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Écritures et scènes décoloniales : quelles modalités esthétiques, quels imaginaires scéniques ?Perspectives transnationales

Écritures et scènes décoloniales : quelles modalités esthétiques, quels imaginaires scéniques ?Perspectives transnationales

Collectif

Tribune des observateurs

Read More  Organisation : Pénélope Dechaufour avec les étudiant·e·s du Master 1 Théâtre et spectacle vivant  Dans le prolongement du séminaire « Désécrire et décoloniser les imaginaires sur la scène contemporaine » (P. Dechaufour org., 2022), cette journée d’études interrogera les modalités esthétiques et les imaginaires scéniques que déploient les écritures et les scènes décoloniales. Elle est organisée avec les étudiant·e·s du Master 1 Théâtre et spectacle vivant de l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Pensée depuis les problématiques soulevées par la « condition noire » (Pap Ndiaye[i]) et les gestes artistiques animés d’enjeux décoloniaux et portés par des artistes afro-contemporain·e·s ou afrodescendant·e·s dans l’espace francophone, il s’agira d’ouvrir les perspectives à d’autres territoires en invitant chercheurs et chercheuses à présenter des travaux autour de ce qui fait la spécificité d’un geste scénique décolonial, par le prisme d’une réflexion esthétique et ce à travers le monde. Une attention particulière sera portée aux espaces afro-anglophones (Afrique anglophone, Etats-Unis, Royaume-Uni) ainsi qu’à l’Amérique latine où la discipline propre des « études décoloniales » a vu le jour à l’initiative des travaux du groupe Modernité/Colonialité/Décolonialité[ii] à la fin des années 1990.
Les arts du spectacle vivant, en ce qu’ils ont contribué à construire les imaginaires coloniaux, à façonner les stéréotypes qui en découlent et qui persistent aujourd’hui (Sylvie Chalaye[iii], ACHAC[iv]), mais aussi parce qu’ils ont concrètement supporté l’entreprise coloniale (Léonor Delaunay[v]) sont particulièrement pertinents aujourd’hui pour mettre en œuvre un projet décolonial. A l’instar d’Afropea (Léonora Miano[vi]) qui se veut un « territoire culturel à inventer » (Pénélope Dechaufour[vii]) pour les artistes afrodescendants d’Europe, les écritures et scènes que l’on pourrait caractériser de « décoloniales » – ainsi que celles qui s’en réclament plus explicitement – ne s’inscrivent pas uniquement dans un projet de déconstruction ni dans une culture de l’effacement. Elles œuvrent plutôt à offrir un regard nouveau sur les récits historiques[viii], l’appréhension du sensible, l’organisation ou encore les valeurs qui prévalent dans nos sociétés contemporaines postcoloniales. De par leur inventivité, ces esthétiques renversent canons et hiérarchies établies en affirmant la portée politique et philosophique de certains gestes artistiques marginalisés comme, par exemple, le hip-hop. Certaines notions issues des sciences sociales, comme l’intersectionnalité, deviennent moteur de la création (Rébecca Chaillon, Wanjiru Kamuyu). Des expériences nouvelles voient le jour ces dernières années comme avec l’emblématique performance cuisinée Autophoagies d’Eva Doumbia. Elles déplacent nos habitudes de spectateurs·trices comme avec 30 Nuances de Noir(es), la parade afro-féministe conçue par la chorégraphe Sandra Sainte Rose Franchine, qui s’inspire des fanfares de la Nouvelle-Orléans et se situe à la croisée des esthétiques funk, disco mais aussi du locking ou du waacking, avec des costumes qui, quant à eux, nous propulsent dans l’univers afrofuturiste.
« Décoloniser », à l’échelle des arts de la scène, c’est peut-être accompagner le lecteur/spectateur pour l’aider à se départir de potentielles idées reçues, préconçues, si profondément ancrées dans les systèmes de représentations qu’elles imprègnent – même inconsciemment – les imaginaires. Bien sûr, les esthétiques de la décolonialité peuvent aussi renvoyer à des choix artistiques ou à des politiques publiques et culturelles qui, parce qu’elles font enfin une place aux artistes racisé·e·s et à leur histoire (Sylvie Chalaye[ix]) ou parce qu’elles revoient les modes de production classiques, permettent d’inverser les rapports de force séculaires qui régissent les relations entre anciennes puissances coloniales et ex nations colonisées (Caroline Guiela Nguyen). Bien qu’en France, il faille attendre le XXIe siècle pour que la pensée décoloniale se diffuse avec des initiatives comme Décoloniser les Arts[x] et dans un contexte socio-politique particulier (Stéphane Dufoix[xi]), on retrouve, dès la période des Indépendances, cette notion associée à des projets dramatiques dans l’espace francophone. On pense, notamment, à Aimé Césaire et ses « tragédies de la décolonisation » que mettra en lumière un metteur en scène comme Jean-Marie Serreau[xii]. On pense aussi à d’autres théoriciens dont les travaux ont permis aux déclinaisons artistiques contemporaines du décolonial de se forger. Par exemple, à Edouard Glissant et à la « créolisation » ou à la « poétique de la relation » : autant d’outils critiques nous permettant d’interroger les dynamiques d’un « ordre mondial en recomposition » (Nicolas Bancel[xiii]) où l’hybridité des formes et la transgénéricité des pratiques sont sources d’innovations pour mieux « sortir de la grande nuit » (Achille Mbembe[xiv]) et dire la puissance des entrelacs diasporiques.
