par François Rastier (CNRS)
Antoine Petit, Président-directeur général du CNRS, faisait récemment état d’un soutien présidentiel pour être reconduit à la direction du CNRS. Il écrivait ainsi à ses subordonnés : « Chères et chers collègues, Le président de la République a annoncé qu’il envisageait de renouveler mon mandat de président-directeur général du CNRS. Cette nomination devant recueillir un avis favorable du Parlement, je serai prochainement auditionné par les commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Mon mandat arrivant à son terme le 24 janvier 2022, j’exercerai la fonction de président-directeur général de l’organisme par intérim à compter du 25 janvier 2022 et assurerai l’ensemble des attributions inhérentes à cette fonction. »
1/ Le management néo-darwinien
Depuis les années 1880, le darwinisme social a assumé la fonction idéologique de justifier les inégalités et les discriminations. Or, le jour anniversaire des 80 ans du CNRS, son PDG Antoine Petit déclarait : « Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies » (Les Échos, 26 novembre 2019, je souligne).
Dans son allocution officielle en présence du Président de la République, il reformulait ce vœu : « Nous avons besoin d’une grande loi de programmation pluriannuelle de la recherche, une loi ambitieuse, inégalitaire, ou différenciante — s’il faut faire dans le politiquement correct —, vertueuse et darwinienne ». Deux mille chercheurs répondirent dans une tribune : « Le darwinisme social appliqué à la recherche est une absurdité », (Le Monde, 6 décembre 2019, https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/06/le-darwinisme-social-applique-a-la-recherche-est-une-absurdite_6021868_3232.html).
Le darwinisme social justifie « l’excellence », garante de la « performance » au nom de laquelle les dirigeants d’entreprise se gratifient de revenus de plus en plus exorbitants. Les tutelles de la recherche publique se sont emparées, on le voit, de ces catégories. À l’échelle internationale, de manière croissante depuis une trentaine d’années, l’idéologie managériale a transformé la recherche scientifique et la conception même des sciences. Privés de financements publics suffisants et garantis, les laboratoires sont sommés de se transformer en bureaux d’études, de chasser le contrat, de déposer des brevets, etc. Leur contrôle social est assuré par la multiplication des reportings, la bibliométrie quantitative, les évaluations récurrentes par des commissions d’experts souvent ignorants du domaine. Ces procédures introduisent des inégalités exorbitantes entre disciplines et entre chercheurs. Que faire par exemple d’un sanscritiste ? Il ne dépose pas de brevet, reste sous les radars bibliométriques, pour lesquels au demeurant, Raoult l’emporte largement sur Einstein (Voir Yves Gingras et Mahdi Khelfaoui, Einstein vaut-il la moitié du Dr Raoult ? Pour en finir avec « l’indice h » ; en ligne : https://theconversation.com/einstein-vaut-il-la-moitie-du-dr-raoult-pour-en-finir-avec-lindice-h-141169).
2/ L’intersectionnalité
Une publication à succès. — Fin 2018 paraissait aux éditions de la Découverte un ouvrage collectif intitulé Sexe, race et colonies. La domination des corps du XVe siècle à nos jours, sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Christelle Tharaud, Dominic Thomas. De grand format, il se présentait comme un livre d’art pour table basse. Sur fond noir, imitant des néons blancs des sex-shops, les mots du titre frappaient par leurs tailles respectives, le mot SEXE s’étalant en lettres capitales de huit centimètres. Ce mot-clé résumait l’argument majeur et annonçait le millier d’illustrations, pornographiques pour une bonne part. La présentation des auteurs justifiait cela ainsi : « ce livre s’attache à une histoire complexe et taboue. Une histoire dont les traces sont toujours visibles de nos jours, dans les enjeux postcoloniaux, les questions migratoires ou le métissage des identités. C’est le récit d’une fascination et d’une violence multiforme. »
Après la promotion de l’ouvrage dans Libération, sous le titre « Le viol colonial », une « militante antiraciste » s’inquiéta dans une tribune : « Si ces photographies sont traitées comme n’importe quelle image d’illustration, par les auteurs comme par les journalistes, c’est que ceux-ci n’ont pas compris ce qu’elles étaient » et engageait au refus de « perpétuer la diffusion à grande échelle des images de l’exploitation sexuelle » (Libération, 30 septembre 2018). Daniel Schneidermann vit là « un beau livre de viols coloniaux », en concluant : « On vomit parce qu’on a cru ouvrir un livre d’histoire, et qu’on se retrouve en train de feuilleter un gros beau livre porno » (Libération, 7 octobre) ; André Gunthert parla d’une « esthétisation incongrue » (Libération, 10 octobre) ; et Florent Georgesco titra dans Le Monde : « Érotisme et colonialisme, le piège de la fascination ».
