Read More Dylan Racana est doctorant en sciences de l’éducation à l’Université de Lyon. Il étudie la construction des inégalités de genre. Il vient de sortir le livre « Inégalités filles-garçons à l’école maternelle. Discours, représentations et interactions en classe des professeur.es des écoles ». Un ouvrage qui aborde cette question, largement étudiée, sous un nouvel angle : quelle est la place de l’enseignant·e – et donc de sa socialisation primaire – dans la construction du genre des élèves ?
L’école, la maternelle comme l’élémentaire, est censée socialiser les élèves, les accompagner indifféremment quel que soit leur genre. Est-ce le cas aujourd’hui?
Les élèves ne sont pas socialisés et accompagnés de la même manière selon leur sexe. De nombreux travaux mettent cela en avant. Ils n’occupent par exemple pas le même espace dans la cours de récréation : les garçons occupant la majorité de l’espace et les filles se contentant de l’espace restant. De plus, le matériel pédagogique n’est pas seulement un support d’apprentissage mais également un vecteur de transmissions de normes et de valeurs. Une nouvelle fois celui-ci n’est pas neutre : les femmes sont souvent moins représentées que les hommes dans les manuels scolaires et on ne retrouve que peu de contre-stéréotypes à l’intérieur de ces manuels. Par exemple, dans une série d’images séquentielles sur l’environnement de la famille, les femmes sont systématiquement représentées dans des tâches domestiques – cuisine, garde d’enfants malades… – alors que les hommes sont davantage présentés dans des activités intellectuelles, sportives et professionnelles. La socialisation primaire des élèves arrivant à l’école est-elle tellement importante que les enseignant·es ne peuvent la contrer?
Il est certain que la socialisation primaire des élèves est importante, de nombreux travaux le montrent également. En effet, il est possible de citer plusieurs exemples tel que le fait qu’un même comportement soit plus souvent qualifié de caprice lorsqu’il s’agit d’une fille que lorsqu’il s’agit d’un garçon ; le fait que la colère soit plus tolérée par les parents chez les garçons que chez les filles – alors que ces dernières sont plus encouragées à exprimer leurs autres sentiments que les garçons – ou encore le fait que les parents encouragent plus les garçons que les filles à pratiquer une activité sportive ou technologique. Au-delà de ces interactions directes envers les enfants, les membres de la famille peuvent également avoir des comportements différents au sein du foyer qui influencent les représentations des enfants. Les enfants sont en effet conscients de ces différences et peuvent percevoir dès le plus jeune âge des tâches « masculines » ou « féminines ». Les enseignant· es, sans que cela soit forcément conscient, participent-ils/elles à cette socialisation différentiée?
Les enseignants et enseignantes, que cela soit conscient ou non, participent en effet eux-mêmes à cette socialisation différenciée et peuvent même interagir avec les élèves de manière inégalitaire. Différents travaux scientifiques mettent en avant cela. En ce qui concerne la socialisation différenciée, les enseignants et les enseignantes n’utilisent pas toujours les mêmes surnoms s’ils s’adressent aux garçons ou au filles appelant par exemple les filles « ma belle » et les garçons « mon grand ». En ce qui concerne les inégalités dans les interactions, il est ici possible de citer de nombreux exemples une nouvelle fois issues de travaux scientifiques : les professeurs des écoles notent de façon plus extrême les garçons que les filles – leur donnant de moins bonnes notes pour une mauvaise copie et de meilleures notes pour une bonne copie. Il y a aussi le fait que les enseignants et enseignantes interrogent plus souvent et plus longtemps les garçons que les filles et répondent plus à leurs à leurs interventions spontanées – sans lever la main – qu’à celles des filles. J’ai également pu observer que lorsque les enseignants et les enseignantes demandent des services aux enfants de leur classe, ils demandent plutôt des services « d’accompagnement » – conduire un élève aux toilettes par exemple- aux filles et des services demandant un effort physique – déplacer une chaise par exemple – aux garçons. En quoi leur socialisation propre contribue-t-elle finalement à ce biais?
