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« Les responsables de l’islam en France doivent arrêter de jouer à cache-cache et l’adapter à la République laïque »

« Les responsables de l’islam en France doivent arrêter de jouer à cache-cache et l’adapter à la République laïque »

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  Emmanuel Macron s’est exprimé lors d’une réunion plénière du Forum français de l’islam (Forif) à l’Élysée, le 16 février 2023, nouvel espace de discussion avec le culte musulman, où il a déclaré avoir « décidé de mettre fin au Conseil français du culte musulman » (CFCM), une instance de dialogue entre l’État et le culte musulman depuis 2003. Dans quel état d’esprit est donc le culte musulman et quelles réponses en attendre aujourd’hui ? Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, est revenu dans une interview donnée sur RTL ces jours derniers, sur la question du port du voile islamique, qui peut nous éclairer sur le sujet.Respecter la loi, oui, mais adopter la laïcité ?Ainsi, selon lui, « aujourd’hui, malheureusement, la question du voile est devenue une question complètement hystérique en France », tout en ajoutant : « Et je crois que lorsqu’une femme est croyante, elle doit tenir compte également de la société dans laquelle elle vit ». Il poursuit ensuite : « Il y a un principe qui existe depuis quatorze siècles en islam, c’est la notion de nécessité, la notion de contrainte. C’est-à-dire que lorsqu’une femme ne peut pas, pour des raisons diverses et variées, porter un foulard, il faut qu’elle l’enlève. Ça ne veut pas dire qu’elle va perdre sa foi et qu’elle n’est plus musulmane ».À LIRE AUSSI : Emmanuel Macron annonce la fin du Conseil français du culte musulman « de manière très claire »Mais comment faut-il comprendre ce qui est exprimé ici ? On pourrait penser, à première vue, que le conseil est sage. Disséquons le propos en nous demandant si, pour unir une société sous la bannière de la laïcité, il en irait seulement de respecter les us et coutume du pays où l’on vit.L’inquiétude autour du port du voile en France n’a rien d’une hystériqueMais commençons par se demander si cette question du hijab est bien « hystérique » en France et, si oui, pourquoi. Autrement dit, questionner ce fantasme, comme cela est affirmé régulièrement, comme quoi notre pays serait sujet à une obsession relevant de la stigmatisation des musulmans, avec une extrême droite à la manœuvre qui en récupère les fruits. On peut difficilement accepter ce raccourci, même si certains instrumentalisent la chose, alors que la montée des revendications à caractère religieux concernant l’islam est partout soulignée.Comme dans l’école laïque dont les règles, le contenu même de l’enseignement, sont régulièrement contestées par des élèves au nom de l’islam, tel qu’un sondage Ifop, réalisé pour la revue « Écran de veille » à propos de l’autocensure des enseignants en sonne l’alarme. Ou bien au travail, comme en témoigne le dernier rapport de l’Observatoire du fait religieux en entreprise qui indique, que, concernant les « cas bloquants » dus à la religion, cela s’aggrave, ces derniers étant essentiellement liés à l’islam. Ils sont passés de 2 % en 2013 à 16 % en 2020. Ce qui est aussi vrai dans le sport comme sur les terrains de foot, et lorsque ce n’est pas le hijab, c’est le burkini. Le fondamentalisme teste en permanence les limites de la République, sa résistance. Voilà pourquoi il nous semble que Chems-Eddine Hafiz aborde les choses avec une forme de cécité. Il n’y a pas d’ « hystérie », mais une inquiétude des Français attachés à leur laïcité.Respecter des interdits sous la contrainte ou adopter la laïcité ?Mais le plus important est dans ce qui n’est pas dit. Car en invitant ainsi les femmes musulmanes à se conformer à la notion de contrainte, de nécessité, une possibilité offerte selon les textes religieux, il opte pour une explication qui n’est que de se plier à une obligation sous la contrainte, donc, au nom de la religion. On voit toute l’extériorité de cette proposition, qui laisse planer l’idée que celle qui l’enlève dans ces conditions reste in fine psychologiquement arc-boutée intégralement sur sa religion. On est très loin de l’invitation à l’adhésion au modèle républicain laïque. Et c’est bien là le problème.Pour réconcilier la France avec ces concitoyens de confession musulmane, n’est-on pas en droit de demander autre chose ? Professer, par exemple, que l’islam doive évoluer, se moderniser, se mettre au diapason de l’État laïque, pour en épouser la cause ? La laïcité n’étant pas une religion se substituant à l’islam, ce n’est pas non plus l’athéisme, mais un principe de droit qui assure, par l’impartialité de l’État qui n’a pas de religion, cette liberté offerte à chacun du libre choix de ses convictions, qu’elles soient religieuses ou non. L’exercice des cultes étant même garanti par la loi. C’est cette liberté qui devrait être mise en avant et soutenue, adoptée, pour justifier de retirer son voile là où l’exigent les lois de la République. Pourquoi donc cette impasse sur l’adhésion aux principes de la République, ce qui résoudrait pourtant tout ?À LIRE AUSSI : Qui est Marion Lalisse, coordinatrice européenne « chargée de la lutte contre la haine anti-musulman » ?Ne serait-ce pas parce que « le droit est sans prise sur la foi » comme l’actuel recteur de la Grande mosquée de Paris l’affirmait en 2005, dans un ouvrage sur le droit et la religion musulmane (Chems-Eddine Hafiz, Gilles Devers, Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005) ? Que faut-il en comprendre, sinon rapprocher cette affirmation du sens accordé en islam à l’oumma, qui est la communauté des musulmans pensée comme une nation au-dessus de tout ? Tout l’enjeu n’est-il pas de questionner ce problème précis, en pensant un aggiornamento nécessaire comme pour toute religion, visant l’adaptation à la modernité démocratique ?Ne serait-il pas temps, pour les responsables de l’islam en France, de mettre cartes sur table, plutôt que de continuer ce jeu de cache-cache avec la réalité et les nécessités du temps ? Mais aussi pour nos gouvernants, qui jouent parfois une partition illisible ?La laïcité, pour ne faire qu’un pays et qu’un peupleLe choix finalement est simple mais crucial, entre une conception de la foi qui lui donne pour mission de tout gouverner dès qu’elle le peut, au nom d’une puissance indémontrable et extérieure à l’homme, pour reproduire toujours le même passé à travers le maintien de la tradition, et une conception rationnelle de la prise en charge des affaires de la cité, qui entend faire que les hommes se gouvernent eux-mêmes, par l’expérience, en tirant les enseignements de l’histoire, comme agents de leur destin, leurs croyances personnelles devenant une affaire privée.À LIRE AUSSI : « Les Frères musulmans veulent transformer la société européenne pour la rendre charia-compatible »Cette dernière option est la seule qui vaille, qui correspond à l’idéal démocratique, à un État de liberté, imparfait et fragile peut-être, mais elle est une voie ouverte vers tous les possibles dans l’ordre de l’émancipation, de l’autonomie de l’individu, des progrès de l’Homme. Ce qui ne retire rien à ce que chacun peut croire. Oui, nos concitoyens de confession musulmane comme les autres ont toute leur place dans la société française, républicaine et laïque, à la condition de savoir faire ce choix, qui n’est que celui de la liberté. Mais est-ce bien l’axe de travail sur lequel planche le Forum de l’islam en France ? 

