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Une édition inclusive de la Recherche à paraître au Québec

Une édition inclusive de la Recherche à paraître au Québec

Collectif

Tribune des observateurs

Nous reprenons ici une information par Nicolas Ragonneau parue sur le site https://proustonomics.com . Pour mémoire, https://decolonialisme.fr/longtemps-je-mai-couche-e-de-bonne-heure-mais-aussi-de-bons-heurts-car-il-faut-respecter-la-parite-en-langue/

Nicolas RagonneauAvr 1© Claude Tremblay, 2023© Claude Tremblay, 2023

Claude Tremblay publie en juin la première version dégenrée de la Recherche au Québec, dans sa maison d’édition post-binaire, Intersexions. Une entreprise qui s’annonce hautement controversée.

Avertissement : à la demande de Claude Tremblay, j’utilise le prénom iel pour la·e désigner, car iel se définit comme personne non-binaire.
En pleine visioconférence depuis Montréal, Claude Tremblay soulève la manche de son T-shirt et dévoile un Marcel Proust d’un bleu un peu violacé. Le tatouage, assez précis, reproduit le visage de l’écrivain tel qu’il apparaît sur une des fameuses photos de la séance avec Otto Wegener, à la différence qu’une rose a été ajoutée à la base de son cou.
« J’ai voulu faire ce tatouage juste après avoir fini la Recherche. C’était à l’été 2020, peu de temps après le confinement. Des moments d’une vie qu’on n’oublie pas. »De l’ENS à MontréalJ’ai rencontré Claude Tremblay (iel a changé Marie-Claude en Claude en 2018, car c’est plus épicène et plus proche de son athéisme) à la journée d’étude « Proust et le (mauvais) genre » organisée par Anne Simon et Zhao Yangjie à l’École Normale Supérieure le 2 février dernier. Iel est venu·e me parler après la table ronde qui clôturait cette manifestation pour me dire qu’iel aimait bien mon site et qu’iel avait apprécié que je pratique ce qu’iel appelle « une réattribution de genre » dans mon livre Proustonomics, cent ans avec Marcel Proust. Le premier incipit que j’avais travesti était « Longtemps, je me suis couchée de bonne heure », et il était signé Marcelle Proust.
Iel avait moins apprécié la citation de Tomi Ungerer que j’avais placée au seuil de l’ouvrage : « La fille de Vinteuil est le portrait craché de son père », et on verra pourquoi un peu plus loin.
« Je suis en train de finir la première version inclusive de la Recherche, ça vous intéresse ? » me demande-t-iel à l’ENS. Évidemment que ça m’intéresse, et on s’échange nos adresses mail en se promettant de se contacter quand iel serait de retour à Montréal.« Un laboratoire de publications gender fluid »« Jean-Yves Tadié disait que chacun·e a son Proust, alors pourquoi pas un Proust qui serait le héraut de la révolution post-binaire, alors qu’il était celui des minorités gaies et juives de la Belle Époque ? Certes, il n’a pas assumé comme Gide, mais Gide ne peut figurer à notre Panthéon, car sa pédophilie n’est pas acceptable.»

Claude milite depuis des années dans différents collectifs et a participé aux travaux fédéraux en faveur de l’inclusion et de l’égalité des genres au Canada, notamment sur la question de la désignation de la communauté non binaire, qui a abouti à l’acronyme 2ELGBTQI+, désormais 2ELGBTQIRTP+.

« J’ai créé la maison d’édition Intersexions, qui se veut un laboratoire de publications et de réflexions genderfluid. À ce titre, il me paraissait intéressant d’inaugurer le catalogue avec un grand classique revisité. »

Ce grand classique, c’est donc À la recherche du temps perdu, mais quelles différences présente son édition par rapport aux éditions actuelles ou passées ?