Parmi les questions qui pourront être au cœur de cette journée d’études, on pourra se demander quels choix esthétiques opèrent les artistes pour mettre en scène la pensée décoloniale ? S’agit-il de s’emparer d’œuvres du passé, voire patrimoniale, dans une dynamique de (ré)appropriation (Une Tempête, Césaire ; Les Indes Galantes, Dembélé/Cogitore[xv] ; Swan Lake, Dada Masilo) ou plutôt d’opter pour une esthétique de la reconstitution ou du théâtre documentaire (Bérénice Hamidi-Kim[xvi]) afin de pallier les silences de l’histoire (Eva Doumbia, Alice Carré et Margaux Eskenasi) ? Quelles sont les modalités esthétiques d’œuvres qui chercheraient à déjouer les assignations identitaires (Rébecca Chaillon, Latifa Laâbissi) et à promouvoir une meilleure diversité de narration et de représentation dans les arts de la scène (Penda Diouf, Marine Bachelot Nguyen) ? Comment s’emparent-elles des structures dramatiques, par exemple, en termes spatial et scénographique ? Comment les œuvres qui permettent de faire connaître des figures importantes comme Saartjie Baartman, Nina Simone, Fela Kuti ou encore Jean-Michel Basquiat (Koffi Kwahulé, Chantal Loïal) sont-elles constitutives de ces esthétiques décoloniales ? Quelle relation à la langue s’y déploie quand certains penseurs prônent la nécessité d’une décolonisation linguistique (Ngugi wa Thiong’o[xvii]) ? De même, quelle place pour les vibrations des cultures précoloniales dans les créations contemporaines ? Quelles correspondances entretiennent-elles avec la pensée écologique (Malcom Ferdinand[xviii]) ou animiste ? Quel rapport au corps – qui porte les stigmates de l’histoire – proposent-elles à l’ère de la performance (Sylvie Chalaye & Pénélope Dechaufour[xix]) ?
Cette journée d’études souhaite donc se focaliser sur ce qui compose le geste décolonial au plateau et au sein d’une œuvre afin de mieux rendre compte des ressorts esthétiques et des singularités dramaturgiques qui en émergent par-delà les études et débats – toujours nécessaires – permettant de dénoncer les problèmes d’employabilité des artistes racisé·e·s, le manque de représentativité plurielle sur les plateaux de théâtre et dans les narrations dramatiques ainsi que les discriminations socio-professionnelles existantes (Bérénice Hamidi-Kim[xx]). Nous tâcherons de mettre au jour les enjeux esthétiques de ces poétiques retentissantes sur le plan politique. Cerner les contours des écritures et scènes décoloniales aujourd’hui devrait nous permettre de construire des outils conceptuels plus à même de dire leurs singularités et leur créativité dans l’invention de nouveaux paradigmes.  [i] Pap Ndiaye, La Condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Clamann-Lévy, 2008. [ii] Entre autres Enrique Dussel, Walter Mignolo ou encore Ramon Grosfoguel. Voir : Walter Mignolo ed., La désobéissance épistémique. Rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, (1997), Bruxelles, Peter Lang, 2015 et Ramon Grosfoguel, Claude Bourguignon-Rougier et Philippe Colin dir., Penser l’envers obscur de la modernité : une anthologie de la pensée décoloniale latino-américaine, Limoges, PULIM, 2014.[iii] Sylvie Chalaye, Race et théâtre. Un impensé politique, Arles, Actes Sud, 2020 ; Du Noir au nègre, l’image du Noir au théâtre (1550-1960), Paris, L’Harmattan, 1998. [iv] Blanchard Pascal, Bancel Nicolas, Boëtsch Gilles, Deroo Éric et Lemaire Sandrine (dirs), Zoos humains et exhibitions coloniales. 150 ans d’invention de l’Autre, Paris, La Découverte, 2011 ; Nicolas Bancel, David Thomas et Dominic Thomas, L’invention de la race. Des représentations scientifiques aux exhibitions populaires, Paris, La Découverte, 2014.[v] Léonor Delaunay, « Scènes coloniales. Folklore et exotisme dans le théâtre franco-africain des années 1930 », in Karine Bénac-Giroux dir. Poétique et politique de l’altérité. Colonialisme, esclavagisme, exotisme (XVIIIe-XXIe siècle), Paris, Classiques Garnier, 2019.  [vi] Léonora Miano, Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste, Paris, Grasset, 2020.[vii] Pénélope Dechaufour dir., « Afropea, un territoire culturel à inventer », in Africultures, N°99-100, Paris, L’Harmattan, 2015.[viii] Pénélope Dechaufour, « L’Arche décoloniale ? Nouvelles formes dramatiques, nouveaux regards sur le monde », in Florence Baillet, Nicole Colin dir., L’Arche Editeur. Le théâtre à une échelle transnationale, Aix-en-Provence, PUP, 2021, p. 251.[ix] Sylvie Chalaye dir., « Culture(s) noire(s) en France : la scène et les images », Africultures, N°92-93, Paris, L’Harmattan, 2013. [x] Françoise Vergès, Leïla Cukierman, Gerty Dambury (dir.), Décolonisons les arts ! Paris, L’Arche, 2018.[xi] Stéphane Dufoix, Décolonial, Paris, Anamosa, 2023.[xii] Léonor Delaunay et Joël Huthwohl dir., « Jean-Marie Serreau et les scènes de la décolonisation », in Revue d’Histoire du Théâtre, N°260, 2013.[xiii] Nicolas Bancel, Le postcolonialisme, Que sais-je ?, PUF, Paris, 2022.[xiv] Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2013.[xv] Pénélope Dechaufour et Marine Roussillon dir., « Baroque is burning », Thaêtre, N°6, 2022.[xvi] Bérénice Hamidi-Kim, « Art de la preuve, art du discours : le théâtre documentaire « postcolonial », œuvre d’histoire et forme-affaire », in Béatrice Picon-Vallin et Erica Magris dir., Les théâtres documentaires, Montpellier, Deuxième Époque, 2019. [xvii] Ngugi Wa Thiong’o (1986), Décoloniser l’esprit, Paris, La Fabrique, 2011.[xviii] Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Seuil, 2019.[xix] Sylvie Chalaye et Pénélope Dechaufour, « Nudité et performance décoloniale : quand la sur-exhibition du corps racisé fait voler en éclats l’éroticolonie », in Pierre Philippe-Meden et Philippe Liotard dir., dossier « Nu en scène », Corps, N°19, Paris, CNRS Editions, 2021, pp. 261-271.[xx] Bérénice Hamidi-Kim, « Des-identifications », in Décoloniser les Arts (dir.), « Voix/voies entravées. Percées émancipatrices », Tumultes, N°54, Paris, Kimé, 2020, pp. 81-91.

