L’Histoire bafouée

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Collectif

Tribune des observateurs

Table des matières

L’Histoire bafouée

Read More  Dans de nombreuses villes des États-Unis, animées par des communautés italiennes, le Columbus Day ou « Jour de Colomb » était célébré chaque année le deuxième lundi d’octobre : c’était une source de fierté qu’un Génois – Christophe Colomb – ait été le premier Européen à fouler le sol américain le 12 octobre 1492. Mais en 2017, cette célébration a été annulée dans certaines villes comme Los Angeles.En Argentine aussi, l’iconoclasme anti-hispanique a conduit en 2014, sous la présidence de Cristina Kirchner, au déplacement du monument érigé en hommage à Christophe Colomb devant la Casa Rosada, siège du gouvernement national. Cet ensemble de sculptures était un don de la communauté italienne.Ce changement soudain de perspective vient de la montée des revendications identitaires et de la nouvelle sensibilité woke. Main dans la main avec le mouvement afro-américain Black Lives Matter, qui a gagné en force à partir de 2014, le wokisme a émergé aux États-Unis, de l’anglais woke ou awake, c’est-à-dire « éveillé » et lucide sur les injustices sociales, les discriminations et le racisme. Il s’est concentré sur la détection des préjugés cachés ou innés : par exemple, le blanc naît privilégié à cause de sa couleur de peau et s’il ne l’avoue pas, c’est qu’il est raciste ; un homme qui a des gestes chevaleresques ou courtois envers une femme se rend coupable d’une forme de machisme. Et ainsi de suite.L’autre leitmotiv du wokisme est l’exigence de repentir et une demande de pardon pour les crimes commis dans le passé. Sans se soucier de tomber dans l’anachronisme, les militants des groupes identitaires et même les gouvernants exigent le mea culpa public des descendants de ceux qui dans le passé auraient exploité, soumis et discriminé les ethnies et autres minorités que les « éveillés » prétendent représenter.D’où la renaissance de la « légende noire » : elle postule, à l’encontre de la réalité historique, que  les conquérants et colonisateurs espagnols ne sont venus en Amérique que pour piller et décimer ses peuples, commettant vols, destructions et génocides. Le plus piquant est que cette légende a été formulée il y a déjà plusieurs siècles par les Anglo-Saxons qui, eux, ont pour de bon exterminer leurs Indiens.

Une réalité cachée
L’envers de la « légende noire » est l’idéalisation de la période précolombienne, des civilisations indo-américaines, comme les Aztèques ou les Incas.Lorsque les Espagnols ont débarqué en Amérique, celle-ci n’était pas une région de paix où différentes tribus coexistaient harmonieusement en coopération les unes avec les autres. Au contraire, l’état de guerre y était constant. L’empire aztèque (dans ce qui est aujourd’hui le Mexique) et l’empire inca (Pérou) avaient soumis et dominé les peuples de la région, leur imposant un travail servile et un tribut. Les deux cultures pratiquaient le sacrifice humain. Beaucoup plus dans le cas des Aztèques, qui pratiquaient également l’anthropophagie.Au Mexique, la capture des esclaves des tribus voisines avait pour principale destination le sacrifice humain, qui pouvait devenir massif : jusqu’à cinquante victimes en une seule cérémonie. De plus, ils avaient l’habitude de bloquer commercialement leurs adversaires subjugués et de les réduire à la pauvreté.C’est l’une des raisons pour lesquelles le conquistador Hernán Cortès, avec seulement cinq cents Espagnols, a pu vaincre l’empereur Moctezuma et soumettre le Mexique. Dans son sillage, diverses tribus s’allièrent à lui pour vaincre les Aztèques.Quelque chose de similaire s’est produit au Pérou avec les Incas. Cet empire est tombé en grande partie grâce à l’aide que les peuples soumis ont apportée au conquistador Francisco Pizarro (Pizarre).