Emmanuel Macron s’est exprimé lors d’une réunion plénière du Forum français de l’islam (Forif) à l’Élysée, le 16 février 2023, nouvel espace de discussion avec le culte musulman, où il a déclaré avoir « décidé de mettre fin au Conseil français du culte musulman » (CFCM), une instance de dialogue entre l’État et le culte musulman depuis 2003. Dans quel état d’esprit est donc le culte musulman et quelles réponses en attendre aujourd’hui ? Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, est revenu dans une interview donnée sur RTL ces jours derniers, sur la question du port du voile islamique, qui peut nous éclairer sur le sujet.

Respecter la loi, oui, mais adopter la laïcité ?

Ainsi, selon lui, « aujourd’hui, malheureusement, la question du voile est devenue une question complètement hystérique en France », tout en ajoutant : « Et je crois que lorsqu’une femme est croyante, elle doit tenir compte également de la société dans laquelle elle vit ». Il poursuit ensuite : « Il y a un principe qui existe depuis quatorze siècles en islam, c’est la notion de nécessité, la notion de contrainte. C’est-à-dire que lorsqu’une femme ne peut pas, pour des raisons diverses et variées, porter un foulard, il faut qu’elle l’enlève. Ça ne veut pas dire qu’elle va perdre sa foi et qu’elle n’est plus musulmane ».

À LIRE AUSSI : Emmanuel Macron annonce la fin du Conseil français du culte musulman « de manière très claire »

Mais comment faut-il comprendre ce qui est exprimé ici ? On pourrait penser, à première vue, que le conseil est sage. Disséquons le propos en nous demandant si, pour unir une société sous la bannière de la laïcité, il en irait seulement de respecter les us et coutume du pays où l’on vit.

L’inquiétude autour du port du voile en France n’a rien d’une hystérique

Mais commençons par se demander si cette question du hijab est bien « hystérique » en France et, si oui, pourquoi. Autrement dit, questionner ce fantasme, comme cela est affirmé régulièrement, comme quoi notre pays serait sujet à une obsession relevant de la stigmatisation des musulmans, avec une extrême droite à la manœuvre qui en récupère les fruits. On peut difficilement accepter ce raccourci, même si certains instrumentalisent la chose, alors que la montée des revendications à caractère religieux concernant l’islam est partout soulignée.

