Read More Bien sûr qu’il aime la nature ! La preuve ? Il porte une cravate avec un dessin de tête de cerf. « Il ne faut pas croire : j’aime le grand air, je marche, je pêche, je chasse. Moi aussi je veux sauver la planète. Mais je dois défendre notre industrie contre ceux qui veulent notre mort. » Un drôle de bonhomme, le sénateur Randy E. Smith.Soixante jours par an, ce républicain de 63 ans prend ses quartiers au capitole de l’Etat de Virginie-Occidentale, à Charleston, où il préside la commission de l’énergie, de l’industrie et des mines. De là, il vote le pilonnage des entreprises qui investissent dans les énergies vertes – « cette nouvelle lubie woke », s’agace-t-il, reprenant le terme utilisé désormais par les conservateurs pour désigner les valeurs progressistes. Le reste de l’année, il travaille au fond d’une mine de charbon. Son bureau de sénateur ressemble à un musée. Des casques de mineur sur les étagères, des photos de gueules noires sur tous les murs. « Ici, c’est moi, là, c’est toute mon équipe », indique-t-il fièrement.La suite après la publicité Ce jour-là, quand nous pénétrons dans son antre, nous l’interrompons en pleine conversation avec deux représentants de la West Virginia Coal Association, la principale organisation de défense des intérêts du charbon. Au capitole de Virginie-Occidentale, l’un des cinq plus gros producteurs d’énergie fossile des Etats-Unis, le lobby de la houille est manifestement à demeure. Il a même réussi à faire installer une immense statue de mineur à l’entrée du bâtiment. C’est lui aussi qui a poussé l’Etat à partir en croisade contre les grandes entreprises accusées d’être alignées sur l’agenda démocrate en adoptant des discours pro-climat, inclusifs ou anti-armes.L’an dernier, ses efforts ont été couronnés de succès : le responsable du Trésor local, Riley Moore, a annulé ses contrats bancaires avec cinq des plus grandes institutions financières de Wall Street – BlackRock, JP Morgan, Wells Fargo, Morgan-Stanley et Goldman Sachs – pour les punir d’avoir, selon lui, « boycotté les combustibles fossiles ».Un nouveau front dans la guerre culturelleEn s’attaquant au monde des affaires, la Virginie-Occidentale a rejoint un nouveau front dans la guerre culturelle qui sévit aux Etats-Unis. Les Etats républicains s’en prennent maintenant au « capitalisme woke ». Ils accusent leurs anciens alliés du « Big Business » d’avoir viré à gauche. « Des banques de Wall Street aux principaux gestionnaires d’actifs en passant par les grandes firmes technologiques, nous voyons l’élite utiliser son pouvoir économique pour imposer aux politiques des mesures qu’elle n’a pas pu obtenir par les urnes », tempête le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis.Floride, le laboratoire ultraconservateur de l’AmériqueCe dernier a privé Disney du statut spécial d’autonomie et d’exemption de réglementations dont il bénéficiait dans le « Sunshine State », pour punir ses dirigeants d’avoir critiqué une loi interdisant aux enseignants de parler de genre et d’orientation sexuelle à l’école. Puis ça a été au tour du groupe agroalimentaire Mars d’être accusé de verser dans le wokisme pour avoir relooké de manière moins stéréotypée ses « spokescandies », les mascottes publicitaires de ses M & M’s, notamment en chaussant les bonbons féminins de baskets. Lego s’est ensuite pris une volée de bois vert après l’annonce de la fabrication de personnages noirs et handicapés…La suite après la publicitéAux yeux des républicains, tout est désormais « woke ». Même ChatGPT est soupçonné de biais politique depuis qu’il a écrit un poème d’éloge de Joe Biden, mais refusé de le faire pour Donald Trump. Avec Wall Street qui entre dans la danse, des milliards de dollars sont en jeu.Le républicain Ron DeSantis après l’annonce de sa