Read More Pour nous, c’est de la censure, dénonce Lilyane Rachédi, professeure titulaire de l’École de travail social de l’UQAM, qui a travaillé plus d’un an sur cette formation, soudainement rejetée en décembre 2022.
Elle rappelle que le gouvernement avait lui-même commandé le projet et que le travail était terminé. La formation n’a jamais été présentée aux employés du réseau de la santé et des services sociaux.
Le contenu consistait en quatre modules vidéo interactifs d’une dizaine de minutes chacun. C’est l’un des modules traitant du racisme systémique qui a posé problème. Les auteures du projet affirment que le ministère leur a demandé de retirer ce passage, ce qu’elles ont refusé, par rigueur scientifique et éthique.
« Ce qui est inquiétant, c’est qu’un gouvernement demande à des chercheurs de faire cette opération-là de retrait des réalités justifiées par la recherche scientifique fondée. »— Lilyane Rachédi, professeure titulaire de l’École de travail social de l’UQAM
La professeure Lilyane RachédiPhoto : Radio-CanadaIntervention politiqueUn document obtenu par Radio-Canada révèle qu’après une intervention du ministère du Conseil exécutif (MCE), le ministère de François Legault, le cabinet du ministre de la Santé, Christian Dubé, a exprimé sa réticence, puisque la formation entrait en contradiction avec le discours politique du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ).
Depuis plusieurs années, le premier ministre François Legault rejette l’idée qu’il existe du racisme systémique au Québec.
Selon un autre document, corroboré par des témoignages, le ministère a demandé de supprimer l’évocation du racisme systémique dans la vidéo.
Pour protéger les sources, nous ne pouvons spécifier la nature de ces documents ni reproduire leur contenu exact.
Le passage qui a dérangéDébut du widget YouTube. Passer le widget?Fin du widget YouTube. Retour au début du widget?Le gouvernement nie toute ingérenceLe MCE affirme ne pas s’être opposé au contenu de la formation et renvoie la responsabilité au ministère de la Santé et des Services sociaux qui doit déterminer les formations qu’il priorise et diffuse à l’attention du personnel du réseau.
Non, le cabinet du ministre Dubé ou la sous-ministre ne sont pas intervenus pour que le projet de formation soit abandonné, répond la porte-parole du MSSS, Marie-Claude Lacasse.
De son côté, le cabinet du ministre admet que des questions légitimes ont été posées concernant certains éléments de la formation, mais pas jusqu’à demander son retrait.
« Soyons clairs : le cabinet du ministre n’a jamais demandé d’interrompre une quelconque formation à la lutte contre le racisme dans le réseau de la santé. »— Antoine de la Durantaye, attaché de presse du ministre Christian Dubé
Septembre 2020 : décès de Joyce Echaquan, sous des injures racistes, à l’hôpital de Joliette.Décembre 2020 : le Groupe d’action contre le racisme, constitué par le gouvernement, recommande de la formation pour sensibiliser les employés de l’État.Janvier 2021 : le ministère de la Santé et des Services sociaux lance deux projets de formations pour ses employés, l’une sur les réalités autochtones, l’autre sur le racisme et les discriminations.Début 2021 : le MSSS mandate l’Institut universitaire SHERPA, rattaché au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, pour réaliser la formation sur le racisme.De 2021 à 2022 : les deux chercheuses produisent la formation interactive, avec l’appui d’experts pédagogiques et technologiques du CIUSSS de l’Estrie-CHU de Sherbrooke.Octobre 2022 : la version finale du projet est approuvée par un comité de validation.Décembre 2022 : la formation est annulée par le ministère.Un extrait de la formation sur le racisme qui a été commandée puis rejetée par le gouvernement.Photo : Radio-Canada« Maintenir un message gouvernemental fort et cohérent »Le couperet tombe le 8 décembre 2022, dans une lettre du sous-ministre adjoint Daniel Desharnais, adressée au PDG du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Lawrence Rosenberg. Il lui demande de mettre fin aux travaux.
