langue est un outil de l’entendement qui ne relève pas d’une logique quantitative ni d’une représentation sociale, contrairement aux fausses idées que vous colportez. Dire ou écrire « l’homme est mortel » n’exclut pas la possibilité de mourir pour les femmes ! 

Ce n’est pas une société égalitaire que vous allez construire, mais un monde d’exclusion : une société où ceux qui n’exhibent pas les signes extérieurs d’appartenance au camp inclusif comme les points médians, les barbarismes inexistants en français, les doublons lexicaux n’auront pas leur place au sein du monde que vous prétendez construire. 

Vous adoptez le comportement de quelqu’un qui, ayant appris à lire et à écrire, maîtrise assez sa langue pour en jouer à sa façon, et se fait ainsi lustre et carrière dans l’exercice du mépris pour un grand nombre d’apprenants en difficulté scolaire que vos pratiques vont accabler encore plus. C’est un mépris de classe.

En agissant ainsi, vous propagez la balkanisation intellectuelle et culturelle de la francophonie. Les différents groupes identitaires désirent aussi marquer leur identité par des signes distincts comme la création de formes neutres (iel pour il/elle ; lea pour le/la). Les encouragez-vous ? Cela provoque une atomisation de la langue en autant de communautés fondées sur les séparatismes linguistiques, graphiques et idéologiques. Et vous leur donnez le feu vert. 

Yana Grinshpun Linguiste
Jean Giot, Linguiste
François Rastier, Linguiste
Xavier-Laurent Salvador, Linguiste
Jean Szlamowicz, Linguiste
pour l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires

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