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Quand la lutte contre l’islamophobie sert les Frères musulmans

Quand la lutte contre l’islamophobie sert les Frères musulmans

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  Le 1er février, Marion Lalisse a été nommée coordinatrice de la lutte contre la haine antimusulman par la commissaire européenne à l’Égalité Helena Dalli, avec pour mission de lutter contre la « discrimination structurelle et individuelle » à l’égard des musulmans. Si ce poste resté vacant plusieurs mois reste très controversé, c’est parce que la lutte contre l’« islamophobie » est utilisée comme une arme de soft power islamiste destinée à imposer le délit de blasphème et à empêcher toute critique de l’islam, y compris fondamentaliste.Qu’importe que l’on parle de « lutte contre la haine antimusulman » ou de lutte contre « l’ islamophobie », cette lutte institutionnalisée autour du faux nez de la « lutte antiraciste » participe à rendre nos sociétés charia compatibles, accomplissant une première étape décisive du plan d’islamisation des Frères musulmans.Négocier plutôt que forcerPrésenté en 1997 au ministre de l’Intérieur britannique Jack Straw, « Islamophobia : A Challenge for Us », signé par le think tank britannique Runnymede Trust, est le premier rapport sur l’islamophobie jamais publié et reste un modèle pour ceux qui suivront. À l’origine de ce rapport, les tensions autour de l’affaire Rushdie. Elles sont attribuées à une difficulté des démocraties libérales à admettre et à intégrer une population porteuse d’« autres sentiments et valeurs ». En guise de solutions, le rapport propose de reconnaître la culture, la langue, les coutumes et la religion comme base de discrimination, alors qu’elle était jusque-là fondée uniquement sur la race. Pour la prévention du problème, il conseille qu’elle soit confiée à la société civile plutôt qu’à l’État. Mieux vaut, pour éviter la force de la sanction et la violence qu’elle pourrait engendrer à son tour, emprunter les chemins de la tolérance et de l’ « éducation », négocier plutôt que forcer.À LIRE AUSSIDjemila Benhabib : « Le voile participe à façonner un ordre social phallocrate » Le rapport remis au ministre britannique entend ainsi résoudre le problème par l’intervention ciblée de leaders d’opinion, d’influenceurs, de médias et de think tanks sur la base de dizaines de recommandations soigneusement détaillées qui substitueraient à une vision « fermée et négative » de l’islam une vision « ouverte et positive ». Il propose de se lancer dans ce qui n’est pas autre chose qu’une forme de reprogrammation cognitive pour changer le regard des non-musulmans sur cette religion. Par exemple, l’islam vu comme « monolithique » doit désormais être considéré comme « divers et progressiste », vu comme « violent, agressif et menaçant »comme « un partenaire effectif ou potentiel dans des entreprises coopératives », vu comme idéologie politique « comme une croyance religieuse authentique, pratiquée sincèrement » (cité par Bergeaud-Blackler, 2023).« fait social total »Il pointe également les domaines concrets d’amélioration de la société en raison du caractère jugé « structurel » de l’islamophobie. Sur la base de sa conception de l’islamophobie comme « fait social total » (Mauss), il entend corriger tous les domaines de la vie sociale, politique, économique, ceux des médias, de l’entreprise et de l’emploi, les secteurs de la santé, de l’éducation, etc. Et avec un certain succès. Le Runnymede Trust se vante encore à ce jour d’avoir infléchi les décisions des politiques et du grand public en faveur du financement public d’écoles spécifiquement musulmanes, de la représentation de l’islam dans les médias ou de l’ajout dans le recensement national britannique de 2001 de questions sur la religion. Ce premier rapport a été un modèle pour les organisations fréristes qui empruntent la voie de la lutte contre l’islamophobie, le racisme ou la haine « structurelle » comme voie royale pour imposer leur plan d’islamisation, leur légitime présence et reconnaissance « en tant que musulmans » dans tous les secteurs de la société.À LIRE AUSSIRichard Malka : « L’islam sectaire est devenu l’islam et c’est une tragédie » Un autre rapport britannique de 2005, signé par le chercheur Tufyal Choudhury, conseiller de l’Open Society UK, une organisation internationale dont l’influence est considérable sur les politiques « antiracistes » de l’UE, s’apparente à un véritable manuel frériste. On y trouve une série de recommandations comme accroître la participation politique des musulmans, au niveau tant national que local. Les autorités éducatives locales sont invitées à explorer la possibilité de fournir une éducation non mixte dans les territoires à forte population musulmane ; il est suggéré d’établir « des procédures de diffusion des bonnes pratiques pour répondre aux besoins des élèves musulmans » ; il est conseillé de remplacer les écoles anglicanes par des écoles musulmanes là où les musulmans sont nombreux ; il est proposé de faciliter les pratiques islamiques dans l’espace public, notamment à l’université. Et, bien sûr, il faut faire en sorte que le système de protection des musulmans reproduise sa raison d’être en renforçant les politiques de signalement des discriminations et des harcèlements religieux individuels et structurels sur la base de ce que les musulmans jugent offensant.Sentiment de culpabilitéLes besoins des musulmans soumis à la loi islamique, leur bon droit de ne pas se voir offensés, doivent être satisfaits au risque de provoquer des violences qui pourraient entraîner le réveil du monstre d’extrême droite. Il faut satisfaire la victime pour éviter qu’elle ne ranime par sa violence le bourreau qui sommeille en Occident. L’islamophobie permet à ses promoteurs de capitaliser ainsi doublement sur l’antisémitisme, d’une part en relativisant la gravité de ce dernier, d’autre part en détournant la force du sentiment de culpabilité et de haine de soi des Occidentaux des victimes juives vers les supposées victimes musulmanes.À LIRE AUSSIFillette voilée : enfin un « contrôle politique » des images de l’UELe programme de lutte contre l’islamophobie fait ce dont les Frères ont rêvé : protéger la personnalité musulmane des valeurs locales afin de développer un écosystème islamique étanche et durable dans les pays non musulmans. Le « musulman » peut être ainsi immunisé contre son environnement immédiat, comme le recommandait le plan de l’Isesco affilié à l’OCI, rédigé par les Frères. L’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique prévoyait en effet de « le protéger de l’invasion et de l’aliénation culturelles, de garantir la sécurité culturelle et l’immunité nécessaire au développement de la personnalité du musulman en le formant aux principes de l’islam et de la culture islamique ».« charia compatibilisation »La « lutte contre l’islamophobie » n’est pas seulement cette arme visant à empêcher la critique des religions. Trente ans après le premier rapport sur l’islamophobie du Runnymede Trust, elle a produit des institutions et des politiques de réislamisation des musulmans et la « charia compatibilisation » de nos sociétés pluralistes, séculières et démocratiques. C’est par ce biais que les Frères musulmans européens étendent leur emprise dans tous les secteurs de la société. L’intérêt des programmes, des rapports et des institutions visant à lutter contre « la haine antimusulman » ou « l’islamophobie » (des termes souvent interchangés) doit être d’urgence évalué à l’aune de ce constat.À LIRE AUSSILe double discours d’une association proche des Frères musulmans* Florence Bergeaud-Blackler est anthropologue au CNRS et autrice du « Frérisme et ses réseaux : l’enquête » (Odile Jacob, 2023) 