Dans le document que nous avons obtenu, le haut fonctionnaire explique que le MCE a développé sa propre formation destinée à tous les employés de l’État.
Force est de constater que le projet de formation spécifique au réseau de la santé et des services sociaux et celle portée par le MCE présentent des disparités à plusieurs niveaux, écrit-il.
« Conséquemment, et dans l’objectif de maintenir un message gouvernemental fort et cohérent sur la lutte contre le racisme, le MSSS privilégie la diffusion d’une formation unique, soit celle en développement par le MCE. »— Daniel Desharnais, sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux, dans une lettre du 8 décembre 2022
Dans une seconde réponse à nos questions, envoyée mardi, le MSSS reconnaît que certaines préoccupations ont été soulevées quant au contenu de la formation qui ne répondait pas au mandat et ce, sur plusieurs points, sans préciser lesquels.
Un cas fictif de la formation concernant une dénonciation auprès de la DPJ.Photo : Radio-CanadaLe comité de validation avait apprécié le contenuEn octobre 2022, la version finale du projet a été approuvée par un comité de validation composé de professionnels, de gestionnaires, d’universitaires et d’intervenants du monde associatif. Des membres nous ont confirmé que le comité n’avait rien trouvé à redire à l’évocation du racisme systémique.
Dans ce comité figuraient notamment une conseillère du MSSS spécialiste des communautés ethnoculturelles et une conseillère stratégique du Bureau de coordination de la lutte contre le racisme du MCE.
Le problème est survenu quand la vidéo a été soumise aux hauts fonctionnaires.
C’est une ingérence politique dans une démarche de recherche, affirme Michèle Vatz-Laaroussi, professeure émérite retraitée de l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, l’autre chercheuse qui a travaillé sur le projet.
La chercheuse Michèle Vatz-LaaroussiPhoto : Université de Sherbrooke/Michel CaronUn courriel du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal du 10 octobre 2022, adressé aux chercheuses, confirme que des modifications à la formation contre le racisme ont été demandées par le MSSS.
Le 16 janvier 2023, après l’annonce du rejet du projet, un cadre du CIUSSS écrit aux chercheuses : C’est vraiment dommage et nous sommes vraiment navrés de la situation.
L’Institut universitaire SHERPA, rattaché au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, n’a pas répondu à nos demandes d’informations.
Le projet jeté aux oubliettes a coûté au moins 34 000 $.
Une intervention illégale?Selon les chercheuses, le ministère a dérogé à la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire en demandant de supprimer une partie du contenu.
La Loi, adoptée en juin 2022, dit que toute personne a le droit d’exercer librement et sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale, telle la censure institutionnelle, une activité par laquelle elle contribue à l’accomplissement de la mission d’un établissement d’enseignement.
« S’il ne s’agit pas d’une censure institutionnelle, d’une ingérence politique dans une production académique et d’une contrainte idéologique, voire doctrinale, de quoi s’agit-il? »— Michèle Vatz-Laaroussi, professeure émérite retraitée de l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke
Le ministère affirme avoir respecté la loi. Il est de la prérogative du MSSS de déterminer les formations qu’il priorise et diffuse à l’attention du personnel du réseau, nous a répondu la porte-parole Marie-Claude Lacasse.
Un extrait de la formation sur le racisme qui a été commandée puis rejetée par le gouvernement.Photo : Radio-CanadaLe contrat prévoyait que le racisme systémique serait abordéNous avons obtenu l’entente contractuelle entre Michèle Vatz-Laaroussi et le CIUSSS, datée de mai 2021. En annexe, il est écrit que le concept de racisme systémique fera partie du contenu de la formation. Les chercheuses affirment que c’était une des conditions qu’elles avaient imposées dès le début du projet, et elle avait été approuvée.
En 2021, la coroner Géhane Kamel a reconnu que le racisme systémique avait joué un rôle dans la mort de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette et elle appelait le gouvernement du Québec à reconnaître son existence.