réélection comme gouverneur de Floride, à Tampa, le 8 novembre 2022. (DAVE DECKER/SHUTTERSTOCK/SIPA )Les conservateurs reprochent au monde de la finance de privilégier les investissements durables et socialement responsables dits « ESG » (environnementaux, sociétaux et de gouvernance). Ils estiment que les gestionnaires d’actifs favorisent ainsi les priorités démocrates – impact climatique, diversité sociale, justice raciale, etc. –, aux dépens du conservatisme social, de la méritocratie et des énergies fossiles, sachant que ces dernières financent grassement les élus républicains depuis des décennies.Ces fameux critères ESG sont devenus les épouvantails du « capitalisme woke ». Les républicains les traquent partout. Ils attribuent même la récente faillite de la banque chérie de la tech, la Silicon Valley Bank, à sa politique en matière de diversité, d’équité et d’inclusion. C’est devenu une véritable obsession. Partout, on dresse des listes noires de grandes sociétés de Wall Street. Dix-huit Etats ont formé une alliance anti-ESG – soutenue par des organisations ultra-conservatrices à capitaux occultes comme le Marble Freedom Trust de l’avocat Leonard Leo.« La faillite de la Silicon Valley Bank risque d’avoir un effet boule de neige sur l’ensemble de l’activité économique »Parmi eux, bien sûr, la Virginie-Occidentale. Le Texas, avec ses lois interdisant aux banques qui boycottent les entreprises pétrolières et gazières ou qui discriminent les armes à feu d’obtenir des contrats avec les municipalités et le gouvernement local. La Floride, qui a retiré au géant new-yorkais BlackRock la gestion de 2 milliards de dollars d’actifs et projette d’empêcher les sociétés gérant les fonds de pension de l’Etat de prendre en compte les facteurs ESG. Le Missouri, l’Arizona, l’Utah, l’Arkansas ou encore la Louisiane, qui planchent sur le même type de législation ou ont déjà pris des mesures similaires.La suite après la publicitéL’ESG, « une embuscade des entreprises contre la démocratie »Le Grand Old Party n’a plus que cet anathème à la bouche. L’ESG est « pernicieux », c’est « une embuscade des entreprises contre la démocratie », « une escroquerie ». En février, les élus conservateurs ont porté le fer avec succès jusqu’au Congrès. Les deux chambres ont voté l’abrogation d’une directive du ministère du Travail permettant aux fonds de pension de prendre en compte les critères ESG pour choisir les entreprises dans lesquelles ils investissent.Pour la première fois de son mandat, Joe Biden a dû annoncer qu’il utiliserait son droit de veto. Au même moment, vingt-cinq procureurs généraux d’Etats républicains intentaient une action en justice contre le ministère pour bloquer la directive. Et des élus de la chambre lançaient des investigations antitrust contre « le cartel des entreprises obsédées par le climat ».Le bras de fer ne fait que commencer. Le chef de file des républicains au Sénat, Mitch McConnell, a prévenu : « Nous continuerons à nous battre jusqu’à ce que nous mettions un terme à l’ESG ! » Les conservateurs sont en train d’aligner sur la ligne de départ des candidats à l’élection présidentielle de 2024 qui en ont fait leur cheval de bataille. Comme l’étoile montante Ron DeSantis, pressenti pour annoncer sous peu sa candidature, ou l’outsider Vivek Ramaswamy, qui a créé une société d’investissement anti-woke. Et, au niveau local, la guerre s’intensifie aussi. Le trumpiste Riley Moore, responsable du Trésor de Virginie-Occidentale, a annulé ses contrats avec de grandes banques parce qu’elles ont boycotté les combustibles fossiles. (KRISTIAN THACKER/NYT-REDUX-REA)Le responsable du Trésor de Virginie-Occidentale nous reçoit dans son vaste bureau installé au cœur du capitole local, sous l’immense portrait d’un ancien gouverneur qui n’est autre