« C’est le texte de la Recherche du domaine public, celui qui a été édité par la NRF de 1913 à 1927, qui a servi de base de travail. On a travaillé sur l’épicène, sur les potentialités bi des personnages. Tous les personnages bisexuels du livre reçoivent le pronom iel. C’est vrai d’Odette, d’Albertine, mais c’est aussi le cas pour Saint-Loup et Charlus. On résout cette question de la sexualité des personnages, où l’hétérosexualité normée du tournant du siècle les oblige à vivre dans la clandestinité. Quant à Marcel, auteur-narrateur, son prénom épicène (au moins phonétiquement) nous invite à le dégenrer. C’est la raison pour laquelle Marcel devient Marcel·le et que le narrateur se fait narrateur·rice. » Quand je l’interromps pour signaler qu’iel semble avoir aussi une tendresse particulière pour la fille de Vinteuil et son amie, iel répond au quart de tour : « En crachant sur le portrait de Vinteuil, Mlle Vinteuil et son amie préfigurent les luttes anti-patriarcales du XXIe siècle ».Typos non binaires et QUNIPour annoncer la couleur (forcément arc-en-ciel) Claude m’a envoyé les sept couvertures de son édition avant l’entretien. « L’écriture inclusive au point médian n’est qu’une étape. Je suis passé·e au stade supérieur en utilisant des typographies dégenrées, celles de la typothèque Bye Bye Binary. C’est un collectif porteur de la révolution typographique post-binaire, qui réunit depuis 2017 une gang de graphistes francophones. J’ai retenu deux polices de caractères pour mon édition. Pour les titres de couvertures et pour mon logo, j’ai choisi Adelphe, une typo incroyable créée par Eugénie Bidaut qui existe en trois déclinaisons : pour faire court, tu peux l’utiliser avec le point médian, avec des diacritiques souscrits ou avec de superbes ligatures et des caractères spéciaux. Quelques personnages non-binaires de la Recherche déclinés dans les trois versions de la typo Adelphe d’Eugénie Bidaut.Pour la composition intérieure, il s’agit de la police Baskervvol, dont on voit un échantillon sur chaque couverture avec le principe de l’extrait mis en avant comme une illustration. Sans ces typos, on n’aurait jamais pu proposer cette version pour les queer-trans-pédés-bi-gouines. » Comme iel voit que cette question des typos m’intéresse et que je l’ui demande comment’interroge sur la manière dont on peut les utiliser concrètement, iel poursuit : « on a défini un standard à partir de l’UNICODE ». Ce standard répond au doux nom de QUNI, soit une version queer de l’UNICODE. En bref, l’UNICODE (consortium à but non lucratif) inventorie tous les caractères existant pour tous les systèmes d’écriture afin de faire potentiellement coexister ceux-ci dans l’espace numérique (imaginez par exemple sur votre portable une page où apparaissent de l’alphabet cyrillique et de l’écriture arabe). Les Canadiens sont très sensibles à cette question de typographies inclusives et pionniers (sans jeu de mots) dans le domaine, comme en témoigne la police de caractères dessinée par Ray Larabie en 2016 pour les 150 ans de l’État canadien, et qui couvre toutes les langues du pays.Des chattes et des chiensCe parti-pris typographique sera assurément débattu, mais le travail éditorial de Claude ne s’est pas arrêté à la seule question du genre : « Les pulsions du Narrateur dans l’œuvre originelle relèvent assurément de la culture du viol, d’ailleurs je ne suis pas la·e seul·e à le penser. Tu as vu le tweet récent sur le compte QuiAPeurDuFéminisme ?Did you know that in #Proust’s Recherche du temps perdu, most of the narrator’s endeavors at seducing women would be considered as sexual harassment or rape under current laws?

To be continued at @amsterdam_ed with #Pourenfiniraveclapassion ! pic.twitter.com/gursZgJJBQ
— QuiAPeurDuFéminisme (@PeurFeminisme) March 24, 2023

On a donc corrigé tout cela dans notre édition. Je ne vais pas en déflorer toutes les surprises, mais notre narrateur·rice s’en trouve rajeuni·e et grandement régénéré·e. C’est toute la violence du texte, que tu aimes tant, qui s’en trouve désamorcée. » Quand je lui fais remarquer que ce travail a dû être dantesque, et que potentiellement iel aurait pu faire appel à une Intelligence Artificielle pour transformer le texte, iel a cette réponse : « Tu ne crois pas si bien dire. Avec plusieurs ami·es, nous travaillons à une version dégenrée de Chat GPT, les Chattes GPT, qui doit nous permettre de nous attaquer à d’autres classiques de la littérature mondiale et de faciliter ce travail sans s’enfarger dans les fleurs du tapis. »

Je lui demande quel sort iel a réservé à l’épisode où le Narrateur, dans Albertine disparue, fait venir des petites filles chez lui pour le consoler, ce qui déclenche chez Claude un franc éclat de rire : « Tu pensais vraiment qu’on allait laisser passer ça ? Dans ma version le·a narrateur·rice fait venir des caniches et des cavaliers king-charles qu’iel prend sur ses genoux. Mais tu veux trop en savoir, crois-moi, on va rejouer le film d’une sacrée façon ! Ça sera le fun. » Iel n’apprécie pas vraiment que j’imagine une seconde que cette révision puisse ressembler à de la maltraitance animale.L’entreprise radicale de Claude Tremblay sera à lire en Europe dans le courant de l’été. Des distributeurs-diffuseurs suisses et belges ont déjà fait connaître leur intérêt. En France, Claude est en discussions avancées avec Interforum, la structure de diffusion d’Editis, propriété de Vincent Bolloré, pour que livre soit disponible dans toutes les bonnes librairies. « On va voir si M. Bolloré est prêt à nous soutenir, s’il met ses actes en conformité avec ses déclarations, lui qui se vantait devant le Sénat français l’année dernière d’avoir le pronom iel dans son édition numérique du Robert, ou de posséder la maison d’édition gauchiste La Découverte ». 

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