Les titres des chapitres ne démentent pas ces lectures, qu’il s’agisse de : « Érotisme colonial et goût de l’Autre » (p. 244-269), « Spectacles ethnographiques, pornographie exotique et propagande coloniale » (p. 272-301), « Fascinations et répulsions pour le corps noir » (p. 302-331) ; ou de « Possessions et érotisation violentes des femmes esclaves » (p. 114-137), « Disposer des corps : contrôler, surveiller et punir » (p. 140-165), « Économie politique de la sexualité coloniale et raciale » (p. 166-191), « Violences sexuelles au temps des décolonisations » (p. 362-391) et « Les nouveaux territoires de la sexualité postcoloniale » (p. 450-477).
Pour un point de vue racialiste, la question du métissage reste évidemment lancinante : « De la désirabilité de l’ ’’Autre’’ à la hantise du métissage » (p. 66-89), « Hygiène coloniale, sexualité et métissage » (p. 218-243), « Sexualité, couple et mariages interraciaux dans le colonial tardif » (p. 332-361), « Métissage et Métis : sexualité, sociabilité et politique de l’identité » (p. 394-421).
L’érotisation de la violence, la fascination horrifiée du « métissage des identités », bref du mélange des races, rappelait à certains des propagandes racistes d’antan. Pascal Blanchard leur répliqua dans Les Inrocks du 8 octobre que « l’histoire n’est pas une science morale » en précisant : « Ce n’est pas qu’un livre d’images. Nous jugeons ce travail indispensable pour déconstruire l’histoire de la domination, en particulier sexuelle. »
L’ouvrage était patronné par une association militante, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine, l’ACHAC, fondée voici trente ans, dont Pascal Blanchard, premier coordinateur, est aussi le président.
En 2019, une nouvelle édition refondue et augmentée reparut aux Éditions du CNRS, avec un nouvel avant-propos dû au président du CNRS lui-même, Antoine Petit. Elle diffère aussi de la précédente par le titre, l’ajout de plusieurs coordinateurs, la suppression des illustrations, l’ajout de plusieurs chapitres, pour s’intituler désormais : Sexualité, identité & corps colonisés (sous la direction de Gilles Boëtsch, Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sylvie Chalaye, Fanny Roblès, T. Denean Sharpley-Whiting, Jean-François Staszak, Christelle Taraud, Dominic Thomas et Naïma Yahi).
Dans le titre, Sexe devient Sexualité, plus abstrait, donc plus conforme à une ambition théorique ; race devient identité, ce qui décèle que l’identité reste définie au prisme de la race ; enfin, colonies devient corps colonisés, allusion à la biopolitique selon Foucault, pour qui l’oppression du Pouvoir s’exerce sans médiation sur la « vie nue ». En somme, le nouveau titre euphémise la crudité du précédent et se pare d’une abstraction jugée scientifique. La suppression des illustrations controversées contribue à faire changer le genre de l’ouvrage, du livre d’art à l’ouvrage collectif qui se présente comme un manifeste théorique.
