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Les Lumières sont à la République ce que la raison est à l’humanisme.

Les Lumières sont à la République ce que la raison est à l’humanisme.

[par Violaine Géraud, Professeur des Universités]

Dans un article récemment paru, le groupe The Conversation qui vit de l’abonnement des Institutions où ses auteurs interviennent, a publié une charge virulente contre l’esprit des Lumières accusées d’être « réactionnaires ». Ce n’est pas là leur coup d’essai puisqu’il y a déjà deux ans, ils affirmaient doctement que la « pandémie avait eu raison de l’esprit des lumières« . L’affaire est donc entendue, et la politique éditoriale anti-Lumières de la Rédaction semble s’affirmer progressivement. Nous avons sollicité la rédaction afin d’apporter un éclairage un peu différent sur le sujet, mais il semble que le « Fuck Voltaire » de la photo qui leur a servi d’illustration soit désormais leur seul argument pratiqué. Voilà donc quelques pistes sous la plume de Violaine Géraud qui aideront nos lecteurs à se faire une idée.


« La démocratie, c’est ce qui reste de la République quand on éteint les Lumières ». Cette phrase prononcée par Régis Debray résume un article qu’il avait publié dans le Nouvel Observateur en 1995. Elle affirme que ce sont les philosophes du XVIIIe siècle qui sont le fondement de notre République. La France, parce qu’elle porte dans l’étymologie même de son nom l’idée de liberté, n’est pas une nation comme une autre. Elle n’est pas une démocratie comme une autre. Elle seule parle du lien entre les citoyens comme d’une fraternité qui sublime l’égalité et la liberté. C ’est en France que pour la première fois au monde, le pouvoir politique, en 1789 et surtout en 1793, s’est arraché à l’emprise religieuse. En république, faut-il le rappeler, l’état est libre de tout Dieu, il est laïc. 

Le père de cette laïcité spécifiquement française est sans doute Voltaire. Il a consacré sa vie à « écraser « l’infâme » (c’est-à-dire le fanatisme religieux) ; son cri de guerre était d’ailleurs « Écrelâfe », « écrasons l’infâme ». S’insurgeant contre la mise à mort du jeune chevalier de la Barre, qui n’avait pas levé son chapeau au passage d’une procession, Voltaire a imposé que le blasphème ne soit plus, dans notre pays, conçu comme un crime. Dès lors, on ne peut que se désoler de l’effroyable régression (véritablement réactionnaire et contraire à toute idée de progrès) que constitue l’affaire des caricatures d’Allah.  Le fait que la statue de Voltaire (qui avait subi bien des sévices) n’ait pas retrouvé sa place, square Honoré Champion à Paris, et qu’elle soit désormais derrière les grilles de la faculté de médecine est un bien triste symbole, alors qu’un fanatique islamiste a poignardé Salman Rushdie, un écrivain à l’humour voltairien sur lequel pesait de longue date une fatwa pour apostasie. Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire définit le fanatique comme « un homme qui est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ». L’apostasie dont se serait rendu coupable Salman Rushdie et qui consiste à se détourner d’Allah peut être passible de mort, du moins si l’on prend le Coran à la lettre : « Mais s’ils tournent le dos, saisissez-les alors, et tuez-les où que vous les trouviez.» IV, 89.  L’islamisme (cancer de l’Islam) nous livre une guerre sans merci et met en péril notre cohésion nationale ; il est facteur de régressions : le sort fait aux femmes et aux homosexuels en est la preuve la plus frappante. Plus que jamais, c’est dans les Lumières, dans le théisme universel de Voltaire comme dans l’athéisme matérialiste de Diderot que nous devons puiser la force de résister aux puissances obscurantistes qui se sont emparées d’une partie de notre jeunesse : les Lumières avaient été évacuées des programmes scolaires (sous le ministère Vallaud-Belkacem en 2015 elles étaient « non obligatoires ») au profit du colonialisme bien sûr ressassé. Mais il y a pire que l’occultation des Lumières : il y a leur perversion. Montesquieu à qui nous devons la séparation des pouvoirs qui fonde tout système politique véritablement démocratique, Montesquieu qui a dénoncé dans ses Lettres persanes le sort fait aux femmes par les sectateurs de Mahomet (au reste le suicide de Roxane qui préfère la mort à la privation de liberté donne sens au courage des Iraniennes et fait bien comprendre ce qu’est, en vérité, le voilement des femmes, à savoir une régression), Montesquieu dont toutes les œuvres furent mises à l’index, a écrit un texte dans l’Esprit des Lois pour condamner l’esclavage des Noirs. Pour défendre l’idée que tous les hommes sont égaux, quelle que soit leur couleur de peau, et qu’ils sont même tous enfants du même père, le Dieu des Chrétiens, notre philosophe emploie l’ironie.

phot en illustration de l’article

Le texte est devenu prototypique de l’emploi de l’ironie dans le combat que mènent ardemment nos philosophes, parfois encyclopédistes (ils se battent aussi pour diffuser largement les connaissances) contre les obscurantismes. S’ils misent sur cette figure de pensée par laquelle on dit tout autre chose, et souvent le contraire de ce qu’on pense, c’est parce qu’elle est, depuis Socrate, émancipatrice : elle s’attaque à ceux qui pensent mal, non pas en vitupérant contre eux, mais en feignant de leur donner la parole et en les faisant s’exprimer de telle sorte que leur discours soit disqualifié et ridiculisé : « Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens ». C’est ainsi que Montesquieu donne la parole aux esclavagistes, afin de faire éclater le scandale de leur racisme. Or, pour éteindre les Lumières, certains soi-disant « penseurs », qu’on n’oserait croire incultes, et à qui nous ferons crédit d’être surtout de mauvaise foi ont osé accuser Montesquieu de racisme. Cela laisse pantois ! En effet, Montesquieu est comme Voltaire convaincu que l’humanité est une, derrière son apparente diversité. Voici ce qu’écrit Voltaire dans son Traité sur la Tolérance : « Je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme nos frères. – Quoi ? mon frère le Turc ? mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? – Oui, sans doute : ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu ? « (chap. XXIII) Prenons-y garde : éteindre les Lumières comme le veulent certains, tout en laissant les signes religieux de l’Islam envahir tous les espaces, c’est mettre à mal notre République ; c’est remplacer la fraternité que seule la laïcité engendre par le communautarisme, si ce n’est par l’affrontement entre communautés, bref c‘est une effroyable régression : les véritables réactionnaires sont bien ceux-là, qui veulent éteindre les Lumières. Mais celles-ci sont éternelles, comme l’aspiration de toutes les femmes du monde à être traitées en égales des hommes, comme l’aspiration de tous les peuples du monde à vivre libres. 

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