Des centaines de chercheurs ont fait la même demande à François Legault, ainsi que des groupes autochtones.
Selon le premier ministre, le racisme [qui] part d’en haut, des dirigeants, et englobe tout un système n’existe plus au Québec.
Le cabinet du ministre de la Santé assure poursuivre ses actions, que ce soit sur la formation obligatoire sur les réalités autochtones pour les employés du réseau de la santé ou encore pour l’embauche des agents de liaison avec les communautés autochtones.
Pour nous, c’est de la censure, dénonce Lilyane Rachédi, professeure titulaire de l’École de travail social de l’UQAM, qui a travaillé plus d’un an sur cette formation, soudainement rejetée en décembre 2022.
Elle rappelle que le gouvernement avait lui-même commandé le projet et que le travail était terminé. La formation n’a jamais été présentée aux employés du réseau de la santé et des services sociaux.
Le contenu consistait en quatre modules vidéo interactifs d’une dizaine de minutes chacun. C’est l’un des modules traitant du racisme systémique qui a posé problème. Les auteures du projet affirment que le ministère leur a demandé de retirer ce passage, ce qu’elles ont refusé, par rigueur scientifique et éthique.
« Ce qui est inquiétant, c’est qu’un gouvernement demande à des chercheurs de faire cette opération-là de retrait des réalités justifiées par la recherche scientifique fondée. »
— Lilyane Rachédi, professeure titulaire de l’École de travail social de l’UQAM
La professeure Lilyane Rachédi
Photo : Radio-Canada
Intervention politique
Un document obtenu par Radio-Canada révèle qu’après une intervention du ministère du Conseil exécutif (MCE), le ministère de François Legault, le cabinet du ministre de la Santé, Christian Dubé, a exprimé sa réticence, puisque la formation entrait en contradiction avec le discours politique du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ).
Depuis plusieurs années, le premier ministre François Legault rejette l’idée qu’il existe du racisme systémique au Québec.
Selon un autre document, corroboré par des témoignages, le ministère a demandé de supprimer l’évocation du racisme systémique dans la vidéo.
Pour protéger les sources, nous ne pouvons spécifier la nature de ces documents ni reproduire leur contenu exact.
Le passage qui a dérangé
Le gouvernement nie toute ingérence
Le MCE affirme ne pas s’être opposé au contenu de la formation et renvoie la responsabilité au ministère de la Santé et des Services sociaux qui doit déterminer les formations qu’il priorise et diffuse à l’attention du personnel du réseau.
Non, le cabinet du ministre Dubé ou la sous-ministre ne sont pas intervenus pour que le projet de formation soit abandonné, répond la porte-parole du MSSS, Marie-Claude Lacasse.
De son côté, le cabinet du ministre admet que des questions légitimes ont été posées concernant certains éléments de la formation, mais pas jusqu’à demander son retrait.
« Soyons clairs : le cabinet du ministre n’a jamais demandé d’interrompre une quelconque formation à la lutte contre le racisme dans le réseau de la santé. »
— Antoine de la Durantaye, attaché de presse du ministre Christian Dubé
Un extrait de la formation sur le racisme qui a été commandée puis rejetée par le gouvernement.
Photo : Radio-Canada
« Maintenir un message gouvernemental fort et cohérent »
Le couperet tombe le 8 décembre 2022, dans une lettre du sous-ministre adjoint Daniel Desharnais, adressée au PDG du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Lawrence Rosenberg. Il lui demande de mettre fin aux travaux.
Dans le document que nous avons obtenu, le haut fonctionnaire explique que le MCE a développé sa propre formation destinée à tous les employés de l’État.
Force est de constater que le projet de formation spécifique au réseau de la santé et des services sociaux et celle portée par le MCE présentent des disparités à plusieurs niveaux, écrit-il.