que son grand-père. Riley Moore sait ce qu’il fait. Il a la politique dans le sang. Ce jeune loup trumpiste, candidat à la chambre des représentants pour 2024, voit bien que sa réputation de pourfendeur du « capitalisme woke » séduit les électeurs et attire jusque dans son bureau les médias étrangers. Il se targue d’être le premier à avoir prêté une oreille attentive au lobby charbonnier. Et entend bien surfer sur cette image.La suite après la publicitéIl entérine son divorce avec les poids lourds de Wall Street en présentant maintenant un texte visant à mieux protéger les fonds de pension « contre toutes ces considérations sociales et environnementales à la mode qui ne devraient pas entrer en ligne de compte lorsqu’on cherche le meilleur investissement pour nos retraites », explique-t-il. Avec lui, les institutions financières n’ont d’autres choix que de quitter l’Etat ou de capituler. « Toutes sont parties, sauf U.S. Bancorp qui a renoncé à appliquer sa politique en matière de risques environnementaux et sociaux pour sauver ses énormes contrats avec la Virginie-Occidentale », précise-t-il.Riley Moore savoure cette victoire. Sur la table, le téléphone du jeune trumpiste n’arrête pas de biper : un autre projet de loi qui lui est cher, cette fois sur les armes, est en cours de lecture quelques mètres de couloir plus loin, à la chambre des représentants locale. Il s’agit d’interdire aux géants des cartes de paiement d’appliquer un code spécifique aux transactions réalisées dans les armureries, et ainsi tracées. « C’est le même problème à mes yeux : ce n’est pas au secteur financier de faire de la politique », assène-t-il en tapant du poing sur la table.« Vers une économie polarisée »Attaquées, intimidées, chassées… Les entreprises sont poussées malgré elles sur le champ de bataille de cette guerre culturelle. Comment vont-elles se positionner ? On a voulu leur poser la question. Le malaise est palpable. « Nous refusons de commenter », a déclaré Morgan Stanley, tandis que Wells Fargo se bornait à renvoyer sur son site et que les autres ne prenaient même pas la peine de nous répondre. Seul un porte-parole de BlackRock nous a accordé un entretien « off » pour nous assurer qu’ils ne céderont pas aux pressions :« Nous observons avec inquiétude la vague actuelle d’initiatives politiques qui sacrifient l’accès à des investissements de haute qualité et compromettent ainsi les rendements. En fin de compte, tout cela nuira aux investisseurs. Et si les actions de certains trésoriers d’Etat ont fait la une des médias, cela ne change en rien notre détermination à offrir à nos clients toutes les options d’investissement. »Livres interdits, sujets tabous… L’Amérique de Trump à l’assaut des écolesDepuis quelques années, Larry Fink, le PDG de BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde, s’est fait l’apôtre de l’ESG dans sa lettre annuelle : convaincu qu’« un changement tectonique du capital » est à l’œuvre en raison du risque climatique, il considère les investissements durables comme plus rémunérateurs que les énergies fossiles. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à faire des affaires – plus modérément – dans les hydrocarbures. Cela lui attire d’ailleurs les critiques de l’autre bord politique qui l’accuse de greenwashing. Mais rien n’y fait.La suite après la publicitéPour avoir soutenu l’ESG, Larry Fink est devenu la bête noire des conservateurs. « Pour la première fois de ma carrière, je suis la cible d’attaques personnelles », a-t-il déclaré à Davos en janvier. Ces assauts répétés auront-ils raison de son engagement pour l’ESG ? Cette année, sa lettre effleure à peine le sujet.Larry Fink, le PDG de BlackRock, à New York, le 19 septembre 2022. (SPENCER PLATT/GETTY IMAGES VIA AFP)Les ténors de Wall Street cherchent