Programme·      Jeudi 20 avril, 20h15, Cinéma Utopia, 5 Av. du Dr Pezet (Montpellier)Projection Les Indes Galantes de Philippe Béziat en présence du réalisateur et suivie d’un échange animé par Typhaine Gerald (Master 1 TSV – Département Théâtre/UFR1).·      Vendredi 21 avril, 9h-19h30, La Baignoire, 7 rue Brueys (Montpellier)
Journée d’étude9h Introduction, Pénélope Dechaufour (UPVM3) & Bela Czuppon (Directeur de La Baignoire) 9h15-10h15 Conférence inaugurale – Pour un autre théâtre : le geste marron des poétiques décoloniales, Sylvie Chalaye (Sorbonne Nouvelle)Pause café10h30-11h30 – Session n°1 Présidence : Lola Bruyère et Alexis Saladin La nourriture comme outil de redéfinition et d’affirmation identitaires dans L’Estomac dans la peau de Rébecca Chaillon, Mélissa Bertrand (Sorbonne Nouvelle)Rhizome de plasticité : de l’écopoétique à la critique féministe décoloniale dans les œuvres des artistes Martiniquaises Annabel Guérédrat et Daniély Francique, Mickaël Caruge (Sorbonne Nouvelle)Intermède #111h30-12h30 – Session n°2Présidence : Elane Ouamrane et Ambre LentiniL’esthétique transmoderne du théâtre de Conchi León, Lîlâ Bisiaux (Toulouse 2)Discurso de promoción (Yuyachkani, 2017) : décoloniser l’Histoire en complexifiant et partageant la Mémoire, Arianna Bérénice De Sanctis (Université Côte d’Azur)Pause déjeuner14h – 15h Session n°3Présidence : Galina Safaryan et Emma VincentDecolonization is not a metaphor : la performance comme pratique décoloniale chez Kopano Maroga, Fanny Robles (Aix-Marseille Université)L’écriture théâtrale de debbie tucker green et Selina Thompson : deux esthétiques pour la scène britannique aux temps de Black Lives Matter, Marianne Drugeon et Claudine Raynaud (UPVM3)Intermède #2 15h-16h Session n°4Présidence : William Lewer et Anthony PoissonUne histoire noire du théâtre au Brésil, Rosana Correia (Université de Brasilia)In-carné. Pour une hantologie du corps noir (à propos de la recréation de O Samba do Crioulo Doido), Alix De Morant Wallon (UPVM3)Pause café 17h – Le théâtre d’Eva Doumbia, un geste afropéen et décolonial – Pénélope Dechaufour (UPVM3)Intermède #3 17h30 – Rencontre avec Eva Doumbia animée par Anna Bentoure, Una-Wendy Popou et Samuel Aubrun Intermède #4. 

