[article initialement paru dans le Figaro sous le titre « Pap Ndiaye veut-il déconstruire le conseil des sages de la laïcité ?« ]
L’article un de la Constitution de 1958 explique que la République est indivisible, laïque, démocratique et sociale. La Laïcité fait donc partie de ces principes qui nécessitent avant tout une organisation juridique. Fondée sur le principe de séparation (sphère publique, sphère privée) qui garantit la liberté de conscience et de culte, elle est fragilisée aujourd’hui par la conjonction du politique et du religieux sous les auspices d’un wokisme galopant qui s’accorde avec des gens comme Norman Ajari pour déclarer qu’elle est tout à la fois une mesure « d’apartheid »1, voire « islamophobe, discriminante, injuste et d’extrême droite ». Dans le même temps émerge un paradoxe dans la société : d’un côté on veut abolir la frontière entre sphère publique et sphère privée par des revendications religieuses au sein des services publics (la cantine, la prière, la séparation des hommes et des femmes…) et dans le même temps, les entreprises réclament son application alors que justement elle n’y a pas sa place. L’Institution scolaire est au cœur des tensions qui agitent évidemment le monde des adultes. Les Professeurs sont de plus en plus tiraillés entre le principe organisateur auquel ils sont soumis et les aspirations sociales des publics usagers du service public : leurs élèves et leurs parents. Le meurtre odieux commis de la plus barbare des façons dont a été victime Samuel Patty devrait à lui seul suffire à comprendre qu’il est essentiel de résister par la réaffirmation des principes organisateurs de l’Etat. De ces derniers dépendent en partie les Institutions qui définissent l’étendue de l’identité de la nation française: la langue, sa culture et sa littérature, son école. Le conseil des sages de la laïcité, présidée aujourd’hui par Dominique Schnapper, est une Institution qui a été fondée en 2018 pour être tout à la fois l’organe de consultation indispensable pour toutes les questions liées à la laïcité à l’école et dans l’administration de l’Education Nationale en même temps qu’un cercle actif de collègues toujours sur la brèche prêts à se rendre sur tous les terrains pour rencontrer, discuter et conseiller les enseignants, les chefs d’établissement, les inspecteurs d’académie, les recteurs, les directeur de cabinet ou les ministres sur simple demande. Ils ont produit de nombreux ouvrages, comme le précieux Vademecum « Agir contre le racisme et l’antisémitisme »2 rédigé conjointement avec la Dilcrah de 2018 où l’on lira avec profit le dernier chapitre consacré à la distinction essentielle entre racisme et antisémitisme, par exemple; ou l’excellent coffret « Guide Républicain » qui, partant de nombreux cas répertoriés apporte à chaque acteur scolaire une réponse concrète. Institution discrète mais efficace, elle a rendu d’innombrables services, anticipé de nombreuses approximations malheureuses et empêché de nombreux drames… Elle n’a jamais été un gadget à la mode: c’est au contraire un des derniers remparts salutaires contre la folie qui semble s’emparer de la société, et pour tout dire: une (vraie) vigie. Jean-Louis Bianco, au titre de sa présidence de feu l’Observatoire de la laïcité – jugé trop complaisant avec l’islamisme – y avait un siège et quelles que fussent ses positions personnelles ou quelle que fût la définition erronée qu’il portait d’une laïcité à épithètes : il n’a jamais, sauf peut-être une fois, trouvé à redire, contredire ou nuancer des décisions du conseil. C’était sans doute dû au fait que la laïcité, dans l’esprit du concepteur de cette institution, était un vecteur de rassemblement, un point de convergence qui pesait bel et bien sur le réel. Il en va ainsi de ces Institutions discrètes qui fonctionnent bien sous la houlette des bonnes personnes. Elles finissent par susciter la convoitise de quelques-uns qui, n’ayant pas le pouvoir de bien faire, s’arrangent pour que plus personne ne puisse faire mieux.
C’est dans ce contexte difficile que nous avons récemment appris deux événements qui modifient considérablement la donne institutionnelle. Dans un premier temps, l’aréopage est élargi à de nouvelles personnalités sur simple nomination de M. le Ministre NDiaye. Il n’y a rien là de bien étonnant et c’est là l’usage des cours qui autorise les personnes de la haute aristocratie à distribuer des prébendes à ceux de leurs amis qui sans aucun doute le mérite. Et parmi ces nominations, toutes ne sont pas à juger avec le même œil sévère, bien au contraire, et nous ne pouvons collectivement que nous réjouir de voir entrer ainsi des juristes spécialistes des Territoires disputés de la laïcité par exemple. La nomination d’Alain Policar quant à elle, sans nul doute « touché de l’ovation et qui attend[…] avec impatience l’heure où il pourra […] se mêler aux notabilités » est intéressante pour le portrait qu’elle dresse de la réussite en France au XXIe siècle et pour l’inflexion politique dont elle est le symptôme.
Doué d’un esprit visionnaire lui permettant de sonder les reins et les coeurs ministériels, il déclarait récemment dans une entrevue accordée à l’Express que « l’idée du ministre était de diversifier les sensibilités au sein du Conseil jusqu’ici assez monocolore »3.Que signifie donc, pour celui qui connaît les idées des ministres, l’adjectif « monocolore » ? Car qui connaît les rouages de l’Institution sait combien on y voit des vertes et des pas mûres. Et il serait bien maladroit de leur assigner une « couleur » politique, une « couleur » raciale voire une « couleur » spirituelle. Mais au fait: de quelle « couleur » M. Policar se réclame-t-il ? C’est une autre histoire. En effet, M. le Ministre Pap NDiaye est intervenu pour changer la lettre de mission du conseil en modifiant non seulement sa composition, mais également son périmètre et ses prérogatives. Dorénavant, le conseil ne pourra plus être consulté directement par les acteurs de terrain mais toutes les requêtes devront passer par le recteur lui-même, et sur saisine du ministre lui-même. Imagine-t-on le principal d’un collège de province consulter toute sa hiérarchie jusqu’au rectorat pour obtenir une réponse sur la gestion, locale, du périscolaire ? C’est, de fait, une stérilisation du conseil qui est contenue dans cette réorganisation des moyens de consultation. Sans doute, pour en connaître les membres, la plupart se rendront-ils disponibles: mais ce sera de manière dérogatoire par rapport à leur statut. Et qu’adviendra-t-il des prochaines promotions ? Qui ne voit pas que la caporalisation du conseil intervient en même temps que la question des « discriminations » vient dans l’arrêté lui-même corriger l’enjeu de « laïcité » qui est celui du conseil ?
Remplacer la question de la laïcité par les interrogations liées aux discriminations revient en réalité à réviser la nature essentielle du conseil des sages qui n’avait jamais prétendu en savoir autant sur les questions « de genre et de race ». La laïcité est une question technique, juridique, qui organise pour la République, la séparation entre la sphère privée et la sphère publique. En étendant les prérogatives de la question laïque aux questions discriminatoires, il bascule progressivement dans une forme de relativisme woke porté par les théories du genre et de la race. Alain Policar en est, quel hasard, un promoteur reconnu lui qui écrivait : « Il existe des violences fondées sur la construction de différences « raciales »4. Mais sa nomination n’a évidemment rien à voir… Quoi qu’il arrive, la mise sous tutelle du Conseil des sages de la laïcité, perceptible dans certains articles du nouvel arrêté, se heurte inévitablement à la réalité de l’audience de ses membres au sein et au-delà de l’institution scolaire. Honnêtement, imagine-t-on Pap Ndiaye brider l’expression de Dominique Schnapper ?