Parmi les coordinateurs, Pascal Blanchard, simple chercheur associé, mais aussi journaliste et co-dirigeant d’une entreprise de communication, cède la première place à Gilles Boëtsch, ancien Président du Conseil scientifique du CNRS.
Dans son avant-propos, Antoine Petit épouse sans réserve les thèses développées dans l’ouvrage et emploie scrupuleusement le langage de ses commanditaires. S’il traite de la race, c’est avec une réserve apparente : « Bien que le concept de « race » n’ait pas de réalité biologique chez l’humain — ce n’est donc pas un objet scientifique pour ce champ disciplinaire — il a une réalité sociale et il va remplacer la hiérarchie de classe dans le monde colonial. » (p. 10). Retenons donc que la race n’a pas d’existence biologique (l’expression « ce champ disciplinaire » renvoie vraisemblablement à la biologie), mais que ce « construit socio-historique » reste par là un objet de science parfaitement légitime : « La ’’race’’ devient la nouvelle grille de lecture du monde sur laquelle s’intègre la grille du genre, et qui s’articule à la hiérarchie homme/femme » (p. 10, je souligne).
Cependant, sous couleur de déconstruire le racisme colonial, le discours décolonial en reconduit les catégories, en prétendant les récuser, mais en se contentant de les inverser. Ainsi, la race demeure objet du discours racialiste dont Antoine Petit ne conteste aucunement la teneur : « L’étude des « races » […] constitue le cœur de l’organisation de l’ordre sexuel colonial » (p. 10). Ainsi la colonisation est-elle associée à une domination sexuelle, évidemment masculine : « Dans le cadre de sociétés très hétéronormées et androcentrées, la colonisation reste toutefois une entreprise matériellement et symboliquement masculine » (p. 9).
Les passages métaphoriques entre race et sexe, sans cesse récurrents dans l’ouvrage sont ainsi légitimés ; de même que le vocabulaire caractéristique de la mouvance décoloniale et déconstructrice : par exemple, hétéronormé ou androcentré, hasardeux composés gréco-latins, valent plutôt comme des signes de ralliement que comme des concepts, puisqu’ils ne sont définis que par leur valeur péjorative.
Une insistante métaphore optique fait en somme de préjugés idéologiques une « grille de lecture ». Son principe est de projeter un ensemble restreint de notions devenues mots-clés sur l’ensemble du monde social. Antoine Petit écrit ainsi : « la race devient la nouvelle grille de lecture du monde sur laquelle s’intègre la grille du genre » (p. 10, je souligne). Or, la notion de grille de lecture n’a épistémologiquement aucun sens. D’une part, nous ne lisons pas dans le grand livre de la nature ou de la société, et, pour établir un fait, il ne suffit pas de changer des lunettes incolores pour des lunettes noires. D’autre part, une grille a priori n’est rien d’autre qu’un réseau de préjugés, et l’entreprise scientifique elle-même se définit par sa prise de distance avec les évidences douteuses de l’opinion. En l’occurrence, la race et le genre n’ont aucune objectivité scientifique et la superposition de leurs « grilles de lecture » se résume à l’expression de l’idéologie intersectionnelle.
Ainsi, à la première page de son chapitre, « Les danseuses du ventre au XXe siècle », Naïma Yahi, co-directrice de Sexualités, identités et corps colonisés (l’ouvrage préfacé élogieusement par Antoine Petit), écrit : « Domination du corps des femmes arabo-musulmanes, objets de désir et outils d’humiliation des sociétés patriarcales d’origine, ces héritières de Salomé et/ou de Shéhérazade sont assignées presque par automatisme à la prostitution qui découle de cet asservissement […]. » La syntaxe inextricable de cette phrase semble aussi curieuse que sa sémantique. Faut-il comprendre que les danses « orientales » dans les cabarets parisiens décrits sont là pour « humilier les sociétés patriarcales d’origine » ? Que viennent faire Salomé et Shéhérazade dans un article sur la danse du ventre au XXe siècle ? Ces princesses de légende n’ont au demeurant rien à voir avec la prostitution. Salomé n’était certes pas musulmane et Shéhérazade n’a rien d’une Arabe. Peu importe, les mots clés sont là : humiliation, patriarcal, assigner, prostitution, asservissement. Tel est l’effet assuré d’une « grille de lecture ».