Absurde « culture de l’annulation »

Depuis un certain temps déjà, avec un succès considérable, des tentatives sont faites dans les Amériques pour remplacer les mots nativo (« indigène ») ou aborigen (« aborigène ») par original (« originel ») en vue de souligner la préexistence des groupes ethniques indigènes et les différencier du reste de la population qui serait venue les « remplacer ».
L’indigénisme et le décolonialisme font actuellement fureur dans de nombreux départements universitaires, tant aux États-Unis qu’en Amérique latine. Ces nouvelles doctrines sorties de nulle part encouragent leurs fidèles à identifier et « annuler » les destructeurs blancs des peuples autochtones.
En Amérique du Nord, les cibles privilégiées des attentats sont surtout des figures ou des symboles du monde hispano-catholique, devant même ceux du protestantisme anglo-saxon qui ont pourtant bien plus de responsabilité dans l’extermination des tribus indigènes !
Ainsi sont régulièrement vandalisées les statues de Fray Junípero Serra (1713-1784), un missionnaire franciscain espagnol du XVIIIe siècle, colonisateur et évangélisateur d’une grande partie de la Californie actuelle. Le pape François l’a canonisé en 2015 lors de sa visite apostolique aux États-Unis.
L’objectif des missions fondées par Junípero Serra fut d’une part l’évangélisation et de l’autre, la « civilisation », par une vie en commun, sédentaire, fondée sur le travail coopératif. Dans les missions, les Indiens ne sont pas des esclaves mais n’en sont pas moins astreints à travailler et sont soumis à des normes morales très rigides, souvent étrangères à leur culture, comme la monogamie, ainsi qu’à l’emploi d’une langue commune, l’espagnol. En dépit de ce choc culturel, les missions franciscaines ne peuvent en aucun cas être assimilées au système esclavagiste du sud des États-Unis.