désormais à faire profil bas. Mais est-ce tenable ? Ils sont mêlés à la politique depuis des décennies. Déjà parce qu’ils la financent. Un bon nombre essaie de se ménager les faveurs des deux camps en semant leurs dollars à gauche et à droite… Peine perdue : BlackRock et consorts ont versé en 2022 des dons de campagne à des élus républicains qui sont aujourd’hui leurs contempteurs les plus virulents.Ensuite parce qu’ils sont poussés à se positionner sur les grands sujets de société par leurs salariés et leurs clients. La polarisation croissante de la politique les attire malgré eux dans l’arène. La chaîne de pharmacies Walgreens s’est ainsi trouvée prise entre les feux croisés des troupes ennemies : pour avoir cédé aux pressions républicaines en renonçant à distribuer une pilule abortive dans une vingtaine d’Etats, elle s’est attiré les foudres de la Californie démocrate, qui a suspendu ses contrats avec elle. Witold Henisz, spécialiste des questions d’investissement durable à l’université de Pennsylvanie, s’inquiète :« On risque de finir par se retrouver avec des entreprises bleues dans les Etats bleus [démocrates] et rouges dans les Etats rouges [républicains]. »Aux Etats-Unis, la tentation de la sécessionOn soumet cette dystopie à Riley Moore, qui éclate de rire : « Je ne plaide pas pour ça. Mais c’est vrai que l’on tend vers une économie polarisée. » Lui-même est en train de signer avec des institutions financières plus complaisantes – dont il tait les noms. On voit apparaître des banques anti-woke et une chambre de commerce alternative, American Free Enterprise Chamber of Commerce.On assiste aussi à un début de revers pour les détracteurs du « capitalisme woke ». Dans les bastions conservateurs du Dakota du Nord, de l’Indiana ou du Kentucky, des élus ont rejeté ou édulcoré les projets visant à bannir les entreprises respectant les critères ESG. Non par idéologie mais par calcul financier : les pertes potentielles se chiffraient en milliards de dollars. Dans ce match politique, c’est peut-être l’économie qui finira par gagner.
Bien sûr qu’il aime la nature ! La preuve ? Il porte une cravate avec un dessin de tête de cerf. « Il ne faut pas croire : j’aime le grand air, je marche, je pêche, je chasse. Moi aussi je veux sauver la planète. Mais je dois défendre notre industrie contre ceux qui veulent notre mort. » Un drôle de bonhomme, le sénateur Randy E. Smith.
Soixante jours par an, ce républicain de 63 ans prend ses quartiers au capitole de l’Etat de Virginie-Occidentale, à Charleston, où il préside la commission de l’énergie, de l’industrie et des mines. De là, il vote le pilonnage des entreprises qui investissent dans les énergies vertes – « cette nouvelle lubie woke », s’agace-t-il, reprenant le terme utilisé désormais par les conservateurs pour désigner les valeurs progressistes. Le reste de l’année, il travaille au fond d’une mine de charbon. Son bureau de sénateur ressemble à un musée. Des casques de mineur sur les étagères, des photos de gueules noires sur tous les murs. « Ici, c’est moi, là, c’est toute mon équipe », indique-t-il fièrement.
La suite après la publicité
Ce jour-là, quand nous pénétrons dans son antre, nous l’interrompons en pleine conversation avec deux représentants de la West Virginia Coal Association, la principale organisation de défense des intérêts du charbon. Au capitole de Virginie-Occidentale, l’un des cinq plus gros producteurs d’énergie fossile des Etats-Unis, le lobby de la houille est manifestement à demeure. Il a même réussi à faire installer une immense statue de mineur à l’entrée du bâtiment. C’est lui aussi qui a poussé l’Etat à partir en croisade contre les grandes entreprises accusées d’être alignées sur l’agenda démocrate en adoptant des discours pro-climat, inclusifs ou anti-armes.