3/ L’islamo-gauchisme
Naguère, le site islamique Oumma.com citait un propos de Pascal Blanchard sur « ce CNRS et cette université publique qui ne laissent pas sa place à l’étude de la culture coloniale et postcoloniale » (en ligne : http://blog.agone.org/post/2010/05/18/Postcolonial-Business-1#pnote-517668-8).
Quelque temps après, Pascal Blanchard et Nicolas Bancel déclaraient : « La grande peur de ce début de siècle s’est installée. Ce sera l’Islam. Dans cette perspective, une cohérence politique émerge. L’ennemi intérieur (les descendants de migrants « musulmans » en France) et l’ennemi extérieur (les djihadistes) ne sont plus qu’un aux yeux de l’opinion, des médias et des politiques. Comme avec les Communistes dans les années 30, ce rejet global d’un ennemi commun soude une partie de la nation. Il donne sens à une politique identitaire et aux engagements de la politique internationale de la France, tout en puisant dans le passé colonial une cohérence discursive » « Le grand repli – 3 questions à Nicolas Bancel et Pascal Blanchard », 23 septembre 2015 Le point de vue de Pascal Boniface (en ligne : https://www.iris-france.org/63485-le-grand-repli-3-questions-a-nicolas-bancel-et-pascal-blanchard-2/). Cette déclaration ne pouvait pas déplaire à l’Aramco, prestigieux client saoudien de la société de communication que codirige Blanchard.
Répondant aux vœux décoloniaux en promouvant l’intersectionnalité, la préface d’Antoine Petit au livre de Blanchard et coll. n’a pas échappé aux observateurs, et recevant en janvier 2021 Madame Vidal, ministre de tutelle du CNRS, Jean-Pierre Elkabbach lui cita le passage que nous venons d’analyser, et dans sa réponse, Vidal, déconcertée, prononça le mot « islamogauchisme », ce dont elle s’était bien gardée jusqu’alors. Elle attestait ainsi, sans doute par inadvertance, que la race et le sexe ainsi mobilisés servent aussi à défendre l’islamisme discriminé par une prétendue islamophobie.
L’« antiracisme » décolonial donne on le sait une large place à « l’islamophobie », qui serait une forme de racisme. Certes, une religion n’est pas une race, mais le concept d’islamophobie revêt une double fonction.
(i) Il permet de victimiser les musulmans pour les rassembler derrière les confréries, au premier chef celle des Frères musulmans dont Tariq Ramadan fut longtemps la figure principale, et qui fut fort influente dans le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF, dissous fin 2020).
(ii) Il définit la seule identité arabe par l’islam (au détriment des arabes athées, chrétiens ou autres) : c’est précisément ce postulat qui permet de déclarer apostat et de condamner, parfois à mort, tout arabe athée, comme s’il avait été musulman de naissance. La plus haute autorité de l’islam sunnite, l’Université d’Al-Azhar, a ainsi condamné le discours du président Macron du 2 octobre 2020 sur le « séparatisme islamiste » et l’a notamment qualifié de « raciste », comme si les islamistes constituaient une race.
Le terme d’islamogauchisme avait déjà fait scandale quand Jean-Michel Blanquer l’avait employé quelques jours après la décapitation de Samuel Paty, Le scandale redoubla quand Mme Vidal reprit ce terme et fit part de son intention de confier une mission d’enquête au CNRS.
La direction du CNRS, sous l’égide d’Antoine Petit, publia alors le 17 février un communiqué intitulé L’ islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique, qui commençait ainsi : « ‘’L’islamogauchisme’’, slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance. »
En effet, ces études ont été largement encouragées et financées par le CNRS, comme l’atteste, entre autres, le rapport publié en juin 2021 par l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires.