Organisation : Pénélope Dechaufour avec les étudiant·e·s du Master 1 Théâtre et spectacle vivant  

Dans le prolongement du séminaire « Désécrire et décoloniser les imaginaires sur la scène contemporaine » (P. Dechaufour org., 2022), cette journée d’études interrogera les modalités esthétiques et les imaginaires scéniques que déploient les écritures et les scènes décoloniales. Elle est organisée avec les étudiant·e·s du Master 1 Théâtre et spectacle vivant de l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Pensée depuis les problématiques soulevées par la « condition noire » (Pap Ndiaye[i]) et les gestes artistiques animés d’enjeux décoloniaux et portés par des artistes afro-contemporain·e·s ou afrodescendant·e·s dans l’espace francophone, il s’agira d’ouvrir les perspectives à d’autres territoires en invitant chercheurs et chercheuses à présenter des travaux autour de ce qui fait la spécificité d’un geste scénique décolonial, par le prisme d’une réflexion esthétique et ce à travers le monde. Une attention particulière sera portée aux espaces afro-anglophones (Afrique anglophone, Etats-Unis, Royaume-Uni) ainsi qu’à l’Amérique latine où la discipline propre des « études décoloniales » a vu le jour à l’initiative des travaux du groupe Modernité/Colonialité/Décolonialité[ii] à la fin des années 1990.

