Read More François Burgat (ex Directeur de recherches au CNRS) et Souhail Chichah (Visiting Lecturer, Williams College, USA) La sur-politisation paranoïaque de dynamiques sociales d’une petite frange de la population française (“le voile est l’emblème de l’islam politique internationaliste” selon Caroline Fourest) ainsi que la diabolisation de l’islam politique apparaissent comme un reniement profond de l’idéal démocratique. Et une criminalisation, pour exercice illégal de la politique, (ou même de la seule liberté d’expression) de pans entiers de cette faible minorité de la population française qui considère l’Islam comme une composante peu ou prou importante de son identité. Le philosophe Balibar ne s’y trompe pas, qui constate que “la culture peut aussi fonctionner comme une nature”, et qui conclut que “d’un point de vue formel”, l’islamophobie ressort d’un “antisémitisme généralisé”. La littérature scientifique étasunienne réfère quant à elle au concept de “Racial Muslim” pour signifier que les musulman.e.s sont considéré.e.s comme un groupe racial, Iels sont en effet assigné.e.s à une identité essentialisée, exclusive, péjorée et fantasmée. Moins d’un siècle après, à peine, la France serait donc à nouveau “menacée”: par le Juif hier, par le Musulman aujourd’hui, ou peut-être pire encore, par la Musulmane. Dans la mythologie raciste contemporaine, les “réseaux” des Frères musulmans s’inscrivent dans la continuation de la “Juiverie internationale”: une cinquième colonne sournoise serait à l’œuvre, qui travaillerait la France. Cette antienne raciste s’affirme aujourd’hui à nouveau, parée des oripeaux de la science. A l’anthropologue Vacher de Lapouge, figure française du racisme scientifique du tournant du XXe siècle, nourricier de l’idéologie nazie, succèdent aujourd’hui d’autres voix s’autorisant de l’anthropologie pour dénoncer “l’impureté nationale”. L’une d’entre elles, aussi médiatisée que marginale sur la scène académique, vient de commettre un brûlot s’inscrivant dans le paradigme délirant du “grand remplacement” : les Frères musulmans “infiltreraient” la République pour la remplacer par un “califat”. Ni plus, ni moins.Il convient de nommer cette anthropologue. Non pas par terrorisme intellectuel, comme elle le pratique à longueur de déclarations publiques, instruisant un procès en sorcellerie d’hypothètiques “islamo-gauchistes ». Elles seraient en effet nombreuses, estime-t-elle, ces “alliances politiques : islamistes et gauchistes rouges et verts”. Elle est pourtant désavouée par son institution, le CNRS, qui rejette catégoriquement cette assertion: “«L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique.”Cette militante politique, il convient de la nommer car, comme le rappelle Bourdieu sur les épaules de Marx, « Dans un univers où les positions sociales s’identifient souvent à des “noms”, la critique scientifique doit parfois prendre la forme d’une critique ad hominem. » En effet, une critique scientifique s’impose face à la brèche dangereuse qu’ouvre la chercheure en question. Certes, d’autres, avant elle, se sont fourvoyés dans ce renouveau du racisme scientifique. Mais l’apparition de nouvelles chaînes de télévision procure à l’activiste en question une caisse de résonance sans égale.Florence Bergeaud-Blackler, dans Le Frérisme et ses réseaux, une enquête (Odile Jacob, 2023), n’apporte en réalité rien de neuf au paradigme états-unien du prétendu “choc des civilisations”, recyclé en France comme dispositif idéologique au service de la répression des ambitions sociales et politiques de quelque 10%, tout au plus, de la population française, selon un décompte statistique régulier des “musulmans en France” qui témoigne bien sûr d’une exacerbation du racisme . Ces “musulmans en France” sont issus le plus souvent des quartiers populaires, n’en déplaise à la gauche qui l’ignore. Le racisme produit une formidable désagrégation de la conscience de classe. Le racisme est bel et