[par XLS]
On vous dit – mais allez-vous écouter bougres d’ânes ? – que la « race », c’est une « construction sociale ». Et rien d’autre, circulez, y’a rien à voir. Si vous n’êtes pas d’accord, c’est que c’est vous le raciste. Enfin ! Allons ! « Blanc », c’est une construction; comme « noir ». Ça veut juste dire « norme » et « marginal ». Voilà, c’est rien. Ok Boomer ? Si t’as pas compris ça, dégage, t’as rien compris.
Alors voyons:
Pap Ndiaye et Constance Rivière viennent de déposer un rapport sur la diversité à l’Opéra national de Paris. Le rapport est divisé en trois parties – méthode cartésienne fort respectable, le jury adresse ses félicitations aux collègues pour leur obéissance servile au canon académique.
La première partie s’intitule « Histoire et tradition : l’opéra, le ballet et la représentation des Autres » (pp. 7 à 25, 18 pages). La deuxième, « La diversité, grande absente de l’Opéra » (pages 25 à 39, 14 pages) et la troisième « Une politique de ressources humaines au service de l’ouverture et de la diversité » (pp. 42 à 49, 7 pages). L’ensemble du rapport est donc bouclé en 43 pages de 2000 signes en moyenne – ce qui correspond à la moyenne basse des normes typographiques puisque la moyenne admise pour une thèse est de 2500 signes par page équivalent à une page pleine, Times New Roman 12, interligne 1,5. La présentation sur deux colonnes est divertissante, mais un peu déplacée au regard de la motivation administrative de l’objet qui s’apparente à un tract plus qu’à un rapport. Mais c’est un autre problème. Par ailleurs, quelques encadrés gris contiennent des « propositions » pour l’Opéra (19 au total) qui sont reprises en fin d’ouvrage (p. 54) sous une forme concise. Un « Manifeste » est ajouté p. 61, signé de 11 personnes : Guillaume DIOP – Letizia GALLONI – Jack GASZTOWTT – Binkady-Emmanuel HIÉ – Awa JOANNAIS – Saki KUWABARA – Chun Wing LAM – Isaac LOPES GOMES – Florent MBIA – Christian Rodrigue MOUNGOUNGOU – Hannah O’NEILL.
Le rapport place en exergue la citation de Michel Pastoureau:
« Pour moi, les problèmes de la couleur sont d’abord des problèmes de société »
Michel Pastoureau, Noir
La question est donc entendue: la couleur, « c’est du social ». Il n’est donc évidemment pas question de classer les gens en fonction de leur « couleur » – ce serait un contre-sens.
Aïe. Un point retient notre attention: sur l’ensemble du rapport on recense 66 occurrences du mot « noir » et 81 occurrences du mot « blanc ». Profitons au passage de l’opportunité qui nous est donnée de dénoncer cette sous représentation du mot « noir » dans le texte par rapport à son antonyme lexical, ce qui suggère qu’avant de décoloniser l’Opéra, il faudrait déjà décoloniser le rapport qui veut décoloniser l’Opéra. C’est sans doute un détail, mais on sait depuis Beatriz Preciado que le diable est dans le détail, que le détail: c’est le colonialisme et que le colonialisme: c’est mal. Donc ce rapport, c’est le mal. Toutefois rassurons-nous puisque ce rapport laisse appraître une spécificité lexicale intéressante et créative puisqu’il fait paraître 17 occurrences du mot composé « non-blancs », inversant légitimement la polarité des univers lexicaux du texte (avec une hésitation agaçante dans le texte entre l’orthographe « avec trait d’union » et « sans trait d’union »).