Soulignons qui plus est que la véritable extermination des Indiens en Californie survint suite à l’annexion de la province par les États-Unis, à la faveur de la ruée vers l’or. En 1848, quelque 150 000 Indiens vivaient encore dans la région. Douze ans plus tard, il n’en restait plus que 30 000, selon les chiffres cités par James A. Sandos (dans le livre Converting California , cité dans un article de Religión en Libertad). Encore ne durent-ils leur survie qu’à la protection des missions franciscaines. Les autres furent presque tous exterminés, les autorités californiennes – qui n’étaient plus hispaniques mais nord-américaines – offrant des primes pour les scalps d’Indiens.
Les Indiens, victimes des Anglo-Saxons bien plus que des Espagnols
L’historien texan Alfonso Borrego, arrière-petit-fils du chef apache Gerónimo, auquel Hollywood a dédié de nombreux films, note ce fait piquant : « Dans les États américains qui ont conservé un nom hispanique : Montana, Colorado, Nouveau-Mexique, Arizona, Nevada, Utah [de Yuta, prononciation espagnole du mot Apache yudah], Californie, Texas, Floride, vous rencontrez encore des réserves d’Indiens alors qu’il n’y en a plus dans l’Iowa, l’Ohio, l’Alabama, le Mississippi, la Caroline du Nord, la Virginie… Rien. Et savez-vous pourquoi ? Parce que les Anglais, à la différence des Espagnols, ont tué tous les Indiens ».
L’historien étend la comparaison au reste du continent : « Dans les nations au nom espagnol comme le Mexique, les Indiens demeurent nombreux. Vous pouvez aller en Amérique centrale, au Nicaragua, au Belize, au Panama, au Costa Rica ; Vous pouvez aller au Pérou, au Chili, au Venezuela, en Uruguay, au Paraguay : les Indiens sont toujours là. Vous pouvez aller au Brésil, en Argentine, il y a les Indiens. A Porto Rico, à Cuba, les voilà. En République dominicaine, où les premiers Espagnols sont arrivés, il y a les Indiens ».
Que se passe-t-il à la place dans les régions qui étaient dominées par les Anglais ou par d’autres puissances en dehors de l’Espagne ? « Nous allons dans les îles Vierges, pas un Indien. Bahamas, pas un Indien. Bonaire, pas un Indien. Aruba, Jamaïque, îles Caïmans ». Sa conclusion est lapidaire : « Là où s’établissent les Anglais, il n’y a plus d’Indien, voilà la différence. Et c’est ce que nous voulons dire au monde, ouvrez les yeux : qui a tué les Indiens ? Qui ? Les Anglais. Pas les Espagnols ».
Comme si ce constat ne suffisait pas, nous avons aussi le témoignage, à la fin du XVIIIe siècle, d’Alexander Von Humboldt, l’explorateur et géographe prussien qui fit connaître l’Amérique à ses contemporains. Entre 1799 et 1804, il parcourut le Venezuela, Cuba, la Colombie, l’actuel Équateur, le Pérou, le Mexique et les États-Unis d’Amérique du Nord, et put attester que les Indiens et les métis représentaient 80 % de la population.
Dans « L’Amérique de Humboldt », le professeur Charles Minguet, ancien directeur du Centre de recherches hispano-américaines de l’université de Nanterre, écrit : « Au Mexique, Humboldt compte 70 000 Espagnols purs, 1 million de créoles considérés comme blancs et 1 500 000 métis déclarés ». Humboldt est impressionné par le développement des institutions culturelles espagnoles en Amérique. Par exemple, dit Minguet, « les établissements scientifiques et culturels du Mexique (College of Mining, Botanical Garden, Academy of Fine Arts, University) sont aussi importants que ceux des États-Unis ».
Humboldt est le premier à nier le génocide indigène, dit Minguet : « Grâce aux données que recueille Humboldt (…) et aux chiffres qu’il produit, l’Europe, assourdie tout au long du XVIIIe siècle par les cris d’horreur des Indianistas en larmes, apprend qu’il a 7 millions et demi d’Indiens dans les possessions espagnoles d’Amérique, auxquels on peut ajouter 5 millions et demi de métis, pour un total de 13 millions d’Indiens et métis ou mulâtres, qui représentent 80 % de la population totale de l’Amérique espagnole. Ces chiffres signifient qu’à la fin du XVIIIe siècle, la population amérindienne avait atteint ou dépassé le chiffre supposé à la veille de la Conquête. Si Humboldt n’oublie pas de souligner les pertes énormes causées par les abus de certains colons et les maladies européennes importées en Amérique, il est le premier Européen non espagnol à contester la destruction totale de la population indigène par les Espagnol ».
Succès paradoxal de la « légende noire » en Amérique latine
L’acclimatation de la « légende noire » en Amérique latine tient à l’influence culturelle des États-Unis (soft power) mais aussi à la montée des mouvements populistes de gauche dans les deux premières décennies de ce siècle. À la présidente argentine Cristina Kirchner, qui a lancé la vindicte contre Christophe Colomb, s’ajoutent le Bolivien Evo Morales qui a promu un racisme rétrograde et revanchard, et plus récemment, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, fils d’immigrés espagnols qui ne se lasse pas d’exiger des excuses du roi d’Espagne et de l’évêque de Rome.
Les Espagnols ont eux-mêmes renoncé à défendre leur héritage. Ce renoncement transparaît au Congrès international de la langue espagnole (Cadix, 27-30 mars 2023), où aucun intellectuel présent n’a osé protester contre l’idée saugrenue de changer le nom même de la langue (note) !
Prêtant le flanc à la « légende noire », le gouvernement de Madrid n’a pas lui-même osé commémorer en 2019 le 500e anniversaire de la conquête du Mexique par Hernán Cortès. « Accablées par la légende noire, les élites dirigeantes espagnoles ont passé des siècles à accepter avec contrition les mythes et les mensonges élaborés contre la présence de l’Espagne en Amérique », écrit l’historien Fernando J. Padilla Angulo.
Ce faisant, les gouvernements hispano-américains ne voient pas que la « légende noire » nie leur Histoire. En effet, à la différence de l’Amérique anglo-saxonne, toutes les nations hispaniques sont le résultat du métissage issu de la Conquête et voulu par les gouvernants espagnols.
Ces nations doivent leur spécificité à des décisions comme celle des Rois Catholiques d’accorder aux Indiens le statut de vassaux de la Couronne, d’interdire leur asservissement et, surtout de favoriser le métissage dès le départ. « Mariez des Espagnols avec des Indiennes et des Indiens avec des Espagnoles », ordonna Isabelle de Castille en 1503 à Nicolás Ovando, gouverneur d’Hispaniola (aujourd’hui la République dominicaine et Haïti), jugeant les mariages mixtes « légitimes et recommandables car les Indiens sont des vassaux libres de la couronne espagnole ».
Claudia Peiró 

Dans de nombreuses villes des États-Unis, animées par des communautés italiennes, le Columbus Day ou « Jour de Colomb » était célébré chaque année le deuxième lundi d’octobre : c’était une source de fierté qu’un Génois – Christophe Colomb – ait été le premier Européen à fouler le sol américain le 12 octobre 1492. Mais en 2017, cette célébration a été annulée dans certaines villes comme Los Angeles.