L’an dernier, ses efforts ont été couronnés de succès : le responsable du Trésor local, Riley Moore, a annulé ses contrats bancaires avec cinq des plus grandes institutions financières de Wall Street – BlackRock, JP Morgan, Wells Fargo, Morgan-Stanley et Goldman Sachs – pour les punir d’avoir, selon lui, « boycotté les combustibles fossiles ».
Un nouveau front dans la guerre culturelle
En s’attaquant au monde des affaires, la Virginie-Occidentale a rejoint un nouveau front dans la guerre culturelle qui sévit aux Etats-Unis. Les Etats républicains s’en prennent maintenant au « capitalisme woke ». Ils accusent leurs anciens alliés du « Big Business » d’avoir viré à gauche. « Des banques de Wall Street aux principaux gestionnaires d’actifs en passant par les grandes firmes technologiques, nous voyons l’élite utiliser son pouvoir économique pour imposer aux politiques des mesures qu’elle n’a pas pu obtenir par les urnes », tempête le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis.
Floride, le laboratoire ultraconservateur de l’Amérique
Ce dernier a privé Disney du statut spécial d’autonomie et d’exemption de réglementations dont il bénéficiait dans le « Sunshine State », pour punir ses dirigeants d’avoir critiqué une loi interdisant aux enseignants de parler de genre et d’orientation sexuelle à l’école. Puis ça a été au tour du groupe agroalimentaire Mars d’être accusé de verser dans le wokisme pour avoir relooké de manière moins stéréotypée ses « spokescandies », les mascottes publicitaires de ses M & M’s, notamment en chaussant les bonbons féminins de baskets. Lego s’est ensuite pris une volée de bois vert après l’annonce de la fabrication de personnages noirs et handicapés…
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Aux yeux des républicains, tout est désormais « woke ». Même ChatGPT est soupçonné de biais politique depuis qu’il a écrit un poème d’éloge de Joe Biden, mais refusé de le faire pour Donald Trump. Avec Wall Street qui entre dans la danse, des milliards de dollars sont en jeu.
Le républicain Ron DeSantis après l’annonce de sa réélection comme gouverneur de Floride, à Tampa, le 8 novembre 2022. (DAVE DECKER/SHUTTERSTOCK/SIPA )
Les conservateurs reprochent au monde de la finance de privilégier les investissements durables et socialement responsables dits « ESG » (environnementaux, sociétaux et de gouvernance). Ils estiment que les gestionnaires d’actifs favorisent ainsi les priorités démocrates – impact climatique, diversité sociale, justice raciale, etc. –, aux dépens du conservatisme social, de la méritocratie et des énergies fossiles, sachant que ces dernières financent grassement les élus républicains depuis des décennies.
Ces fameux critères ESG sont devenus les épouvantails du « capitalisme woke ». Les républicains les traquent partout. Ils attribuent même la récente faillite de la banque chérie de la tech, la Silicon Valley Bank, à sa politique en matière de diversité, d’équité et d’inclusion. C’est devenu une véritable obsession. Partout, on dresse des listes noires de grandes sociétés de Wall Street. Dix-huit Etats ont formé une alliance anti-ESG – soutenue par des organisations ultra-conservatrices à capitaux occultes comme le Marble Freedom Trust de l’avocat Leonard Leo.
Parmi eux, bien sûr, la Virginie-Occidentale. Le Texas, avec ses lois interdisant aux banques qui boycottent les entreprises pétrolières et gazières ou qui discriminent les armes à feu d’obtenir des contrats avec les municipalités et le gouvernement local. La Floride, qui a retiré au géant new-yorkais BlackRock la gestion de 2 milliards de dollars d’actifs et projette d’empêcher les sociétés gérant les fonds de pension de l’Etat de prendre en compte les facteurs ESG. Le Missouri, l’Arizona, l’Utah, l’Arkansas ou encore la Louisiane, qui planchent sur le même type de législation ou ont déjà pris des mesures similaires.