Le communiqué de la direction du CNRS poursuivait : « C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », chacun sait qu’un an après cette proposition n’a connu aucune suite.
On observe cependant que le communiqué confond la terminologie avec la réalité, dans la mesure où un terme jugé déplaisant peut parfaitement correspondre à une réalité objective. En témoigne par exemple la manifestation du 10 novembre 2019, à l’initiative, entre autres, du CCIF aujourd’hui dissous pour sa complaisance active envers l’islamisme : non seulement elle réunit toutes les forces de gauche et d’extrême gauche, syndicats compris — ce que même le premier mai n’avait faire — mais juché sur un camion, un dirigeant du CCIF fit reprendre le slogan Allahou Akbar !
Étrange anniversaire des tueries de Paris en 2015, ces mots sont pourtant les derniers qu’aient entendus que les victimes d’alors et Samuel Paty ensuite. Faut-il donc que la direction du CNRS n’ait pas entendu ce pieux slogan pour déclarer : « ‘’L’islamogauchisme’’, slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique ».
4/ Management et intersectionnalité
Bien qu’il ait pris clairement position contre ses ministres de tutelle, Antoine Petit pourrait apparaître comme une figure d’équilibre car il est aussi critiqué pour ses injonctions managériales que pour son soutien aux recherches militantes intersectionnelles. Cet « en même temps » rappelle toutefois que l’idéologie managériale s’accommode fort bien avec la militance intersectionnelle.
En effet, deux stratégies d’emprise se complètent, celle des groupes sectaires, militants du genre ou de la race, et celle des appareils bureaucratiques. Par exemple, l’écriture dite inclusive est maintenant recommandée voire imposée par des universités, laboratoires, écoles d’ingénieurs, car elle s’accorde pleinement avec l’idéologie managériale. Elle prolonge à sa manière les tableaux Excel et autres formatages. Il ne s’agit nullement de convaincre, mais simplement d’imposer et de s’imposer. Les tenants d’une langue de bois se moquent du contenu de ses formules du moment qu’elles sont employées, de gré ou de force, peu importe : ce ne sont pas des signes mais des signaux, pas des pensées mais des marques attendues de soumission.
Aux États-Unis, au sein des « humanités », les sciences sociales ont été peu à peu remplacées par les « études culturelles » ou Cultural studies, chacune correspondant à un segment de clientèle (juifs pour Holocaust studies, femmes pour Women studies, etc.), ou à un thème vendeur (Porn studies). Les universités doivent en effet attirer une clientèle aisée par des thèmes qui s’accordent avec la civilisation des loisirs et le narcissisme de masse.
Se plaçant dans la concurrence internationale, des institutions françaises entendent, semble-t-il, rivaliser sur ce terrain, et les militants décoloniaux ne manquent pas de souligner un prétendu retard de la France sur les études de genre et de race, comme on le voit dans l’introduction à Sexualités, identités et corps colonisés. Cette concurrence idéologique et économique justifie l’intervention des tutelles, dont témoignent exemplairement l’avant-propos d’Antoine Petit à cet ouvrage, comme ses déclarations imprégnées de néo-darwinisme managérial.
Pour l’idéologie managériale, telle qu’elle a été élaborée par les grandes entreprises et les think tanks qu’elles financent, les Cultural studies sont intéressantes à plus d’un titre. Elles font oublier les inégalités économiques soulignant des différences de race ou de genre, tout en divisant les personnels par des rivalités artificielles ; elles épuisent leurs représentant dans des débats casuistiques, et orientent leurs revendications dans un sens anecdotique (comme l’installation de toilettes spécifiques pour les transgenres). Elles assurent ainsi un contrôle social d’autant plus efficace qu’il se présente comme inclusif et compassionnel.