Mais continuons notre examen et examinons quelques occurrences de ces deux notions qui désignent, du moins pensions-nous naïvement, une réalité sociologique:
- « L’opéra européen était le point de vue sublime des dominants sur le monde : celui d’hommes européens blancs, au pouvoir ou proches de lui. » (p. 8)
- « faire la lumière sur l’histoire de l’institution, pour valoriser des figures méconnues, voire oubliées, des artistes non-Blancs » (p. 11)
- « Enfin, l’Opéra national de Paris n’a encore programmé ni metteur en scène, ni livret ou composition écrits par une personne non blanche. » (p. 15)
- « La « réservation » de rôle en fonction de la couleur nous apparaît aussi problématique qu’il s’agisse d’incarner un personnage noir ou un personnage blanc… De même qu’un acteur noir doit pouvoir jouer tous les rôles, un acteur blanc devrait pouvoir jouer tous les rôles. » (p. 23)
- « David Bobée nous a dit lors de notre entretien : « Le véritable universalisme, c’est quand on se reconnaît dans une autre couleur de peau. » (p. 24)
- « Cesser de blanchir les peaux dans le ballet » (p. 24)
- « Il apparaît en effet nettement que les salariés non-blancs sont très minoritaires à l’Opéra national de Paris » (p. 25)
- « les hommes non blancs sont en général plus nombreux que les femmes non blanches. » (p. 28)
- « Au sein de l’École comme d’ailleurs dans les conservatoires de danse qui en sont l’antichambre, il n’y a que des personnes blanches en classique » (p. 29)
- « Les pratiques de sélection réduisent encore les chances des enfants non blancs d’accéder à l’École. » (p. 30)
Laquelle de ces occurrences, à votre avis, laisse-t-elle planer le moindre doute sur la définition racialisante du mot « blanc » ou « noir » ? Et à quel moment d’ailleurs trouve-t-on un effort de clarification sur l’emploi de ces termes: qu’est-ce qu’un blanc ? Qu’est-ce qu’un noir ? Qu’est-ce qu’un non-blanc ?
Un léger malaise surgit en fait à la lecture du texte: alors que les notions de « blanchité » et de « non-blanchité » ne sont jamais définies, il apparaît clairement à la lecture du texte qu’elles refèrent de la manière la plus classiquement raciste à des notions de couleur de peau. Sont « blancs » les humains qui ont la peau claire, et « non-blancs » les autres. C’est donc une notions profondément biologique et racialiste qui est posée dans ce rapport sans précaution ni avertissement se référant au « Black Lives matter » dès la page 4 et rattachant la question de la « diversité » à une distribution de rôles par couleurs de peau.
Ce positionnement est extrêmement inquiétant d’autant que le rapport semblait pourtant être particulièrement à même de prendre les précautions nécessaires pour éviter ce biais. Il évoque ainsi l’historique (p. 19) des pratiques du Blackface en critiquant notamment les caricatures phénotypiques profondément racistes des XVIIIe et XIXe siècles. P. 28, le rapport évoque même l’article de Michaela DePrince (Taking Filght: from war orphan to star ballerina, NY, Peguin Random House, 2014, p. 123) qui raconte comment les grandes scènes internationales accueillent majoritairement des danseuses qui passent « le brown paper bag test ».
Mais alors, de quoi s’agit-il en réalité ?
S’agit-il pour les auteurs de critiquer une pratique odieuse qui consisterait implicitement à classer les gens en blancs et non-blancs autour de l’axe du « brown paper bag » ? Ou s’agit-il implicitement d’accepter pleinement cette logique pour donner du contenu à l’opposition qui est faite tout au long du rapport entre « blanc » et « non blancs » ? Rien n’est moins sûr. Il est même à craindre que le flou terminologique du rapport ne penche malheureusement pour la deuxième solution.
Or c’est un problème.
En effet, rappelons cette évidence : il n’existe pas un racisme négatif, c’est-à-dire un racisme qui serait mis au service de la suprémacie blanche; et un racisme positif et plein de bonnes intentions qui utiliserait des critères racistes pour de bonnes raisons !
Il existe le racisme, tout simplement, qui ne supporte aucun adjectif.
Le rapport de Pap Ndiaye et de Constance Rivière ne laisse pas place à l’ambiguïté: c’est un texte qui propose la répartition des danseurs selon le critère de la couleur des peaux, sans s’embarrasser de définitions sociologiques ni anthropologiques. À ce titre, et aussi louables que puissent être les intentions des auteurs (mais ne dit-on pas que « l’enfer est pavé de mauvaises intentions ? »), il doit être classé comme un texte raciste et à ce titre, doit être réfuté.
Si le rapport avait envisagé la diversité sociale plutôt que raciale: tout le monde aurait ri. Oui: l’Opéra est un sport de bourgeois. Vous en doutiez ?