Lors d’un de mes travaux de recherche, j’ai pu observer que certains enseignants et enseignantes avaient un comportement plutôt différenciateur envers les garçons et les filles de leur classe et d’autres un comportement plutôt égalitaire. J’ai d’abord formulé l’hypothèse que cette différence pouvait s’expliquer par la formation des enseignants : que les enseignants aux interactions égalitaires étaient formés à la question de l’égalité filles – garçons alors que ceux aux interactions différenciatrices ne l’étaient pas. L’enquête a révélé que la majorité des enseignants de l’échantillon ne sont pas formés à cette thématique. Par ailleurs, l’enseignant ayant reçu une formation était étonnement celui avec les interactions les plus inégalitaires de l’échantillon. En menant un entretien avec les enseignants et les enseignantes que j’ai observés, il s’est avéré que les trois enseignantes ayant les interactions les plus égalitaires en classe sont également les enseignantes qui m’ont dit être sensibilisées pour des raisons personnelles à la thématique de l’égalité filles – garçons. Elles ont même ajouté effectuer des recherches et se documenter sur la thématique d’elles-mêmes durant leur temps libre. À l’inverse, les personnes avec les interactions les plus différenciatrices selon le sexe de leurs élèves sont des enseignantes ayant évoqué une résistance personnelle envers la thématique de l’égalité filles – garçons – ou hommes – femmes. Cela s’apparente donc bien au fait que la socialisation des enseignants a un impact direct dans leur comportement – stéréotypé ou non – en classe. Ce travail de recherche a abouti à la publication d’un ouvrage où les enseignants observés sont notamment regroupés en « groupe de profils » selon les caractéristiques observées dans leur classe et les réponses données durant l’entretien. Il a également permis de mener à l’hypothèse principale de mon travail de thèse actuel : la socialisation primaire, c’est-à-dire durant l’enfance, des enseignants pourraient avoir un impact dans les interactions envers les filles et les garçons de leur classe. Quelles pistes pour contrer ce phénomène?
Pour réduire les inégalités entre les filles et les garçons, il me semble pertinent de s’attaquer à cette thématique dès le plus jeune âge et donc dès l’école maternelle comme le rappellent les programmes : la socialisation est placée « comme l’une des compétences fondamentales à acquérir ». Si on attend l’élémentaire voire le secondaire pour s’intéresser aux différentes problématiques relatives aux inégalités entre les filles et les garçons, en plus de devoir « déconstruire » ce qui se passe hors de l’école, par exemple dans la famille, il faudra aussi déconstruire tout ce qui a été encré jusque-là dans la scolarité de l’élève et donc au sein de l’école. Le point primordial est, me semble-t-il, de ne pas véhiculer de stéréotypes : de veiller à ne pas en véhiculer soit même – par exemple, ne pas réduire le rôle parental à celui de la mère comme « Maman ne va pas être contente si tu tâches » « Je vais appeler maman si tu ne te sens pas bien », etc. – et d’essayer de s’adresser autant aux garçons qu’aux filles et de la même manière, mais aussi d’utiliser du matériel qui ne véhicule pas de stéréotype et où des contre-stéréotypes sont mêmes présents – par exemple une fille qui joue au foot, qui bricole ; un garçon qui porte du rose ou joue à la poupée. L’éducation à l’égalité filles – garçons, notamment à la maternelle, est donc un travail de tous les jours qui peut être mené de manière transversale en réfléchissant sur ses propres interactions mais aussi en utilisant un matériel pédagogique adapté. Des ateliers spécifiques pour sensibiliser les élèves à ces questions peuvent aussi être menés, mais il me semble que l’enjeu principal ne se joue pas ici mais bien dans la vie quotidienne et à tous les moments de la classe. Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« Inégalités filles-garçons à l’école maternelle. Discours, représentations et interactions en classe des professeur.es des écoles ». Edition L’Harmattan. ISBN 978-2140322167
Dylan Racana est doctorant en sciences de l’éducation à l’Université de Lyon. Il étudie la construction des inégalités de genre. Il vient de sortir le livre « Inégalités filles-garçons à l’école maternelle. Discours, représentations et interactions en classe des professeur.es des écoles ». Un ouvrage qui aborde cette question, largement étudiée, sous un nouvel angle : quelle est la place de l’enseignant·e – et donc de sa socialisation primaire – dans la construction du genre des élèves ?