Les arts du spectacle vivant, en ce qu’ils ont contribué à construire les imaginaires coloniaux, à façonner les stéréotypes qui en découlent et qui persistent aujourd’hui (Sylvie Chalaye[iii], ACHAC[iv]), mais aussi parce qu’ils ont concrètement supporté l’entreprise coloniale (Léonor Delaunay[v]) sont particulièrement pertinents aujourd’hui pour mettre en œuvre un projet décolonial. A l’instar d’Afropea (Léonora Miano[vi]) qui se veut un « territoire culturel à inventer » (Pénélope Dechaufour[vii]) pour les artistes afrodescendants d’Europe, les écritures et scènes que l’on pourrait caractériser de « décoloniales » – ainsi que celles qui s’en réclament plus explicitement – ne s’inscrivent pas uniquement dans un projet de déconstruction ni dans une culture de l’effacement. Elles œuvrent plutôt à offrir un regard nouveau sur les récits historiques[viii], l’appréhension du sensible, l’organisation ou encore les valeurs qui prévalent dans nos sociétés contemporaines postcoloniales. De par leur inventivité, ces esthétiques renversent canons et hiérarchies établies en affirmant la portée politique et philosophique de certains gestes artistiques marginalisés comme, par exemple, le hip-hop. Certaines notions issues des sciences sociales, comme l’intersectionnalité, deviennent moteur de la création (Rébecca Chaillon, Wanjiru Kamuyu). Des expériences nouvelles voient le jour ces dernières années comme avec l’emblématique performance cuisinée Autophoagies d’Eva Doumbia. Elles déplacent nos habitudes de spectateurs·trices comme avec 30 Nuances de Noir(es), la parade afro-féministe conçue par la chorégraphe Sandra Sainte Rose Franchine, qui s’inspire des fanfares de la Nouvelle-Orléans et se situe à la croisée des esthétiques funk, disco mais aussi du locking ou du waacking, avec des costumes qui, quant à eux, nous propulsent dans l’univers afrofuturiste.

« Décoloniser », à l’échelle des arts de la scène, c’est peut-être accompagner le lecteur/spectateur pour l’aider à se départir de potentielles idées reçues, préconçues, si profondément ancrées dans les systèmes de représentations qu’elles imprègnent – même inconsciemment – les imaginaires. Bien sûr, les esthétiques de la décolonialité peuvent aussi renvoyer à des choix artistiques ou à des politiques publiques et culturelles qui, parce qu’elles font enfin une place aux artistes racisé·e·s et à leur histoire (Sylvie Chalaye[ix]) ou parce qu’elles revoient les modes de production classiques, permettent d’inverser les rapports de force séculaires qui régissent les relations entre anciennes puissances coloniales et ex nations colonisées (Caroline Guiela Nguyen). Bien qu’en France, il faille attendre le XXIe siècle pour que la pensée décoloniale se diffuse avec des initiatives comme Décoloniser les Arts[x] et dans un contexte socio-politique particulier (Stéphane Dufoix[xi]), on retrouve, dès la période des Indépendances, cette notion associée à des projets dramatiques dans l’espace francophone. On pense, notamment, à Aimé Césaire et ses « tragédies de la décolonisation » que mettra en lumière un metteur en scène comme Jean-Marie Serreau[xii]. On pense aussi à d’autres théoriciens dont les travaux ont permis aux déclinaisons artistiques contemporaines du décolonial de se forger. Par exemple, à Edouard Glissant et à la « créolisation » ou à la « poétique de la relation » : autant d’outils critiques nous permettant d’interroger les dynamiques d’un « ordre mondial en recomposition » (Nicolas Bancel[xiii]) où l’hybridité des formes et la transgénéricité des pratiques sont sources d’innovations pour mieux « sortir de la grande nuit » (Achille Mbembe[xiv]) et dire la puissance des entrelacs diasporiques.

