Imagine-t-on aujourd’hui une science de la médecine, une branche nouvelle qui s’auto-proclamerait « Science du Remdesivir ». C’est pourtant bien ce à quoi nous assistons quotidiennement avec l’établissement d’un champ disciplinaire qui insuffle à l’Université ses normes et ses canons avec une science du « décolonialisme » qui part d’un double postulat dont on attend la vérification ou l’invalidation:
- 1] Il y a un colonialisme à l’oeuvre dans les structures profondes de la République de l’école et des savoirs
- 2] Le « décolonialisme » en est le remède
On assisterait au même débat: 1- Il y a une maladie 2- mon médicament en est le seul remède. On partage difficilement les enthousiasmes de Lagasnerie quand il écrit:
Si l’idée d’université (et surtout de champ intellectuel) comme lieu de la discussion a une signification, alors s’interroger sur certains cadres qui organisent la production des savoirs (et même sur ce que veut dire produire des savoirs) ne représente pas une attaque « contre l’université », mais, au contraire, l’une des formes de l’exercice de la raison universitaire lorsqu’elle se prend elle-même pour objet.
G. Lagasnerie, Sortir de notre impuissance (voir en base de données)
Remettre en cause les savoirs acquis comme exercice de la raison, soit. Mais les remettre en cause non pas pour maintenir le doute comme ascèse logique, mais plutôt pour asseoir un remède comme unique chemin de rédemption : voilà qui interpelle. Et cette méfiance instinctive est renforcée par des affirmations qui soulignent parfaitement que la révolution copernicienne se fait par un retour au sujet, qui ignore l’objet:
Si en tant que féministes, nous n’avons pas ce handicap de départ, si nous sommes à la fois sujets et objets de notre analyse, nous n’en sommes pas moins, en tant qu’universitaires, membres, même si membres inférieurs, de la classe intellectuelle.
C. Delphy, L’ennemi principal (voir en base de données)
Comment peut-on à la fois soutenir l’idée que la critique déconstructiviste est un exercice de la raison en même temps que l’on est soi-même l’objet d’étude de la discipline du remède ? L’objectif revient très vite à celui de la secte: purifier, nettoyer le corps ou l’esprit malade des parasites intellectuels qui lui nuisent à son insu:
Je ne suis pas pour autant sorti de la précarité économique mais je bénéficie au quotidien de la suprématie blanche, du patriarcat et de capitaux culturels et sociaux.
Ludivine de Brantigny, De grands soirs en petits matins , (voir en base de données)
La science du remède, qui fait passer le DÉcolonialisme avant l’étude ou la preuve du Colonialisme en tant que certitude raisonnée, n’est rien d’autre qu’un énième avatar de la théologie de la Libération: ‘libère toi, misérable, des chaînes qui t’asservissent malgré toi et sans que tu le saches. Car tu es malade, et je suis le remède ».
Pourquoi pas ? Eh bien parce que l’Université est le lieu de l’Universalisme et du doute raisonnable; de l’étude distanciée et de l’engagement sobre.
Pas de la cure.