En Argentine aussi, l’iconoclasme anti-hispanique a conduit en 2014, sous la présidence de Cristina Kirchner, au déplacement du monument érigé en hommage à Christophe Colomb devant la Casa Rosada, siège du gouvernement national. Cet ensemble de sculptures était un don de la communauté italienne.

Ce changement soudain de perspective vient de la montée des revendications identitaires et de la nouvelle sensibilité woke

Main dans la main avec le mouvement afro-américain Black Lives Matter, qui a gagné en force à partir de 2014, le wokisme a émergé aux États-Unis, de l’anglais woke ou awake, c’est-à-dire « éveillé » et lucide sur les injustices sociales, les discriminations et le racisme. Il s’est concentré sur la détection des préjugés cachés ou innés : par exemple, le blanc naît privilégié à cause de sa couleur de peau et s’il ne l’avoue pas, c’est qu’il est raciste ; un homme qui a des gestes chevaleresques ou courtois envers une femme se rend coupable d’une forme de machisme. Et ainsi de suite.

L’autre leitmotiv du wokisme est l’exigence de repentir et une demande de pardon pour les crimes commis dans le passé. Sans se soucier de tomber dans l’anachronisme, les militants des groupes identitaires et même les gouvernants exigent le mea culpa public des descendants de ceux qui dans le passé auraient exploité, soumis et discriminé les ethnies et autres minorités que les « éveillés » prétendent représenter.

D’où la renaissance de la « légende noire » : elle postule, à l’encontre de la réalité historique, que  les conquérants et colonisateurs espagnols ne sont venus en Amérique que pour piller et décimer ses peuples, commettant vols, destructions et génocides. Le plus piquant est que cette légende a été formulée il y a déjà plusieurs siècles par les Anglo-Saxons qui, eux, ont pour de bon exterminer leurs Indiens.

Une réalité cachée

L’envers de la « légende noire » est l’idéalisation de la période précolombienne, des civilisations indo-américaines, comme les Aztèques ou les Incas.Lorsque les Espagnols ont débarqué en Amérique, celle-ci n’était pas une région de paix où différentes tribus coexistaient harmonieusement en coopération les unes avec les autres. Au contraire, l’état de guerre y était constant. L’empire aztèque (dans ce qui est aujourd’hui le Mexique) et l’empire inca (Pérou) avaient soumis et dominé les peuples de la région, leur imposant un travail servile et un tribut. Les deux cultures pratiquaient le sacrifice humain. Beaucoup plus dans le cas des Aztèques, qui pratiquaient également l’anthropophagie.Au Mexique, la capture des esclaves des tribus voisines avait pour principale destination le sacrifice humain, qui pouvait devenir massif : jusqu’à cinquante victimes en une seule cérémonie. De plus, ils avaient l’habitude de bloquer commercialement leurs adversaires subjugués et de les réduire à la pauvreté.

C’est l’une des raisons pour lesquelles le conquistador Hernán Cortès, avec seulement cinq cents Espagnols, a pu vaincre l’empereur Moctezuma et soumettre le Mexique. Dans son sillage, diverses tribus s’allièrent à lui pour vaincre les Aztèques.

Quelque chose de similaire s’est produit au Pérou avec les Incas. Cet empire est tombé en grande partie grâce à l’aide que les peuples soumis ont apportée au conquistador Francisco Pizarro (Pizarre).

Absurde « culture de l’annulation »

Depuis un certain temps déjà, avec un succès considérable, des tentatives sont faites dans les Amériques pour remplacer les mots nativo (« indigène ») ou aborigen (« aborigène ») par original (« originel ») en vue de souligner la préexistence des groupes ethniques indigènes et les différencier du reste de la population qui serait venue les « remplacer ».