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L’ESG, « une embuscade des entreprises contre la démocratie »
Le Grand Old Party n’a plus que cet anathème à la bouche. L’ESG est « pernicieux », c’est « une embuscade des entreprises contre la démocratie », « une escroquerie ». En février, les élus conservateurs ont porté le fer avec succès jusqu’au Congrès. Les deux chambres ont voté l’abrogation d’une directive du ministère du Travail permettant aux fonds de pension de prendre en compte les critères ESG pour choisir les entreprises dans lesquelles ils investissent.
Pour la première fois de son mandat, Joe Biden a dû annoncer qu’il utiliserait son droit de veto. Au même moment, vingt-cinq procureurs généraux d’Etats républicains intentaient une action en justice contre le ministère pour bloquer la directive. Et des élus de la chambre lançaient des investigations antitrust contre « le cartel des entreprises obsédées par le climat ».
Le bras de fer ne fait que commencer. Le chef de file des républicains au Sénat, Mitch McConnell, a prévenu : « Nous continuerons à nous battre jusqu’à ce que nous mettions un terme à l’ESG ! » Les conservateurs sont en train d’aligner sur la ligne de départ des candidats à l’élection présidentielle de 2024 qui en ont fait leur cheval de bataille. Comme l’étoile montante Ron DeSantis, pressenti pour annoncer sous peu sa candidature, ou l’outsider Vivek Ramaswamy, qui a créé une société d’investissement anti-woke. Et, au niveau local, la guerre s’intensifie aussi.
Le trumpiste Riley Moore, responsable du Trésor de Virginie-Occidentale, a annulé ses contrats avec de grandes banques parce qu’elles ont boycotté les combustibles fossiles. (KRISTIAN THACKER/NYT-REDUX-REA)
Le responsable du Trésor de Virginie-Occidentale nous reçoit dans son vaste bureau installé au cœur du capitole local, sous l’immense portrait d’un ancien gouverneur qui n’est autre que son grand-père. Riley Moore sait ce qu’il fait. Il a la politique dans le sang. Ce jeune loup trumpiste, candidat à la chambre des représentants pour 2024, voit bien que sa réputation de pourfendeur du « capitalisme woke » séduit les électeurs et attire jusque dans son bureau les médias étrangers. Il se targue d’être le premier à avoir prêté une oreille attentive au lobby charbonnier. Et entend bien surfer sur cette image.
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Il entérine son divorce avec les poids lourds de Wall Street en présentant maintenant un texte visant à mieux protéger les fonds de pension « contre toutes ces considérations sociales et environnementales à la mode qui ne devraient pas entrer en ligne de compte lorsqu’on cherche le meilleur investissement pour nos retraites », explique-t-il. Avec lui, les institutions financières n’ont d’autres choix que de quitter l’Etat ou de capituler. « Toutes sont parties, sauf U.S. Bancorp qui a renoncé à appliquer sa politique en matière de risques environnementaux et sociaux pour sauver ses énormes contrats avec la Virginie-Occidentale », précise-t-il.
Riley Moore savoure cette victoire. Sur la table, le téléphone du jeune trumpiste n’arrête pas de biper : un autre projet de loi qui lui est cher, cette fois sur les armes, est en cours de lecture quelques mètres de couloir plus loin, à la chambre des représentants locale. Il s’agit d’interdire aux géants des cartes de paiement d’appliquer un code spécifique aux transactions réalisées dans les armureries, et ainsi tracées. « C’est le même problème à mes yeux : ce n’est pas au secteur financier de faire de la politique », assène-t-il en tapant du poing sur la table.