Le 1er février, Marion Lalisse a été nommée coordinatrice de la lutte contre la haine antimusulman par la commissaire européenne à l’Égalité Helena Dalli, avec pour mission de lutter contre la « discrimination structurelle et individuelle » à l’égard des musulmans. Si ce poste resté vacant plusieurs mois reste très controversé, c’est parce que la lutte contre l’« islamophobie » est utilisée comme une arme de soft power islamiste destinée à imposer le délit de blasphème et à empêcher toute critique de l’islam, y compris fondamentaliste.

Qu’importe que l’on parle de « lutte contre la haine antimusulman » ou de lutte contre « l’ islamophobie », cette lutte institutionnalisée autour du faux nez de la « lutte antiraciste » participe à rendre nos sociétés charia compatibles, accomplissant une première étape décisive du plan d’islamisation des Frères musulmans.

Négocier plutôt que forcer

Présenté en 1997 au ministre de l’Intérieur britannique Jack Straw, « Islamophobia : A Challenge for Us », signé par le think tank britannique Runnymede Trust, est le premier rapport sur l’islamophobie jamais publié et reste un modèle pour ceux qui suivront. À l’origine de ce rapport, les tensions autour de l’affaire Rushdie. Elles sont attribuées à une difficulté des démocraties libérales à admettre et à intégrer une population porteuse d’« autres sentiments et valeurs ». En guise de solutions, le rapport propose de reconnaître la culture, la langue, les coutumes et la religion comme base de discrimination, alors qu’elle était jusque-là fondée uniquement sur la race. Pour la prévention du problème, il conseille qu’elle soit confiée à la société civile plutôt qu’à l’État. Mieux vaut, pour éviter la force de la sanction et la violence qu’elle pourrait engendrer à son tour, emprunter les chemins de la tolérance et de l’ « éducation », négocier plutôt que forcer.

À LIRE AUSSIDjemila Benhabib : « Le voile participe à façonner un ordre social phallocrate » Le rapport remis au ministre britannique entend ainsi résoudre le problème par l’intervention ciblée de leaders d’opinion, d’influenceurs, de médias et de think tanks sur la base de dizaines de recommandations soigneusement détaillées qui substitueraient à une vision « fermée et négative » de l’islam une vision « ouverte et positive ». Il propose de se lancer dans ce qui n’est pas autre chose qu’une forme de reprogrammation cognitive pour changer le regard des non-musulmans sur cette religion. Par exemple, l’islam vu comme « monolithique » doit désormais être considéré comme « divers et progressiste », vu comme « violent, agressif et menaçant »comme « un partenaire effectif ou potentiel dans des entreprises coopératives », vu comme idéologie politique « comme une croyance religieuse authentique, pratiquée sincèrement » (cité par Bergeaud-Blackler, 2023).