L’indigénisme et le décolonialisme font actuellement fureur dans de nombreux départements universitaires, tant aux États-Unis qu’en Amérique latine. Ces nouvelles doctrines sorties de nulle part encouragent leurs fidèles à identifier et « annuler » les destructeurs blancs des peuples autochtones.

En Amérique du Nord, les cibles privilégiées des attentats sont surtout des figures ou des symboles du monde hispano-catholique, devant même ceux du protestantisme anglo-saxon qui ont pourtant bien plus de responsabilité dans l’extermination des tribus indigènes !

Ainsi sont régulièrement vandalisées les statues de Fray Junípero Serra (1713-1784), un missionnaire franciscain espagnol du XVIIIe siècle, colonisateur et évangélisateur d’une grande partie de la Californie actuelle. Le pape François l’a canonisé en 2015 lors de sa visite apostolique aux États-Unis.

L’objectif des missions fondées par Junípero Serra fut d’une part l’évangélisation et de l’autre, la « civilisation », par une vie en commun, sédentaire, fondée sur le travail coopératif. Dans les missions, les Indiens ne sont pas des esclaves mais n’en sont pas moins astreints à travailler et sont soumis à des normes morales très rigides, souvent étrangères à leur culture, comme la monogamie, ainsi qu’à l’emploi d’une langue commune, l’espagnol. En dépit de ce choc culturel, les missions franciscaines ne peuvent en aucun cas être assimilées au système esclavagiste du sud des États-Unis.

Soulignons qui plus est que la véritable extermination des Indiens en Californie survint suite à l’annexion de la province par les États-Unis, à la faveur de la ruée vers l’or. En 1848, quelque 150 000 Indiens vivaient encore dans la région. Douze ans plus tard, il n’en restait plus que 30 000, selon les chiffres cités par James A. Sandos (dans le livre Converting California , cité dans un article de Religión en Libertad). Encore ne durent-ils leur survie qu’à la protection des missions franciscaines. Les autres furent presque tous exterminés, les autorités californiennes – qui n’étaient plus hispaniques mais nord-américaines – offrant des primes pour les scalps d’Indiens.

Les Indiens, victimes des Anglo-Saxons bien plus que des Espagnols

L’historien texan Alfonso Borrego, arrière-petit-fils du chef apache Gerónimo, auquel Hollywood a dédié de nombreux films, note ce fait piquant : « Dans les États américains qui ont conservé un nom hispanique : Montana, Colorado, Nouveau-Mexique, Arizona, Nevada, Utah [de Yuta, prononciation espagnole du mot Apache yudah], Californie, Texas, Floride, vous rencontrez encore des réserves d’Indiens alors qu’il n’y en a plus dans l’Iowa, l’Ohio, l’Alabama, le Mississippi, la Caroline du Nord, la Virginie… Rien. Et savez-vous pourquoi ? Parce que les Anglais, à la différence des Espagnols, ont tué tous les Indiens ».

L’historien étend la comparaison au reste du continent : « Dans les nations au nom espagnol comme le Mexique, les Indiens demeurent nombreux. Vous pouvez aller en Amérique centrale, au Nicaragua, au Belize, au Panama, au Costa Rica ; Vous pouvez aller au Pérou, au Chili, au Venezuela, en Uruguay, au Paraguay : les Indiens sont toujours là. Vous pouvez aller au Brésil, en Argentine, il y a les Indiens. A Porto Rico, à Cuba, les voilà. En République dominicaine, où les premiers Espagnols sont arrivés, il y a les Indiens ».

Que se passe-t-il à la place dans les régions qui étaient dominées par les Anglais ou par d’autres puissances en dehors de l’Espagne ? « Nous allons dans les îles Vierges, pas un Indien. Bahamas, pas un Indien. Bonaire, pas un Indien. Aruba, Jamaïque, îles Caïmans ». Sa conclusion est lapidaire : « Là où s’établissent les Anglais, il n’y a plus d’Indien, voilà la différence. Et c’est ce que nous voulons dire au monde, ouvrez les yeux : qui a tué les Indiens ? Qui ? Les Anglais. Pas les Espagnols ».