« Vers une économie polarisée »
Attaquées, intimidées, chassées… Les entreprises sont poussées malgré elles sur le champ de bataille de cette guerre culturelle. Comment vont-elles se positionner ? On a voulu leur poser la question. Le malaise est palpable. « Nous refusons de commenter », a déclaré Morgan Stanley, tandis que Wells Fargo se bornait à renvoyer sur son site et que les autres ne prenaient même pas la peine de nous répondre. Seul un porte-parole de BlackRock nous a accordé un entretien « off » pour nous assurer qu’ils ne céderont pas aux pressions :
« Nous observons avec inquiétude la vague actuelle d’initiatives politiques qui sacrifient l’accès à des investissements de haute qualité et compromettent ainsi les rendements. En fin de compte, tout cela nuira aux investisseurs. Et si les actions de certains trésoriers d’Etat ont fait la une des médias, cela ne change en rien notre détermination à offrir à nos clients toutes les options d’investissement. »Livres interdits, sujets tabous… L’Amérique de Trump à l’assaut des écoles
Depuis quelques années, Larry Fink, le PDG de BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde, s’est fait l’apôtre de l’ESG dans sa lettre annuelle : convaincu qu’« un changement tectonique du capital » est à l’œuvre en raison du risque climatique, il considère les investissements durables comme plus rémunérateurs que les énergies fossiles. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à faire des affaires – plus modérément – dans les hydrocarbures. Cela lui attire d’ailleurs les critiques de l’autre bord politique qui l’accuse de greenwashing. Mais rien n’y fait.
La suite après la publicité
Pour avoir soutenu l’ESG, Larry Fink est devenu la bête noire des conservateurs. « Pour la première fois de ma carrière, je suis la cible d’attaques personnelles », a-t-il déclaré à Davos en janvier. Ces assauts répétés auront-ils raison de son engagement pour l’ESG ? Cette année, sa lettre effleure à peine le sujet.
Larry Fink, le PDG de BlackRock, à New York, le 19 septembre 2022. (SPENCER PLATT/GETTY IMAGES VIA AFP)
Les ténors de Wall Street cherchent désormais à faire profil bas. Mais est-ce tenable ? Ils sont mêlés à la politique depuis des décennies. Déjà parce qu’ils la financent. Un bon nombre essaie de se ménager les faveurs des deux camps en semant leurs dollars à gauche et à droite… Peine perdue : BlackRock et consorts ont versé en 2022 des dons de campagne à des élus républicains qui sont aujourd’hui leurs contempteurs les plus virulents.
Ensuite parce qu’ils sont poussés à se positionner sur les grands sujets de société par leurs salariés et leurs clients. La polarisation croissante de la politique les attire malgré eux dans l’arène. La chaîne de pharmacies Walgreens s’est ainsi trouvée prise entre les feux croisés des troupes ennemies : pour avoir cédé aux pressions républicaines en renonçant à distribuer une pilule abortive dans une vingtaine d’Etats, elle s’est attiré les foudres de la Californie démocrate, qui a suspendu ses contrats avec elle. Witold Henisz, spécialiste des questions d’investissement durable à l’université de Pennsylvanie, s’inquiète :
« On risque de finir par se retrouver avec des entreprises bleues dans les Etats bleus [démocrates] et rouges dans les Etats rouges [républicains]. »Aux Etats-Unis, la tentation de la sécession
On soumet cette dystopie à Riley Moore, qui éclate de rire : « Je ne plaide pas pour ça. Mais c’est vrai que l’on tend vers une économie polarisée. » Lui-même est en train de signer avec des institutions financières plus complaisantes – dont il tait les noms. On voit apparaître des banques anti-woke et une chambre de commerce alternative, American Free Enterprise Chamber of Commerce.
On assiste aussi à un début de revers pour les détracteurs du « capitalisme woke ». Dans les bastions conservateurs du Dakota du Nord, de l’Indiana ou du Kentucky, des élus ont rejeté ou édulcoré les projets visant à bannir les entreprises respectant les critères ESG. Non par idéologie mais par calcul financier : les pertes potentielles se chiffraient en milliards de dollars. Dans ce match politique, c’est peut-être l’économie qui finira par gagner.
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