bien “le socialisme des imbéciles”, comme le disait déjà un ancien leader de la gauche historique allemande, durant les années sombres de ce pays.La droite n’est évidemment pas en reste. Zemmour n’eut qu’à se baisser, pour récolter la moisson de la haine, avec le succès qu’il faut lui reconnaître. A la présidentielle de 2022, soit quelques mois à peine après la constitution de Reconquête, il obtient 7% des suffrages. Dans l’Allemagne d’avant la folie génocidaire, il fallut près d’une décennie au parti le plus raciste de l’époque pour obtenir moins de la moitié de ce score. Bien entendu, comparaison n’est pas raison.Mais à se répéter, souligne Marx, la tragédie devient farce. Ainsi des concepts cousus de fils bruns convoqués par Gilles Kepel, préfacier du réquisitoire de Bergeaud-Blacker, depuis ces “banlieues de l’Islam” jusqu’à l’ “atmosphère” de ce “djihadisme … devenu ambiant”. Si Florence Bergeaud-Blackler ne brille pas par sa théorie de l’action — « Ce sont des théocrates et donc ce qu’il veulent c’est la fin de la démocratie …je ne comprends pas …pourquoi il y a tant de partis … complices » —, c’est sur le terrain de la doxa qu’elle opère plus spectaculairement. Sa thèse emprunte en effet à la réthorique antisémite la plus décomplexée: « Ils veulent rassembler l’ensemble des composantes de l’Islam pour les guider vers le califat… Ils procèdent par l’influence, le noyautage… l’infiltration de secteurs entiers… l’université, l’éducation, les médias, l’armée, la justice, les prisons, etc. Ils sont présents partout. » Forte de concepts construits pour donner à l’expression raciste l’alibi de la recherche scientifique, elle a hélas la force de conviction redoutable de ces « intellectuels médiatiques” qui épousent les contours du sensationnalisme télévisuel et sa construction phobique d’un “Islam imaginaire” . Caution demi-savante, elle se prévaut d’une connaissance de la pensée islamique qui se révèle terriblement vague et superficielle. “Il s’agit moins de comprendre une série de phénomènes que de porter sur eux un jugement évaluatif, pour les déclarer incompatibles avec la République », remarque le spécialiste du droit musulman, Mohammed Hocine Benkheira. Comme par exemple la “Charia” (Loi en arabe), que la concernée pose comme absolue dans l’islam, dans une perspective normative en lieu et place d’une interprétation de ce concept dans la pratique, comme le voudrait l’anthropologie culturelle. La jurisprudence est pourtant l’une des sources de la loi islamique, une relativisation de la Charia. Bourdieu montre bien la cécité intellectuelle que produit cette pratique de la recherche qui, pour penser la tête de l’autre, se contente d’y imposer la sienne propre. Cette cécité interdit toute forme de relativisation, cette prise en considération de tou.te.s, pourtant au cœur du projet démocratique, qui soumet même la Loi à un Parlement supposé porter, en principe, toute la voix citoyenne. Car c’est bien la citoyenneté pleine et entière d’une partie de la population française que Bergeaud-Blackler dénie, en cœur avec les Zemmour, Fourest et autres Damien Rieu, en tête de procession d’une ribambelle de “Native Informants”, coterie qui va de l’imam Chalghoumi, rare musulman dont l’expression publique de la foi est permise, en passant par Zineb El Rhazoui, celle qui appelle la police, à “tirer à balles réelles sur les barbares” de la banlieue parisienne, à Mohamed Sifaoui, celui qui a déclaré préférer “être un chien plutôt qu’un islamiste”.C’est bel et bien une citoyenneté complète, celle qui n’oblige pas à la “politesse” , celle qui autorise, sur un registre oppositionnel le cas échéant, la pleine participation à la production des normes sociétales et à la subjectivité politique, que les “intellectuels organiques” du racisme redoutent . Comme le met en évidence Bourdieu, la République est une “entité théologique”; “elle n’existe que par la croyance”. Les “musulmans en France” peuvent-ils y croire ?