« Conséquemment, et dans l’objectif de maintenir un message gouvernemental fort et cohérent sur la lutte contre le racisme, le MSSS privilégie la diffusion d’une formation unique, soit celle en développement par le MCE. »
— Daniel Desharnais, sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux, dans une lettre du 8 décembre 2022
Dans une seconde réponse à nos questions, envoyée mardi, le MSSS reconnaît que certaines préoccupations ont été soulevées quant au contenu de la formation qui ne répondait pas au mandat et ce, sur plusieurs points, sans préciser lesquels.
Un cas fictif de la formation concernant une dénonciation auprès de la DPJ.
Photo : Radio-Canada
Le comité de validation avait apprécié le contenu
En octobre 2022, la version finale du projet a été approuvée par un comité de validation composé de professionnels, de gestionnaires, d’universitaires et d’intervenants du monde associatif. Des membres nous ont confirmé que le comité n’avait rien trouvé à redire à l’évocation du racisme systémique.
Dans ce comité figuraient notamment une conseillère du MSSS spécialiste des communautés ethnoculturelles et une conseillère stratégique du Bureau de coordination de la lutte contre le racisme du MCE.
Le problème est survenu quand la vidéo a été soumise aux hauts fonctionnaires.
C’est une ingérence politique dans une démarche de recherche, affirme Michèle Vatz-Laaroussi, professeure émérite retraitée de l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, l’autre chercheuse qui a travaillé sur le projet.
La chercheuse Michèle Vatz-Laaroussi
Photo : Université de Sherbrooke/Michel Caron
Un courriel du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal du 10 octobre 2022, adressé aux chercheuses, confirme que des modifications à la formation contre le racisme ont été demandées par le MSSS.
Le 16 janvier 2023, après l’annonce du rejet du projet, un cadre du CIUSSS écrit aux chercheuses : C’est vraiment dommage et nous sommes vraiment navrés de la situation.
L’Institut universitaire SHERPA, rattaché au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, n’a pas répondu à nos demandes d’informations.
Le projet jeté aux oubliettes a coûté au moins 34 000 $.
Une intervention illégale?
Selon les chercheuses, le ministère a dérogé à la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire en demandant de supprimer une partie du contenu.
La Loi, adoptée en juin 2022, dit que toute personne a le droit d’exercer librement et sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale, telle la censure institutionnelle, une activité par laquelle elle contribue à l’accomplissement de la mission d’un établissement d’enseignement.
« S’il ne s’agit pas d’une censure institutionnelle, d’une ingérence politique dans une production académique et d’une contrainte idéologique, voire doctrinale, de quoi s’agit-il? »
— Michèle Vatz-Laaroussi, professeure émérite retraitée de l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke
Le ministère affirme avoir respecté la loi. Il est de la prérogative du MSSS de déterminer les formations qu’il priorise et diffuse à l’attention du personnel du réseau, nous a répondu la porte-parole Marie-Claude Lacasse.
Un extrait de la formation sur le racisme qui a été commandée puis rejetée par le gouvernement.
Photo : Radio-Canada
Le contrat prévoyait que le racisme systémique serait abordé
Nous avons obtenu l’entente contractuelle entre Michèle Vatz-Laaroussi et le CIUSSS, datée de mai 2021. En annexe, il est écrit que le concept de racisme systémique fera partie du contenu de la formation. Les chercheuses affirment que c’était une des conditions qu’elles avaient imposées dès le début du projet, et elle avait été approuvée.
En 2021, la coroner Géhane Kamel a reconnu que le racisme systémique avait joué un rôle dans la mort de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette et elle appelait le gouvernement du Québec à reconnaître son existence.
Des centaines de chercheurs ont fait la même demande à François Legault, ainsi que des groupes autochtones.
Selon le premier ministre, le racisme [qui] part d’en haut, des dirigeants, et englobe tout un système n’existe plus au Québec.
Le cabinet du ministre de la Santé assure poursuivre ses actions, que ce soit sur la formation obligatoire sur les réalités autochtones pour les employés du réseau de la santé ou encore pour l’embauche des agents de liaison avec les communautés autochtones.
« Ce post est un relevé d’information de notre veille d’information »