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Les jeunes femmes à la pointe du wokisme

Les jeunes femmes à la pointe du wokisme

Olivier Galland

Sociologue, directeur de recherche au CNRS

Plusieurs études récemment publiées montrent qu’un fossé grandissant se creuse entre les conceptions culturelles et morales des jeunes femmes et des jeunes hommes. C’est sans doute une des premières fois dans l’histoire de nos sociétés qu’un tel écart se manifeste entre hommes et femmes. C’est bien sûr la question du genre qui est l’origine de ce fossé qui s’accroît entre les sexes. Les jeunes femmes adhèrent aujourd’hui massivement (à plus de 60% selon l’étude Une jeunesse plurielle de l’Institut Montaigne) à la théorie du genre, c’est-à-dire à l’idée que toutes les différences entre hommes et femmes relèvent d’une pure construction sociale. Cette idée a également progressé chez les jeunes hommes mais à un rythme beaucoup moins marqué (elle reste légèrement minoritaire chez eux), ce qui fait qu’aujourd’hui les écarts entre les sexes sur cette question sont beaucoup plus importants chez les jeunes que dans la génération de leurs parents (chez lesquels cette conception reste nettement minoritaire).

Mais ce gap culturel entre les sexes dans la jeunesse ne se limite pas à la question de la définition du genre. Par extension, ce clivage se manifeste également sur les valeurs et les normes concernant la liberté laissée à chacun de « choisir » son genre. Sur ce point une autre enquête (de l’institut Cluster 17 pour l’hebdomadaire le Point) livre des résultats assez spectaculaires. Par exemple, 48% des jeunes femmes (18-24 ans) répondent « oui tout à fait » à la proposition selon laquelle « un homme qui fait une transition de genre (en recourant à la chirurgie, aux traitements hormonaux…) devient une femme à part entière » (23% des garçons) ; ou encore, 37% des jeunes femmes se déclarent « très favorables » au fait « d’autoriser le changement de genre à partir de 16 ans » (6% des garçons).

Les jeunes femmes, d’après cette enquête se distinguent également nettement sur d’autres domaines. Elles sont, par exemple, beaucoup plus favorables que les jeunes hommes à l’instauration de l’écriture inclusive dans les administrations publiques et les entreprises (29% très favorables contre 6% des garçons), elles sont beaucoup plus défavorables que les jeunes hommes à l’interdiction du port du voile dans l’espace public (56% très défavorables contre 21% des garçons). Elles semblent ainsi beaucoup plus perméables que leurs homologues masculins aux thèmes véhiculés par la culture woke, exprimant une sympathie a priori pour l’expression de toutes les différences, même celles qui sont en contradiction avec les valeurs républicaines.

Ce mouvement de déconnexion idéologique des jeunes hommes et des jeunes femmes semble constituer une tendance mondiale. Le Financial Times a rendu compte de travaux du Survey Center on American Life et de ceux d’une chercheuse de Stanford, Alice Evans, qui montrent que, dans de nombreux pays, y compris des pays non occidentaux comme la Corée du sud, cet écart a commencé à se creuser au début des années 2010 et n’a fait que s’accroître depuis.

Le mouvement #MeToo aurait été le déclencheur « donnant naissance à des valeurs radicalement féministes parmi les jeunes femmes » écrit John Burn-Murdoch, le rédacteur de l’article. Par capillarité, ce féminisme assez radical contribue à accroître la sensibilité des jeunes femmes à toutes les formes d’injustice ou à celles qui sont ressenties comme telles.

Si l’on revient à l’enquête française, on y trouve des éléments de confirmation de ce féminisme très affirmé chez les jeunes femmes, beaucoup plus en tout cas, qu’il ne l’est chez les jeunes hommes. Par exemple, 26% des jeunes femmes se disent « très favorables » à la mesure consistant à « considérer que la parole des femmes doit l’emporter sur celle des hommes an cas de présomption d’agression sexuelle », contre 6% des jeunes hommes (il faut bien noter dans l’intitulé de la question qu’il s’agit de « présomption »). Ou encore 77% des jeunes femmes disent « comprendre tout à fait » que « l’on puisse parfois considérer comme un viol une relation sexuelle avec une personne ayant bu trop d’alcool et se trouvant dans un état d’ivresse manifeste », contre seulement 36% de leurs homologues masculins. Un grand écart s’est manifestement creusé dans les conceptions de la sexualité et de ses limites, entre jeunes hommes et jeunes femmes. Il ne manquera pas d’avoir un impact sur les relations amoureuses entre les sexes. Le fait que, selon plusieurs études, une partie grandissante des jeunes fait passer la sexualité au dernier plan de ses préoccupations en est peut-être une des conséquences. La libération sexuelle des années 1960 semble bien loin.

Cet article est initialement paru dans une version plus longue sur le site Telos : https://www.telos-eu.com/fr/valeurs-et-orientations-culturelles-le-gender-gap-.html

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