Comme si ce constat ne suffisait pas, nous avons aussi le témoignage, à la fin du XVIIIe siècle, d’Alexander Von Humboldt, l’explorateur et géographe prussien qui fit connaître l’Amérique à ses contemporains. Entre 1799 et 1804, il parcourut le Venezuela, Cuba, la Colombie, l’actuel Équateur, le Pérou, le Mexique et les États-Unis d’Amérique du Nord, et put attester que les Indiens et les métis représentaient 80 % de la population.

Dans « L’Amérique de Humboldt », le professeur Charles Minguet, ancien directeur du Centre de recherches hispano-américaines de l’université de Nanterre, écrit : « Au Mexique, Humboldt compte 70 000 Espagnols purs, 1 million de créoles considérés comme blancs et 1 500 000 métis déclarés ». Humboldt est impressionné par le développement des institutions culturelles espagnoles en Amérique. Par exemple, dit Minguet, « les établissements scientifiques et culturels du Mexique (College of Mining, Botanical Garden, Academy of Fine Arts, University) sont aussi importants que ceux des États-Unis ».

Humboldt est le premier à nier le génocide indigène, dit Minguet : « Grâce aux données que recueille Humboldt (…) et aux chiffres qu’il produit, l’Europe, assourdie tout au long du XVIIIe siècle par les cris d’horreur des Indianistas en larmes, apprend qu’il a 7 millions et demi d’Indiens dans les possessions espagnoles d’Amérique, auxquels on peut ajouter 5 millions et demi de métis, pour un total de 13 millions d’Indiens et métis ou mulâtres, qui représentent 80 % de la population totale de l’Amérique espagnole. Ces chiffres signifient qu’à la fin du XVIIIe siècle, la population amérindienne avait atteint ou dépassé le chiffre supposé à la veille de la Conquête. Si Humboldt n’oublie pas de souligner les pertes énormes causées par les abus de certains colons et les maladies européennes importées en Amérique, il est le premier Européen non espagnol à contester la destruction totale de la population indigène par les Espagnol ».

Succès paradoxal de la « légende noire » en Amérique latine

L’acclimatation de la « légende noire » en Amérique latine tient à l’influence culturelle des États-Unis (soft power) mais aussi à la montée des mouvements populistes de gauche dans les deux premières décennies de ce siècle. À la présidente argentine Cristina Kirchner, qui a lancé la vindicte contre Christophe Colomb, s’ajoutent le Bolivien Evo Morales qui a promu un racisme rétrograde et revanchard, et plus récemment, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, fils d’immigrés espagnols qui ne se lasse pas d’exiger des excuses du roi d’Espagne et de l’évêque de Rome.

Les Espagnols ont eux-mêmes renoncé à défendre leur héritage. Ce renoncement transparaît au Congrès international de la langue espagnole (Cadix, 27-30 mars 2023), où aucun intellectuel présent n’a osé protester contre l’idée saugrenue de changer le nom même de la langue (note) !

Prêtant le flanc à la « légende noire », le gouvernement de Madrid n’a pas lui-même osé commémorer en 2019 le 500e anniversaire de la conquête du Mexique par Hernán Cortès. « Accablées par la légende noire, les élites dirigeantes espagnoles ont passé des siècles à accepter avec contrition les mythes et les mensonges élaborés contre la présence de l’Espagne en Amérique », écrit l’historien Fernando J. Padilla Angulo.

Ce faisant, les gouvernements hispano-américains ne voient pas que la « légende noire » nie leur Histoire. En effet, à la différence de l’Amérique anglo-saxonne, toutes les nations hispaniques sont le résultat du métissage issu de la Conquête et voulu par les gouvernants espagnols.

Ces nations doivent leur spécificité à des décisions comme celle des Rois Catholiques d’accorder aux Indiens le statut de vassaux de la Couronne, d’interdire leur asservissement et, surtout de favoriser le métissage dès le départ. « Mariez des Espagnols avec des Indiennes et des Indiens avec des Espagnoles », ordonna Isabelle de Castille en 1503 à Nicolás Ovando, gouverneur d’Hispaniola (aujourd’hui la République dominicaine et Haïti), jugeant les mariages mixtes « légitimes et recommandables car les Indiens sont des vassaux libres de la couronne espagnole ».

Claudia Peiró

 

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