1995, quand l’engagement de Bourdieu devint public

1995, quand l’engagement de Bourdieu devint public

Collectif

Tribune des observateurs

Table des matières

1995, quand l’engagement de Bourdieu devint public

Read More  Il y aurait donc eu deux Bourdieu ! Le premier, sociologue, (presque) fréquentable, qui aurait été un scientifique rigoureux jusqu’au début des années 1990. Le second, à partir de la publication de La Misère du monde (Seuil, 1993), gros volume rassemblant les témoignages sur une société française de plus en plus appauvrie, et document majeur sur l’effet des dominations et des politiques néolibérales, quand les protections collectives keynésiennes s’amenuisent progressivement.À partir de là, Bourdieu serait donc devenu un intellectuel « engagé », « militant », voire « un militant » tout court. Et, bien sûr, infréquentable. Cette présentation a la vie dure : à partir du moment où Bourdieu s’est investi dans le débat public, tout particulièrement lors du grand mouvement social de novembre-décembre 1995, le professeur au Collège de France devint un dangereux activiste, délaissant sa chaire de sociologie.C’est ce que l’on trouve notamment dans les travaux de Nathalie Heinich, sociologue formée par Bourdieu ayant ensuite rejoint le camp réactionnaire, qui dénonce une (hypothétique) « importation du “combat politique” dans l’espace scientifique ».À la différence de la forte mobilisation populaire contre l’actuelle « réforme » du système des retraites, « les grèves de novembre-décembre [1995] ont suscité chez les intellectuels français une forte mobilisation ». C’est ce que notait un groupe de jeunes sociologues dans Le « décembre » des intellectuels français (1), essai paru dans la maison d’édition fondée alors par Pierre Bourdieu, Liber-Raisons d’agir.Ils y retraçaient en particulier le profond clivage qui s’instaura au sein des intellectuels français, symbolisé par l’opposition entre deux pétitions. L’une, en soutien à la « réforme Juppé » (et à la position de Nicole Notat, alors à la tête de la CFDT), s’intitulait « Pour une réforme de fond de la Sécurité sociale » et comptait parmi ses principaux signataires Alain Touraine et une bonne partie de la rédaction de la revue Esprit.L’autre, « Appel des intellectuels en soutien aux grévistes », regroupait une grande part des intellectuels « progressistes », avec pour figure de proue Pierre Bourdieu. Lui et les autres signataires furent qualifiés d’« irresponsables », « gauchistes » et « totalitaires ». Or, ce clivage laissa des traces profondes dans le monde intellectuel : « Deux décennies de conflits théoriques et politiques, d’entreprises individuelles et collectives, de rapprochements et d’éloignements se cristallisent » alors, écrivent les cinq auteurs de ce petit livre.Le titre du nouvel essai de Gérard Mauger, Un parcours sociologique, dément d’emblée la thèse, qui Envie de terminer cet article ? Nous vous l’offrons ! 

Il y aurait donc eu deux Bourdieu ! Le premier, sociologue, (presque) fréquentable, qui aurait été un scientifique rigoureux jusqu’au début des années 1990. Le second, à partir de la publication de La Misère du monde (Seuil, 1993), gros volume rassemblant les témoignages sur une société française de plus en plus appauvrie, et document majeur sur l’effet des dominations et des politiques néolibérales, quand les protections collectives keynésiennes s’amenuisent progressivement.

À partir de là, Bourdieu serait donc devenu un intellectuel « engagé », « militant », voire « un militant » tout court. Et, bien sûr, infréquentable. Cette présentation a la vie dure : à partir du moment où Bourdieu s’est investi dans le débat public, tout particulièrement lors du grand mouvement social de novembre-décembre 1995, le professeur au Collège de France devint un dangereux activiste, délaissant sa chaire de sociologie.

