Jazz, culture, liberté.

Jazz, culture, liberté.

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Jazz, culture, liberté.

Avant-propos de Pierre-André Taguieff au livre Jazz Talk de Jean Szlamowicz

Le jazz est né de conditions historiques particulières : il a surgi dans un pays en voie de construction, encore sous la violente influence d’un esclavage dont la dissolution s’accompagnait d’une ségrégation et d’un racisme institutionnels mis à l’épreuve des idéaux démocratiques fondateurs de la nation américaine. La musique qui naît de la rencontre entre cette ségrégation, la migration de populations européennes pauvres, un développement industriel inédit et l’émergence de la modernité politique nationale ne pouvait qu’être marquée par ces circonstances.

L’ouvrage de Jean Szlamowicz décrit justement l’ancrage culturel propre au jazz comme phénomène social et historique, esthétique et culturel. Il n’était pas évident de réussir le pari méthodologique de cette mise en regard du vocabulaire et de l’esthétique dans un cadre culturel : la richesse de la documentation et la connaissance intime qu’il a de son sujet étaient nécessaires.

Le paradoxe du jazz, c’est qu’il ne s’est pas réduit à ce qui aurait pu n’être qu’un folklore sans lendemain ou un divertissement passager.

Il s’est diffusé hors de son cadre d’origine : avidement assimilé par des milliers d’amateurs éclairés dans le monde, il est devenu le porte-voix de nouveaux discours. Ce fut la musique de la Libération en Europe, de la dissidence en URSS. Belle appropriation culturelle qui profita à chacun, riche d’un discours et d’une esthétique imbriqués. C’est ainsi que je l’ai moi-même abondamment pratiqué comme pianiste dans les clubs de la capitale durant mes vertes années étudiantes, à la fin des années 1960…

C’est au fond le grand paradoxe politique du jazz : un ancrage culturel fort qui a trouvé à se diffuser dans le monde entier. Une forme exemplaire de l’autodépassement d’un particularisme culturel. Peut-être s’est-il à l’occasion dilué dans cette internationalisation et, parfois, dans son institutionnalisation et sa commercialisation. Il reste cependant fort de son histoire et de sa dynamique culturelle, désormais incarnées dans un langage musical. À l’évidence, son vocabulaire en est porteur, comme le montre savamment, mais sans aucun pédantisme, Jean Szlamowicz.

C’est là tout l’objet de cet ouvrage qui rappelle opportunément — à l’heure où l’on jette parfois un regard trouble sur les identités culturelles — qu’un fort caractère identitaire n’empêche pas le partage, au contraire.

On se plongera donc avec plaisir et grand profit intellectuel dans ces pages retraçant l’épaisseur linguistique de cette musique de joie et d’émancipation, de subtilité artistique et de lutte politique, d’affirmation et d’exultation dont le swing, le blues, le preaching sont les intenses manifestations esthétiques. Ce qui à mes yeux, dans l’ouvrage de Jean Szlamowicz, est particulièrement précieux en notre époque accablée de mythologies victimaires, c’est la démonstration que le jazz, exaltation de la puissance vitale, est tout le contraire d’une culture du ressentiment. Il est à l’image de la liberté de l’improvisateur, qui exprime ainsi sa joie de vivre. L’amour du jazz, selon la formule convenue, c’est plus profondément l’amour de la liberté. 

Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, directeur de recherche au CNRS

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