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Le wokisme n’aime pas les faibles. Disability studies vs autistes

« Encourager la Justice sociale, l’autonomisation et la participation pleine et entière des personnes handicapées ». Cette promesse n’est pas celle d’une association, mais du programme doctoral en disability studies de l’Université d’Illinois à Chicago1. La discipline a un objectif militant assumé : remplacer le modèle médical, « qui conçoit le handicap comme une déficience qui doit être soignée, un problème à résoudre ou une maladie à éliminer » par « le modèle social, qui impute la responsabilité du handicap à l’environnement, aux lois inappropriées, aux présupposés sociaux »2.

            C’est un nouveau regard sur le handicap que défendent les disability studies. Ses fondateurs Irving Zola, créateur de la Massachussets Society for Disability Studies en 1982, et Mike Oliver, qui a publié The Politics of Disablement en 1990, ont pour ambition de bouleverser la frontière entre le normal et le pathologique et de mettre en avant le « savoir expérientiel » des personnes handicapées.

            En France, nous pouvons citer la philosophe Anne-Lyse Chabert qui prend appui sur son expérience d’un handicap physique évolutif pour remettre en question la frontière entre le handicap et la norme. Elle avance que lorsque la personne handicapée a transformé son environnement, alors elle accède à une nouvelle norme, ce qui rend fluctuante la définition même du handicap3. Selon son point de vue, une personne amputée qui a appris à vivre sans ses jambes ou une personne sourde qui a échangé la sonnette de son domicile contre un signal lumineux n’est plus handicapée.

            Cette nouvelle discipline a rencontré un public enthousiaste parmi les personnes autistes Asperger. Nourrie par les disability studies et son relativisme, l’une d’entre elles, la sociologue australienne Judy Singer a forgé en 1997 la notion de « neurodiversité ». Il existe une variation infinie de fonctionnements cérébraux, et aucune n’est plus normale ni plus saine qu’une autre. Il ne faut pas parler de trouble, mais de différence, et personne ne devrait faire l’effort de s’adapter à une norme forcément tyrannique.

            En France, cette idée est défendue par des associations regroupant des autistes de haut niveau comme CLE autiste et La neurodiversité France, qui s’inspirent des luttes féministes et anti-racistes pour définir le handicap comme « une situation construite politiquement et culturellement par les normes de la société (…). Cela est lié à un rapport de pouvoir inégal entre les personnes valides et non-valides, qui mène à l’oppression et à la discrimination. »4

            Quoiqu’il se présente comme très politisé, paradoxalement, ce mouvement ne défend pas les intérêts des personnes autistes. Il est même nocif envers celles qui auraient le plus besoin.

Vers un repli communautaire

            Ces militants rejettent les comportements et modes de communication communément admis. Pourtant, reconnaître un socle commun permet à tous d’échanger des idées, travailler ensemble et plus généralement nouer des liens avec des personnes qui ne sont pas identiques à soi. Le refuser revient à s’isoler socialement. Citons l’exemple de jeunes autistes qui ont des difficultés à regarder une personne dans les yeux. Ils doivent pourtant apprendre cette compétence sociale autant que faire se peut, car le contact visuel permet une communication bien meilleure. Pour vivre en société, mieux vaut se comprendre le plus finement possible.

            La recherche en disability studies encourage elle aussi le repli communautaire, ne serait-ce que dans sa méthode, inspirée de la « standpoint theory ». Il n’est pas censé exister d’être humain rationnel, qui élaborerait des connaissances indépendamment de sa situation. A l’instar de l’Université de Chicago précédemment citée, le Centre for Disability Studies de l’Université de Bristol annonce que les travaux de recherche « doivent favoriser la plus grande participation possible de personnes handicapées »5. Ces dernières seraient les plus à même d’élaborer des connaissances sur leur propre situation. Les chercheurs qui n’ont pas de handicap doivent donc s’incliner face aux écrits des « personnes concernées » et une critique argumentée sera réduite à un propos oppressif.