C’est ce que l’on trouve notamment dans les travaux de Nathalie Heinich, sociologue formée par Bourdieu ayant ensuite rejoint le camp réactionnaire, qui dénonce une (hypothétique) « importation du “combat politique” dans l’espace scientifique ».

À la différence de la forte mobilisation populaire contre l’actuelle « réforme » du système des retraites, « les grèves de novembre-décembre [1995] ont suscité chez les intellectuels français une forte mobilisation ». C’est ce que notait un groupe de jeunes sociologues dans Le « décembre » des intellectuels français (1), essai paru dans la maison d’édition fondée alors par Pierre Bourdieu, Liber-Raisons d’agir.

Ils y retraçaient en particulier le profond clivage qui s’instaura au sein des intellectuels français, symbolisé par l’opposition entre deux pétitions. L’une, en soutien à la « réforme Juppé » (et à la position de Nicole Notat, alors à la tête de la CFDT), s’intitulait « Pour une réforme de fond de la Sécurité sociale » et comptait parmi ses principaux signataires Alain Touraine et une bonne partie de la rédaction de la revue Esprit.

L’autre, « Appel des intellectuels en soutien aux grévistes », regroupait une grande part des intellectuels « progressistes », avec pour figure de proue Pierre Bourdieu. Lui et les autres signataires furent qualifiés d’« irresponsables », « gauchistes » et « totalitaires ». Or, ce clivage laissa des traces profondes dans le monde intellectuel : « Deux décennies de conflits théoriques et politiques, d’entreprises individuelles et collectives, de rapprochements et d’éloignements se cristallisent » alors, écrivent les cinq auteurs de ce petit livre.

Le titre du nouvel essai de Gérard Mauger, Un parcours sociologique, dément d’emblée la thèse, qui

Envie de terminer cet article ? Nous vous l’offrons !

 

« Ce post est un relevé d’information de notre veille d’information »

Auteur

Ce qu'il vous reste à lire
0 %

Peut-être devriez-vous vous abonner ?

Sinon, ce n’est pas grave ! Vous pouvez fermer cette fenêtre et continuer votre lecture.

    S'enregistrer:

    Soutien à notre collègue Bergeaud-Blackler

    Florence Bergeaud-Blackler, chercheuse au CNRS, devait donner une conférence à l’Université de Lille sur un sujet brûlant : l’influence des Frères musulmans et l’entrisme islamiste dans certains syndicats et mouvements de gauche. Pourtant, sa conférence a été annulée. Cette décision, prise par le doyen, est un acte politique qui ne dit pas son nom. Une fois de plus, l’université cède aux pressions idéologiques et sacrifie le débat scientifique sur l’autel du conformisme militant.
     
    Cette annulation n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans un climat où toute critique de l’islamisme est immédiatement disqualifiée, où ceux qui osent poser des questions sont taxés de “racistes” ou d’“extrême droite”. Dans les sciences sociales, en particulier, la règle tacite est claire : on se soumet ou on dégage. Ceux qui refusent de plier sont mis à l’écart, leurs conférences interdites, leurs noms jetés en pâture à des étudiants dressés à confondre débat intellectuel et offense personnelle.
     
    Comment expliquer que des syndicats, censés défendre la liberté d’expression, se soient transformés en gardiens du dogme ? Pourquoi tant de collègues se taisent, sinon par peur ? Cette lâcheté collective est précisément ce qui permet aux censeurs d’imposer leur loi. Mais il faut le dire : l’Université ne peut pas devenir un espace clos où seuls certains discours sont autorisés.
     
    Face à cette censure, la chercheuse a décidé de maintenir sa conférence, ailleurs s’il le faut. Le débat aura lieu le 5 mars, avec le plus grand nombre possible de participants. Car la lutte contre l’islamisme et ses complicités idéologiques n’est pas une affaire de partis : c’est une question existentielle pour notre démocratie.
    L’Université doit rester un lieu de savoir et d’échange, pas un bastion du sectarisme.