Comme dans l’école laïque dont les règles, le contenu même de l’enseignement, sont régulièrement contestées par des élèves au nom de l’islam, tel qu’un sondage Ifop, réalisé pour la revue « Écran de veille » à propos de l’autocensure des enseignants en sonne l’alarme. Ou bien au travail, comme en témoigne le dernier rapport de l’Observatoire du fait religieux en entreprise qui indique, que, concernant les « cas bloquants » dus à la religion, cela s’aggrave, ces derniers étant essentiellement liés à l’islam. Ils sont passés de 2 % en 2013 à 16 % en 2020. Ce qui est aussi vrai dans le sport comme sur les terrains de foot, et lorsque ce n’est pas le hijab, c’est le burkini. Le fondamentalisme teste en permanence les limites de la République, sa résistance. Voilà pourquoi il nous semble que Chems-Eddine Hafiz aborde les choses avec une forme de cécité. Il n’y a pas d’ « hystérie », mais une inquiétude des Français attachés à leur laïcité.

Respecter des interdits sous la contrainte ou adopter la laïcité ?

Mais le plus important est dans ce qui n’est pas dit. Car en invitant ainsi les femmes musulmanes à se conformer à la notion de contrainte, de nécessité, une possibilité offerte selon les textes religieux, il opte pour une explication qui n’est que de se plier à une obligation sous la contrainte, donc, au nom de la religion. On voit toute l’extériorité de cette proposition, qui laisse planer l’idée que celle qui l’enlève dans ces conditions reste in fine psychologiquement arc-boutée intégralement sur sa religion. On est très loin de l’invitation à l’adhésion au modèle républicain laïque. Et c’est bien là le problème.

Pour réconcilier la France avec ces concitoyens de confession musulmane, n’est-on pas en droit de demander autre chose ? Professer, par exemple, que l’islam doive évoluer, se moderniser, se mettre au diapason de l’État laïque, pour en épouser la cause ? La laïcité n’étant pas une religion se substituant à l’islam, ce n’est pas non plus l’athéisme, mais un principe de droit qui assure, par l’impartialité de l’État qui n’a pas de religion, cette liberté offerte à chacun du libre choix de ses convictions, qu’elles soient religieuses ou non. L’exercice des cultes étant même garanti par la loi. C’est cette liberté qui devrait être mise en avant et soutenue, adoptée, pour justifier de retirer son voile là où l’exigent les lois de la République. Pourquoi donc cette impasse sur l’adhésion aux principes de la République, ce qui résoudrait pourtant tout ?

À LIRE AUSSI : Qui est Marion Lalisse, coordinatrice européenne « chargée de la lutte contre la haine anti-musulman » ?

Ne serait-ce pas parce que « le droit est sans prise sur la foi » comme l’actuel recteur de la Grande mosquée de Paris l’affirmait en 2005, dans un ouvrage sur le droit et la religion musulmane (Chems-Eddine Hafiz, Gilles Devers, Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005) ? Que faut-il en comprendre, sinon rapprocher cette affirmation du sens accordé en islam à l’oumma, qui est la communauté des musulmans pensée comme une nation au-dessus de tout ? Tout l’enjeu n’est-il pas de questionner ce problème précis, en pensant un aggiornamento nécessaire comme pour toute religion, visant l’adaptation à la modernité démocratique ?

Ne serait-il pas temps, pour les responsables de l’islam en France, de mettre cartes sur table, plutôt que de continuer ce jeu de cache-cache avec la réalité et les nécessités du temps ? Mais aussi pour nos gouvernants, qui jouent parfois une partition illisible ?

La laïcité, pour ne faire qu’un pays et qu’un peuple

Le choix finalement est simple mais crucial, entre une conception de la foi qui lui donne pour mission de tout gouverner dès qu’elle le peut, au nom d’une puissance indémontrable et extérieure à l’homme, pour reproduire toujours le même passé à travers le maintien de la tradition, et une conception rationnelle de la prise en charge des affaires de la cité, qui entend faire que les hommes se gouvernent eux-mêmes, par l’expérience, en tirant les enseignements de l’histoire, comme agents de leur destin, leurs croyances personnelles devenant une affaire privée.

À LIRE AUSSI : « Les Frères musulmans veulent transformer la société européenne pour la rendre charia-compatible »

Cette dernière option est la seule qui vaille, qui correspond à l’idéal démocratique, à un État de liberté, imparfait et fragile peut-être, mais elle est une voie ouverte vers tous les possibles dans l’ordre de l’émancipation, de l’autonomie de l’individu, des progrès de l’Homme. Ce qui ne retire rien à ce que chacun peut croire. Oui, nos concitoyens de confession musulmane comme les autres ont toute leur place dans la société française, républicaine et laïque, à la condition de savoir faire ce choix, qui n’est que celui de la liberté. Mais est-ce bien l’axe de travail sur lequel planche le Forum de l’islam en France ?

 

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