            Fidèles à cette logique, leurs publications sont parfois en réalité un plaidoyer en faveur d’une identité autiste. En 2023, une équipe de chercheurs britanniques a interrogé 121 jeunes autistes lors d’une Summer school qui leur était dédiée. A la lecture de leurs réponses au questionnaire, les chercheurs sont arrivés à la conclusion que « les jeunes autistes qui ont un taux élevé de satisfaction d’être autistes (how satisfied they felt to be autistic) » étaient moins anxieux que les autres. Aussi, l’intégration dans un groupe solidaire de personnes autistes a un effet positif sur le bien-être psychologique6. Etre satisfait de soi-même tel que l’on est, et faire partie d’un groupe d’amis sont des sentiments agréables, tout le monde en conviendra. Les résultats de cette étude, qui tient davantage de l’enquête de satisfaction, ne vont pas dans le sens de l’atténuation des symptômes de l’autisme ni d’une ouverture aux autres.

Repli identitaire et lutte contre la recherche

            L’autisme est une identité, de même que les autres troubles neuro-développementaux comme le TDA/H ou bien sûr l’absence de trouble. A l’instar de toute identité, elle ne peut être modifiée de l’extérieur, par exemple par un apprentissage spécialisé qui aiderait les jeunes autistes non-verbaux à s’exprimer. La personne elle-même serait atteinte dans son intégrité morale. « De nombreuses personnes autistes pensent qu’être guéries de l’autisme équivaudrait à la mort, puisque le cas échéant, elles ne seraient plus elles-mêmes » 7, explique Jim Sinclair, fondateur de l’association Autism Network International en 1992.

            L’une des caractéristiques du trouble du spectre de l’autisme est une angoisse liée au changement. Ce qui pourrait expliquer ce refus radical de voir ses symptômes régresser. Considérant cela, nous pouvons nous poser la question suivante : les « personnes concernées » sont-elles toujours les plus à même de défendre leurs propres intérêts ? Qui est le plus légitime pour se prononcer sur la question « faut-il atténuer les manifestations de l’autisme » : des personnes phobiques du changement, ou bien des parents d’enfants autistes qui constatent chaque jour les souffrances nées de l’incommunicabilité ?

            « Nous rejetons toutes les politiques inspirées de l’eugénisme qui favorisent les recherches scientifiques basées sur les causes de l’autisme »8.  Pourtant, grâce à ces recherches, le généticien Thomas Bourgeron a découvert en 2003 les premiers gènes impliqués dans l’autisme. Découverte qui offre des perspectives thérapeutiques : « Identifier les gènes permet aussi de dépister une maladie métabolique à l’origine d’un tableau autistique, comme la phénylcétonurie (…). Il est alors possible de modifier le régime alimentaire des enfants pour qu’ils ne soient pas atteints de déficience intellectuelle »9. Si la déficience intellectuelle est considérée comme un simple écart vis-à-vis d’une norme socialement construite, ces travaux de recherche seront en effet perçus commeoppressifs.

Quels autistes ? Un problème de représentativité

            M’Hammed Sajidi, président et fondateur de Vaincre l’autisme, pointe le fait que les défenseurs du concept de neurodiversité sont le plus souvent des personnes atteintes du syndrome d’Asperger, qui ne souffrent pas de difficultés lourdes aux niveaux intellectuel et cognitif. Et qui parlent au nom de toutes les personnes autistes, même des 31% d’entre elles10 qui ont un QI égal ou inférieur à 70.

            Ce phénomène est la conséquence d’une évolution de la définition de l’autisme. Depuis les années 1980, les critères diagnostiques de ce trouble ont été considérablement élargis, pour y inclure à la fois « des sujets sans langage avec des problèmes de communication sévères, mais aussi des personnes avec des capacités cognitives et langagières (importantes). »11 Ces dernières se sont accaparé la défense des droits de toutes les personnes autistes. Bien sûr, puisqu’eux seuls sont en mesure d’écrire des thèses de doctorat et de mener des actions de lobbying.

            « Ces personnes qui s’expriment peuvent vivre tel quel, sans aucune intervention médicale, psychologique ou autre », explique Magali Pignard, co-fondatrice de l’Association francophone de femmes autistes12 ; « elles sont surtout dans l’incapacité de se mettre à la place de l’autre, et ça c’est une caractéristique de l’autisme. Et aussi le côté blanc/noir, aucune nuance (typique de l’autisme) (…) pour elles, tous les autistes sont comme eux. Et selon eux, les autistes plus sévères le sont à cause de leurs parents qui les oppriment, qui veulent les forcer à être neurotypique ».