« fait social total »

Il pointe également les domaines concrets d’amélioration de la société en raison du caractère jugé « structurel » de l’islamophobie. Sur la base de sa conception de l’islamophobie comme « fait social total » (Mauss), il entend corriger tous les domaines de la vie sociale, politique, économique, ceux des médias, de l’entreprise et de l’emploi, les secteurs de la santé, de l’éducation, etc. Et avec un certain succès. Le Runnymede Trust se vante encore à ce jour d’avoir infléchi les décisions des politiques et du grand public en faveur du financement public d’écoles spécifiquement musulmanes, de la représentation de l’islam dans les médias ou de l’ajout dans le recensement national britannique de 2001 de questions sur la religion. Ce premier rapport a été un modèle pour les organisations fréristes qui empruntent la voie de la lutte contre l’islamophobie, le racisme ou la haine « structurelle » comme voie royale pour imposer leur plan d’islamisation, leur légitime présence et reconnaissance « en tant que musulmans » dans tous les secteurs de la société.

À LIRE AUSSIRichard Malka : « L’islam sectaire est devenu l’islam et c’est une tragédie » Un autre rapport britannique de 2005, signé par le chercheur Tufyal Choudhury, conseiller de l’Open Society UK, une organisation internationale dont l’influence est considérable sur les politiques « antiracistes » de l’UE, s’apparente à un véritable manuel frériste. On y trouve une série de recommandations comme accroître la participation politique des musulmans, au niveau tant national que local. Les autorités éducatives locales sont invitées à explorer la possibilité de fournir une éducation non mixte dans les territoires à forte population musulmane ; il est suggéré d’établir « des procédures de diffusion des bonnes pratiques pour répondre aux besoins des élèves musulmans » ; il est conseillé de remplacer les écoles anglicanes par des écoles musulmanes là où les musulmans sont nombreux ; il est proposé de faciliter les pratiques islamiques dans l’espace public, notamment à l’université. Et, bien sûr, il faut faire en sorte que le système de protection des musulmans reproduise sa raison d’être en renforçant les politiques de signalement des discriminations et des harcèlements religieux individuels et structurels sur la base de ce que les musulmans jugent offensant.

Sentiment de culpabilité

Les besoins des musulmans soumis à la loi islamique, leur bon droit de ne pas se voir offensés, doivent être satisfaits au risque de provoquer des violences qui pourraient entraîner le réveil du monstre d’extrême droite. Il faut satisfaire la victime pour éviter qu’elle ne ranime par sa violence le bourreau qui sommeille en Occident. L’islamophobie permet à ses promoteurs de capitaliser ainsi doublement sur l’antisémitisme, d’une part en relativisant la gravité de ce dernier, d’autre part en détournant la force du sentiment de culpabilité et de haine de soi des Occidentaux des victimes juives vers les supposées victimes musulmanes.

À LIRE AUSSIFillette voilée : enfin un « contrôle politique » des images de l’UELe programme de lutte contre l’islamophobie fait ce dont les Frères ont rêvé : protéger la personnalité musulmane des valeurs locales afin de développer un écosystème islamique étanche et durable dans les pays non musulmans. Le « musulman » peut être ainsi immunisé contre son environnement immédiat, comme le recommandait le plan de l’Isesco affilié à l’OCI, rédigé par les Frères. L’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique prévoyait en effet de « le protéger de l’invasion et de l’aliénation culturelles, de garantir la sécurité culturelle et l’immunité nécessaire au développement de la personnalité du musulman en le formant aux principes de l’islam et de la culture islamique ».

« charia compatibilisation »

La « lutte contre l’islamophobie » n’est pas seulement cette arme visant à empêcher la critique des religions. Trente ans après le premier rapport sur l’islamophobie du Runnymede Trust, elle a produit des institutions et des politiques de réislamisation des musulmans et la « charia compatibilisation » de nos sociétés pluralistes, séculières et démocratiques. C’est par ce biais que les Frères musulmans européens étendent leur emprise dans tous les secteurs de la société. L’intérêt des programmes, des rapports et des institutions visant à lutter contre « la haine antimusulman » ou « l’islamophobie » (des termes souvent interchangés) doit être d’urgence évalué à l’aune de ce constat.

À LIRE AUSSILe double discours d’une association proche des Frères musulmans

* Florence Bergeaud-Blackler est anthropologue au CNRS et autrice du « Frérisme et ses réseaux : l’enquête » (Odile Jacob, 2023)

 

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