François Burgat (ex Directeur de recherches au CNRS) et Souhail Chichah (Visiting Lecturer, Williams College, USA)
La sur-politisation paranoïaque de dynamiques sociales d’une petite frange de la population française (“le voile est l’emblème de l’islam politique internationaliste” selon Caroline Fourest) ainsi que la diabolisation de l’islam politique apparaissent comme un reniement profond de l’idéal démocratique. Et une criminalisation, pour exercice illégal de la politique, (ou même de la seule liberté d’expression) de pans entiers de cette faible minorité de la population française qui considère l’Islam comme une composante peu ou prou importante de son identité.
Le philosophe Balibar ne s’y trompe pas, qui constate que “la culture peut aussi fonctionner comme une nature”, et qui conclut que “d’un point de vue formel”, l’islamophobie ressort d’un “antisémitisme généralisé”. La littérature scientifique étasunienne réfère quant à elle au concept de “Racial Muslim” pour signifier que les musulman.e.s sont considéré.e.s comme un groupe racial, Iels sont en effet assigné.e.s à une identité essentialisée, exclusive, péjorée et fantasmée.
Moins d’un siècle après, à peine, la France serait donc à nouveau “menacée”: par le Juif hier, par le Musulman aujourd’hui, ou peut-être pire encore, par la Musulmane. Dans la mythologie raciste contemporaine, les “réseaux” des Frères musulmans s’inscrivent dans la continuation de la “Juiverie internationale”: une cinquième colonne sournoise serait à l’œuvre, qui travaillerait la France.
Cette antienne raciste s’affirme aujourd’hui à nouveau, parée des oripeaux de la science. A l’anthropologue Vacher de Lapouge, figure française du racisme scientifique du tournant du XXe siècle, nourricier de l’idéologie nazie, succèdent aujourd’hui d’autres voix s’autorisant de l’anthropologie pour dénoncer “l’impureté nationale”. L’une d’entre elles, aussi médiatisée que marginale sur la scène académique, vient de commettre un brûlot s’inscrivant dans le paradigme délirant du “grand remplacement” : les Frères musulmans “infiltreraient” la République pour la remplacer par un “califat”. Ni plus, ni moins.
Il convient de nommer cette anthropologue. Non pas par terrorisme intellectuel, comme elle le pratique à longueur de déclarations publiques, instruisant un procès en sorcellerie d’hypothètiques “islamo-gauchistes ». Elles seraient en effet nombreuses, estime-t-elle, ces “alliances politiques : islamistes et gauchistes rouges et verts”. Elle est pourtant désavouée par son institution, le CNRS, qui rejette catégoriquement cette assertion: “«L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique.”
Cette militante politique, il convient de la nommer car, comme le rappelle Bourdieu sur les épaules de Marx, « Dans un univers où les positions sociales s’identifient souvent à des “noms”, la critique scientifique doit parfois prendre la forme d’une critique ad hominem. » En effet, une critique scientifique s’impose face à la brèche dangereuse qu’ouvre la chercheure en question. Certes, d’autres, avant elle, se sont fourvoyés dans ce renouveau du racisme scientifique. Mais l’apparition de nouvelles chaînes de télévision procure à l’activiste en question une caisse de résonance sans égale.
Florence Bergeaud-Blackler, dans Le Frérisme et ses réseaux, une enquête (Odile Jacob, 2023), n’apporte en réalité rien de neuf au paradigme états-unien du prétendu “choc des civilisations”, recyclé en France comme dispositif idéologique au service de la répression des ambitions sociales et politiques de quelque 10%, tout au plus, de la population française, selon un décompte statistique régulier des “musulmans en France” qui témoigne bien sûr d’une exacerbation du racisme .
Ces “musulmans en France” sont issus le plus souvent des quartiers populaires, n’en déplaise à la gauche qui l’ignore. Le racisme produit une formidable désagrégation de la conscience de classe. Le racisme est bel et bien “le socialisme des imbéciles”, comme le disait déjà un ancien leader de la gauche historique allemande, durant les années sombres de ce pays.