Le wokisme va-t-il vraiment dans le sens de la Justice sociale ?

            Les disability studies donnent à leurs adeptes l’impression d’œuvrer pour le bien. Pourtant la discipline a des effets pervers sur les éléments fragiles des groupes qu’elles prétendent défendre.

            Ce paradoxe n’est pas unique dans la sphère du wokisme. Avec la même intrication revendiquée entre recherche et militantisme, les fat studies et son corollaire, le mouvement « body acceptance » prétend que l’obésité n’a aucune conséquence négative pour la santé. Ce courant commence à faiblir, malheureusement pour des raisons tragiques. Certains de ses partisans sont décédés prématurément, notamment Cat Pausé, professeure de fat studies à l’Université Massey en Nouvelle-Zélande, décédée en mars 2022 à l’âge de 42 ans13.

            Cet aspect mortifère peut également être dénoncé dans le mouvement pour les « droits des trans ». Après un changement de définition à l’OMS14, des hommes non-opérés, hétéros et parfaitement intégrés ont rejoint la « communauté trans » pour défendre leurs propres revendications15. Ce faisant, ils encouragent la transition médicale pour des mineurs extrêmement fragiles, alors qu’aucune étude fiable n’a jamais démontré de rapport bénéfice-risque favorable, bien au contraire16. Comme les jeunes autistes, les jeunes transidentifiés ne doivent surtout pas voir remise en question leur perception d’eux-mêmes. L’association La neurodiversité France revendique d’ailleurs « le droit d’être soi ». Ici, « être soi » implique de ne faire aucun effort d’adaptation pour vivre en société. Ailleurs, le Ministère de l’Education nationale lance la campagne « Ici on peut être soi»17, c’est-à-dire entamer un parcours de transition et surtout pas de soins adaptés.

Les mouvements pour la neurodiversité, pour « l’acceptation des gros » et pour l’auto-détermination de genre ont des points communs importants : encouragement au narcissisme et au repli communautaire, refus des soins psychiatriques et autres. Au nom d’un « moi » prééminent, immuable et parfait, l’individu s’accorde le droit de se replier entre pairs ou bien, pour les plus fragiles d’entre eux, est abandonné à lui-même. Aux dépends des personnes vulnérables, de l’avancée de la science et de la vie en commun.

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Pauline Arrighi

Journaliste indépendante, spécialiste des questions de droits des femmes et de bioéthique, Pauline Arrighi a publié "Crimes et délits cocasses", "Et si le féminisme nous rendait heureuses ?" ainsi que "Les Ravages du Genre"

  1. Cooper K, Russell AJ, Lei J, Smith LG. The impact of a positive autism identity and autistic community solidarity on social anxiety and mental health in autistic young people. Autism. 2023 Apr;27(3):848-857.

  2. Cité dans Leadbitter K, Buckle KL, Ellis C, Dekker M. Autistic Self-Advocacy and the Neurodiversity Movement: Implications for Autism Early Intervention Research and Practice. Front Psychol. 2021 Apr 12;12:635690. doi: 10.3389/fpsyg.2021.635690. PMID: 33912110; PMCID: PMC8075160.

  3. Lucie Valdenaire, Haut potentiel intellectuel et troubles neurodéveloppementaux :  une revue de la littérature. Médecine humaine et pathologie. 2019

  4. Dans une interview écrite du 13 juin 2024

  5. « Avant 2013, le « trouble de l’identité de genre » était décrit dans le DSM-IV, le manuel de référence en psychiatrie, comme un « inconfort sévère et persistant à propos du sexe biologique ». (…) Puis la nouvelle édition du manuel, le DSM-V, ne parle plus de « trouble » mais de « dysphorie de genre ». Le psychiatre Alexander Korte, du CHU de Munich, attire l’attention sur le fait que l’« incongruence de genre» inclut beaucoup plus de critères », extrait de mon ouvrage Les Ravages du genre paru en novembre 2023 aux éditions du Cerf

  6. Je détaille les diverses revendications de ces hommes (égoïstes et souvent de nature misogyne) dans Les Ravages du genre paru en novembre 2023 aux éditions du Cerf

  7. à l’occasion du 17 mai 2024, Journée de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie.