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La cancel culture, une menace pour le débat d’idées ? | RCF

La cancel culture, une menace pour le débat d’idées ? | RCF

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  En février dernier, le quotidien britannique The Telegraph révélait que l’éditeur Puffin (du groupe Penguin Random House) allait retirer les références à la taille des personnages, à leur poids, à leur couleur de peau ou à leur genre, dans les œuvres pour la jeunesse de Roald Dahl. Exit des célèbres romans « Charlie et la chocolaterie » ou « Matilda » tout ce qui pourrait heurter les jeunes lecteurs ou véhiculer certaines représentations. Une annonce qui a suscité un tollé, si bien que l’éditeur a dû préciser qu’il allait continuer à publier les versions originales.  Cette « volonté de mettre de l’égalité dans la narration transforme la compréhension que l’on a de l’histoire », regrette Hubert Heckmann, maître de conférences en langue et littérature françaises du Moyen Âge à l’université de Rouen. Auteur de « Cancel ! De la culture de la censure à l’effacement de la culture » (éd. Intervalles, 2022), il cite par exemple dans « La Potion magique de Georges Bouillon », les « hommes-nuages » devenus des « personnes-nuages ». De même, ce n’est plus la mère de Georges qui lave la salade mais c’est le père et la mère « pour que les tâches ménagères soient réparties de façon équitable ». Une réécriture qui « va vraiment jusqu’à changer les rapports entre les personnages, dénonce Hubert Heckmann, au nom de notre conception contemporaine de la différence sexuelle ». Qu’est-ce que la cancel culture ? Cancel est un mot anglais qui signifie « annuler  » ou « supprimer ». La cancel culture « a toujours existé, l’histoire est un flux, c’est une remise en question permanente », rappelle Boris Vejdovsky, maître de recherche et professeur de littérature et de culture américaines à l’université de Lausanne. « Il y a à l’intérieur de la cancel culture des accélérations et des effets qui sont eux tout à fait particuliers à notre époque. » La cancel culture a des origines américaines. « Il y a un désir qui est très protestant, très américain de faire un déballage public de sa vie, de mettre à nu ses tares, etc., observe Boris Vejdovsky. Ça vient de la conversion narrative, le récit de conversion : comment j’en suis venu à avoir la vraie foi. Et donc, ça peut être quelque chose d’individuel mais aussi de qui touche une société. Alors la société cherche à annuler ces tares, ses fautes, ses discriminations. » Ainsi, taguer la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale relève de cette cancel culture. Et c’est aussi le cas quand on déboulonne une statue. « Mettre une statue dans l’espace public c’est décider collectivement de la mémoire que l’on veut entretenir, explique Boris Vejdovsky, il y a la statue que l’on met, le personnage, la façon de représenter le personnage et le moment où l’on met la statue. » Cela renvoie à un rapport extrêmement complexe au passé. Ainsi, quand, on a déboulonné les statues de Lénine après la chute de l’URSS, « qui s’en offusque aujourd’hui ? » questionne le chercheur. « La question du respect du passé est toujours à plusieurs tranchants… On ne saurait trancher en disant simplement ça c’est l’histoire et on la garde et ça ce n’est pas l’histoire et on ne garde pas. Il y a un contexte qui est extrêmement complexe et qui est variable. »
La cancel culture est portée par des gens qui, eux-mêmes, ont été effacés pendant de très longues périodes
Cancel culture, un terme hautement polémique « Le terme cancel culture est d’abord un terme péjoratif, précise Boris Vejdovsky, pour qualifier tous ceux et celles qui remettent en question un discours qui a été dominant pendant très longtemps. » Souvent adopté par la droite réactionnaire américaine, et en premier lieu Donald Trump, il est aussi bien appliqué aussi bien au « sexe supposé des dragées M&M’s », aux « statues de Jefferson »… Et à force, « il ne veut plus rien dire » ! Il y a « des réactions hystériques face à la cancel culture qui provoquent une sorte d’anti cancel culture », reconnaît Hubert Heckmann, notamment « dans l’extrême droite américaine, par effet de mimétisme ».  « Bien entendu on trouve que la cancel culture va trop loin à partir du moment où soit même on n’est pas menacé par une ostracisation, le ridicule, etc. », souligne Boris Vejdovsky. S’il partage « en grande partie » la dénonciation qui en est faite, celui-ci rappelle que la cancel culture est « portée par des gens qui, eux-mêmes, ont été effacés pendant de très longues périodes », comme « les minorités racisées » ou les femmes. Y a-t-il des rapports de force à l’œuvre derrière cette volonté de réécrire le passé ? « Ces questions de cancel culture sont aussi et peut-être d’abord des questions de position dominant / dominé dans le discours », affirme Boris Vejdovsky. Ce à quoi Hubert Heckmann s’oppose : « Soi-disant que dénoncer la cancel culture serait participer d’une domination ou vouloir opprimer des discours qui ont du mal à se faire entendre, je ne crois pas qu’il s’agisse de ça ! » Si la cancel culture « est instrumentalisée par des gens comme Donald Trump », admet le chercheur, « c’est aussi le point qui a réussi à mettre d’accord Donald Trump, Barack Obama et le pape François – Barack Obama et le pape François ne sont pas des oppresseurs des minorités »… En janvier 2022, le pape a dénoncé la cancel culture comme « une forme de colonisation idéologique ».
Il y a une sorte de dynamique totalitaire dans la réécriture du passé
Que faire des témoignages offensants du passé ? Réécrire l’histoire cela infantilise et procède d’une vision « paternaliste », déplorent aussi Boris Vejdovsky qu’Hubert Heckmann. « Il y a une sorte de dynamique totalitaire dans la réécriture du passé », prévient ce dernier. Que faire donc des textes du passé qui nous heurtent ? Quand on lit un texte, « s’établit une sorte de dimension intersubjective entre ma subjectivité à moi, dans le présent qui me pose des questions qui sont forcément liées aux questions qui se posent aujourd’hui, et puis ce qu’a voulu dire l’auteur », rappelle Hubert Heckmann. Au lecteur de « se détacher » de lui-même et de s’introduire « dans un autre esprit ». « Je dois quitter ma propre perspective pour essayer de comprendre un autre. » Cette dimension intersubjective « va avec un respect de l’altérité », précise le chercheur. 

En février dernier, le quotidien britannique The Telegraph révélait que l’éditeur Puffin (du groupe Penguin Random House) allait retirer les références à la taille des personnages, à leur poids, à leur couleur de peau ou à leur genre, dans les œuvres pour la jeunesse de Roald Dahl. Exit des célèbres romans « Charlie et la chocolaterie » ou « Matilda » tout ce qui pourrait heurter les jeunes lecteurs ou véhiculer certaines représentations. Une annonce qui a suscité un tollé, si bien que l’éditeur a dû préciser qu’il allait continuer à publier les versions originales. 

Cette « volonté de mettre de l’égalité dans la narration transforme la compréhension que l’on a de l’histoire », regrette Hubert Heckmann, maître de conférences en langue et littérature françaises du Moyen Âge à l’université de Rouen. Auteur de « Cancel ! De la culture de la censure à l’effacement de la culture » (éd. Intervalles, 2022), il cite par exemple dans « La Potion magique de Georges Bouillon », les « hommes-nuages » devenus des « personnes-nuages ». De même, ce n’est plus la mère de Georges qui lave la salade mais c’est le père et la mère « pour que les tâches ménagères soient réparties de façon équitable ». Une réécriture qui « va vraiment jusqu’à changer les rapports entre les personnages, dénonce Hubert Heckmann, au nom de notre conception contemporaine de la différence sexuelle ».

Qu’est-ce que la cancel culture ?

Cancel est un mot anglais qui signifie « annuler  » ou « supprimer ». La cancel culture « a toujours existé, l’histoire est un flux, c’est une remise en question permanente », rappelle Boris Vejdovsky, maître de recherche et professeur de littérature et de culture américaines à l’université de Lausanne. « Il y a à l’intérieur de la cancel culture des accélérations et des effets qui sont eux tout à fait particuliers à notre époque. »

La cancel culture a des origines américaines. « Il y a un désir qui est très protestant, très américain de faire un déballage public de sa vie, de mettre à nu ses tares, etc., observe Boris Vejdovsky. Ça vient de la conversion narrative, le récit de conversion : comment j’en suis venu à avoir la vraie foi. Et donc, ça peut être quelque chose d’individuel mais aussi de qui touche une société. Alors la société cherche à annuler ces tares, ses fautes, ses discriminations. »

Ainsi, taguer la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale relève de cette cancel culture. Et c’est aussi le cas quand on déboulonne une statue. « Mettre une statue dans l’espace public c’est décider collectivement de la mémoire que l’on veut entretenir, explique Boris Vejdovsky, il y a la statue que l’on met, le personnage, la façon de représenter le personnage et le moment où l’on met la statue. » Cela renvoie à un rapport extrêmement complexe au passé. Ainsi, quand, on a déboulonné les statues de Lénine après la chute de l’URSS, « qui s’en offusque aujourd’hui ? » questionne le chercheur. « La question du respect du passé est toujours à plusieurs tranchants… On ne saurait trancher en disant simplement ça c’est l’histoire et on la garde et ça ce n’est pas l’histoire et on ne garde pas. Il y a un contexte qui est extrêmement complexe et qui est variable. »

La cancel culture est portée par des gens qui, eux-mêmes, ont été effacés pendant de très longues périodes

Cancel culture, un terme hautement polémique

« Le terme cancel culture est d’abord un terme péjoratif, précise Boris Vejdovsky, pour qualifier tous ceux et celles qui remettent en question un discours qui a été dominant pendant très longtemps. » Souvent adopté par la droite réactionnaire américaine, et en premier lieu Donald Trump, il est aussi bien appliqué aussi bien au « sexe supposé des dragées M&M’s », aux « statues de Jefferson »… Et à force, « il ne veut plus rien dire » ! Il y a « des réactions hystériques face à la cancel culture qui provoquent une sorte d’anti cancel culture », reconnaît Hubert Heckmann, notamment « dans l’extrême droite américaine, par effet de mimétisme ». 

« Bien entendu on trouve que la cancel culture va trop loin à partir du moment où soit même on n’est pas menacé par une ostracisation, le ridicule, etc. », souligne Boris Vejdovsky. S’il partage « en grande partie » la dénonciation qui en est faite, celui-ci rappelle que la cancel culture est « portée par des gens qui, eux-mêmes, ont été effacés pendant de très longues périodes », comme « les minorités racisées » ou les femmes.

Y a-t-il des rapports de force à l’œuvre derrière cette volonté de réécrire le passé ? « Ces questions de cancel culture sont aussi et peut-être d’abord des questions de position dominant / dominé dans le discours », affirme Boris Vejdovsky. Ce à quoi Hubert Heckmann s’oppose : « Soi-disant que dénoncer la cancel culture serait participer d’une domination ou vouloir opprimer des discours qui ont du mal à se faire entendre, je ne crois pas qu’il s’agisse de ça ! » Si la cancel culture « est instrumentalisée par des gens comme Donald Trump », admet le chercheur, « c’est aussi le point qui a réussi à mettre d’accord Donald Trump, Barack Obama et le pape François – Barack Obama et le pape François ne sont pas des oppresseurs des minorités »… En janvier 2022, le pape a dénoncé la cancel culture comme « une forme de colonisation idéologique ».

Il y a une sorte de dynamique totalitaire dans la réécriture du passé

Que faire des témoignages offensants du passé ?

Réécrire l’histoire cela infantilise et procède d’une vision « paternaliste », déplorent aussi Boris Vejdovsky qu’Hubert Heckmann. « Il y a une sorte de dynamique totalitaire dans la réécriture du passé », prévient ce dernier. Que faire donc des textes du passé qui nous heurtent ?

Quand on lit un texte, « s’établit une sorte de dimension intersubjective entre ma subjectivité à moi, dans le présent qui me pose des questions qui sont forcément liées aux questions qui se posent aujourd’hui, et puis ce qu’a voulu dire l’auteur », rappelle Hubert Heckmann. Au lecteur de « se détacher » de lui-même et de s’introduire « dans un autre esprit ». « Je dois quitter ma propre perspective pour essayer de comprendre un autre. » Cette dimension intersubjective « va avec un respect de l’altérité », précise le chercheur.

 

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