L’école, la maternelle comme l’élémentaire, est censée socialiser les élèves, les accompagner indifféremment quel que soit leur genre. Est-ce le cas aujourd’hui?
Les élèves ne sont pas socialisés et accompagnés de la même manière selon leur sexe. De nombreux travaux mettent cela en avant. Ils n’occupent par exemple pas le même espace dans la cours de récréation : les garçons occupant la majorité de l’espace et les filles se contentant de l’espace restant. De plus, le matériel pédagogique n’est pas seulement un support d’apprentissage mais également un vecteur de transmissions de normes et de valeurs. Une nouvelle fois celui-ci n’est pas neutre : les femmes sont souvent moins représentées que les hommes dans les manuels scolaires et on ne retrouve que peu de contre-stéréotypes à l’intérieur de ces manuels. Par exemple, dans une série d’images séquentielles sur l’environnement de la famille, les femmes sont systématiquement représentées dans des tâches domestiques – cuisine, garde d’enfants malades… – alors que les hommes sont davantage présentés dans des activités intellectuelles, sportives et professionnelles.
La socialisation primaire des élèves arrivant à l’école est-elle tellement importante que les enseignant·es ne peuvent la contrer?
Il est certain que la socialisation primaire des élèves est importante, de nombreux travaux le montrent également. En effet, il est possible de citer plusieurs exemples tel que le fait qu’un même comportement soit plus souvent qualifié de caprice lorsqu’il s’agit d’une fille que lorsqu’il s’agit d’un garçon ; le fait que la colère soit plus tolérée par les parents chez les garçons que chez les filles – alors que ces dernières sont plus encouragées à exprimer leurs autres sentiments que les garçons – ou encore le fait que les parents encouragent plus les garçons que les filles à pratiquer une activité sportive ou technologique. Au-delà de ces interactions directes envers les enfants, les membres de la famille peuvent également avoir des comportements différents au sein du foyer qui influencent les représentations des enfants. Les enfants sont en effet conscients de ces différences et peuvent percevoir dès le plus jeune âge des tâches « masculines » ou « féminines ».
Les enseignant· es, sans que cela soit forcément conscient, participent-ils/elles à cette socialisation différentiée?
Les enseignants et enseignantes, que cela soit conscient ou non, participent en effet eux-mêmes à cette socialisation différenciée et peuvent même interagir avec les élèves de manière inégalitaire. Différents travaux scientifiques mettent en avant cela. En ce qui concerne la socialisation différenciée, les enseignants et les enseignantes n’utilisent pas toujours les mêmes surnoms s’ils s’adressent aux garçons ou au filles appelant par exemple les filles « ma belle » et les garçons « mon grand ». En ce qui concerne les inégalités dans les interactions, il est ici possible de citer de nombreux exemples une nouvelle fois issues de travaux scientifiques : les professeurs des écoles notent de façon plus extrême les garçons que les filles – leur donnant de moins bonnes notes pour une mauvaise copie et de meilleures notes pour une bonne copie. Il y a aussi le fait que les enseignants et enseignantes interrogent plus souvent et plus longtemps les garçons que les filles et répondent plus à leurs à leurs interventions spontanées – sans lever la main – qu’à celles des filles. J’ai également pu observer que lorsque les enseignants et les enseignantes demandent des services aux enfants de leur classe, ils demandent plutôt des services « d’accompagnement » – conduire un élève aux toilettes par exemple- aux filles et des services demandant un effort physique – déplacer une chaise par exemple – aux garçons.
En quoi leur socialisation propre contribue-t-elle finalement à ce biais?