La droite n’est évidemment pas en reste. Zemmour n’eut qu’à se baisser, pour récolter la moisson de la haine, avec le succès qu’il faut lui reconnaître. A la présidentielle de 2022, soit quelques mois à peine après la constitution de Reconquête, il obtient 7% des suffrages. Dans l’Allemagne d’avant la folie génocidaire, il fallut près d’une décennie au parti le plus raciste de l’époque pour obtenir moins de la moitié de ce score. Bien entendu, comparaison n’est pas raison.
Mais à se répéter, souligne Marx, la tragédie devient farce. Ainsi des concepts cousus de fils bruns convoqués par Gilles Kepel, préfacier du réquisitoire de Bergeaud-Blacker, depuis ces “banlieues de l’Islam” jusqu’à l’ “atmosphère” de ce “djihadisme … devenu ambiant”.
Si Florence Bergeaud-Blackler ne brille pas par sa théorie de l’action — « Ce sont des théocrates et donc ce qu’il veulent c’est la fin de la démocratie …je ne comprends pas …pourquoi il y a tant de partis … complices » —, c’est sur le terrain de la doxa qu’elle opère plus spectaculairement. Sa thèse emprunte en effet à la réthorique antisémite la plus décomplexée: « Ils veulent rassembler l’ensemble des composantes de l’Islam pour les guider vers le califat… Ils procèdent par l’influence, le noyautage… l’infiltration de secteurs entiers… l’université, l’éducation, les médias, l’armée, la justice, les prisons, etc. Ils sont présents partout. »
Forte de concepts construits pour donner à l’expression raciste l’alibi de la recherche scientifique, elle a hélas la force de conviction redoutable de ces « intellectuels médiatiques” qui épousent les contours du sensationnalisme télévisuel et sa construction phobique d’un “Islam imaginaire” . Caution demi-savante, elle se prévaut d’une connaissance de la pensée islamique qui se révèle terriblement vague et superficielle. “Il s’agit moins de comprendre une série de phénomènes que de porter sur eux un jugement évaluatif, pour les déclarer incompatibles avec la République », remarque le spécialiste du droit musulman, Mohammed Hocine Benkheira. Comme par exemple la “Charia” (Loi en arabe), que la concernée pose comme absolue dans l’islam, dans une perspective normative en lieu et place d’une interprétation de ce concept dans la pratique, comme le voudrait l’anthropologie culturelle. La jurisprudence est pourtant l’une des sources de la loi islamique, une relativisation de la Charia.
Bourdieu montre bien la cécité intellectuelle que produit cette pratique de la recherche qui, pour penser la tête de l’autre, se contente d’y imposer la sienne propre. Cette cécité interdit toute forme de relativisation, cette prise en considération de tou.te.s, pourtant au cœur du projet démocratique, qui soumet même la Loi à un Parlement supposé porter, en principe, toute la voix citoyenne.
Car c’est bien la citoyenneté pleine et entière d’une partie de la population française que Bergeaud-Blackler dénie, en cœur avec les Zemmour, Fourest et autres Damien Rieu, en tête de procession d’une ribambelle de “Native Informants”, coterie qui va de l’imam Chalghoumi, rare musulman dont l’expression publique de la foi est permise, en passant par Zineb El Rhazoui, celle qui appelle la police, à “tirer à balles réelles sur les barbares” de la banlieue parisienne, à Mohamed Sifaoui, celui qui a déclaré préférer “être un chien plutôt qu’un islamiste”.
C’est bel et bien une citoyenneté complète, celle qui n’oblige pas à la “politesse” , celle qui autorise, sur un registre oppositionnel le cas échéant, la pleine participation à la production des normes sociétales et à la subjectivité politique, que les “intellectuels organiques” du racisme redoutent .
Comme le met en évidence Bourdieu, la République est une “entité théologique”; “elle n’existe que par la croyance”. Les “musulmans en France” peuvent-ils y croire ?
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