Lors d’un de mes travaux de recherche, j’ai pu observer que certains enseignants et enseignantes avaient un comportement plutôt différenciateur envers les garçons et les filles de leur classe et d’autres un comportement plutôt égalitaire. J’ai d’abord formulé l’hypothèse que cette différence pouvait s’expliquer par la formation des enseignants : que les enseignants aux interactions égalitaires étaient formés à la question de l’égalité filles – garçons alors que ceux aux interactions différenciatrices ne l’étaient pas. L’enquête a révélé que la majorité des enseignants de l’échantillon ne sont pas formés à cette thématique. Par ailleurs, l’enseignant ayant reçu une formation était étonnement celui avec les interactions les plus inégalitaires de l’échantillon. En menant un entretien avec les enseignants et les enseignantes que j’ai observés, il s’est avéré que les trois enseignantes ayant les interactions les plus égalitaires en classe sont également les enseignantes qui m’ont dit être sensibilisées pour des raisons personnelles à la thématique de l’égalité filles – garçons. Elles ont même ajouté effectuer des recherches et se documenter sur la thématique d’elles-mêmes durant leur temps libre. À l’inverse, les personnes avec les interactions les plus différenciatrices selon le sexe de leurs élèves sont des enseignantes ayant évoqué une résistance personnelle envers la thématique de l’égalité filles – garçons – ou hommes – femmes. Cela s’apparente donc bien au fait que la socialisation des enseignants a un impact direct dans leur comportement – stéréotypé ou non – en classe. Ce travail de recherche a abouti à la publication d’un ouvrage où les enseignants observés sont notamment regroupés en « groupe de profils » selon les caractéristiques observées dans leur classe et les réponses données durant l’entretien. Il a également permis de mener à l’hypothèse principale de mon travail de thèse actuel : la socialisation primaire, c’est-à-dire durant l’enfance, des enseignants pourraient avoir un impact dans les interactions envers les filles et les garçons de leur classe.
Quelles pistes pour contrer ce phénomène?
Pour réduire les inégalités entre les filles et les garçons, il me semble pertinent de s’attaquer à cette thématique dès le plus jeune âge et donc dès l’école maternelle comme le rappellent les programmes : la socialisation est placée « comme l’une des compétences fondamentales à acquérir ». Si on attend l’élémentaire voire le secondaire pour s’intéresser aux différentes problématiques relatives aux inégalités entre les filles et les garçons, en plus de devoir « déconstruire » ce qui se passe hors de l’école, par exemple dans la famille, il faudra aussi déconstruire tout ce qui a été encré jusque-là dans la scolarité de l’élève et donc au sein de l’école. Le point primordial est, me semble-t-il, de ne pas véhiculer de stéréotypes : de veiller à ne pas en véhiculer soit même – par exemple, ne pas réduire le rôle parental à celui de la mère comme « Maman ne va pas être contente si tu tâches » « Je vais appeler maman si tu ne te sens pas bien », etc. – et d’essayer de s’adresser autant aux garçons qu’aux filles et de la même manière, mais aussi d’utiliser du matériel qui ne véhicule pas de stéréotype et où des contre-stéréotypes sont mêmes présents – par exemple une fille qui joue au foot, qui bricole ; un garçon qui porte du rose ou joue à la poupée. L’éducation à l’égalité filles – garçons, notamment à la maternelle, est donc un travail de tous les jours qui peut être mené de manière transversale en réfléchissant sur ses propres interactions mais aussi en utilisant un matériel pédagogique adapté. Des ateliers spécifiques pour sensibiliser les élèves à ces questions peuvent aussi être menés, mais il me semble que l’enjeu principal ne se joue pas ici mais bien dans la vie quotidienne et à tous les moments de la classe.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« Inégalités filles-garçons à l’école maternelle. Discours, représentations et interactions en classe des professeur.es des écoles ». Edition L’Harmattan. ISBN 978-2140322167
« Ce post est un relevé d’information de notre veille d’information »