Parmi les questions qui pourront être au cœur de cette journée d’études, on pourra se demander quels choix esthétiques opèrent les artistes pour mettre en scène la pensée décoloniale ? S’agit-il de s’emparer d’œuvres du passé, voire patrimoniale, dans une dynamique de (ré)appropriation (Une Tempête, Césaire ; Les Indes Galantes, Dembélé/Cogitore[xv] ; Swan Lake, Dada Masilo) ou plutôt d’opter pour une esthétique de la reconstitution ou du théâtre documentaire (Bérénice Hamidi-Kim[xvi]) afin de pallier les silences de l’histoire (Eva Doumbia, Alice Carré et Margaux Eskenasi) ? Quelles sont les modalités esthétiques d’œuvres qui chercheraient à déjouer les assignations identitaires (Rébecca Chaillon, Latifa Laâbissi) et à promouvoir une meilleure diversité de narration et de représentation dans les arts de la scène (Penda Diouf, Marine Bachelot Nguyen) ? Comment s’emparent-elles des structures dramatiques, par exemple, en termes spatial et scénographique ? Comment les œuvres qui permettent de faire connaître des figures importantes comme Saartjie Baartman, Nina Simone, Fela Kuti ou encore Jean-Michel Basquiat (Koffi Kwahulé, Chantal Loïal) sont-elles constitutives de ces esthétiques décoloniales ? Quelle relation à la langue s’y déploie quand certains penseurs prônent la nécessité d’une décolonisation linguistique (Ngugi wa Thiong’o[xvii]) ? De même, quelle place pour les vibrations des cultures précoloniales dans les créations contemporaines ? Quelles correspondances entretiennent-elles avec la pensée écologique (Malcom Ferdinand[xviii]) ou animiste ? Quel rapport au corps – qui porte les stigmates de l’histoire – proposent-elles à l’ère de la performance (Sylvie Chalaye & Pénélope Dechaufour[xix]) ?

Cette journée d’études souhaite donc se focaliser sur ce qui compose le geste décolonial au plateau et au sein d’une œuvre afin de mieux rendre compte des ressorts esthétiques et des singularités dramaturgiques qui en émergent par-delà les études et débats – toujours nécessaires – permettant de dénoncer les problèmes d’employabilité des artistes racisé·e·s, le manque de représentativité plurielle sur les plateaux de théâtre et dans les narrations dramatiques ainsi que les discriminations socio-professionnelles existantes (Bérénice Hamidi-Kim[xx]). Nous tâcherons de mettre au jour les enjeux esthétiques de ces poétiques retentissantes sur le plan politique. Cerner les contours des écritures et scènes décoloniales aujourd’hui devrait nous permettre de construire des outils conceptuels plus à même de dire leurs singularités et leur créativité dans l’invention de nouveaux paradigmes.  [i] Pap Ndiaye, La Condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Clamann-Lévy, 2008. [ii] Entre autres Enrique Dussel, Walter Mignolo ou encore Ramon Grosfoguel. Voir : Walter Mignolo ed., La désobéissance épistémique. Rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, (1997), Bruxelles, Peter Lang, 2015 et Ramon Grosfoguel, Claude Bourguignon-Rougier et Philippe Colin dir., Penser l’envers obscur de la modernité : une anthologie de la pensée décoloniale latino-américaine, Limoges, PULIM, 2014.[iii] Sylvie Chalaye, Race et théâtre. Un impensé politique, Arles, Actes Sud, 2020 ; Du Noir au nègre, l’image du Noir au théâtre (1550-1960), Paris, L’Harmattan, 1998. [iv] Blanchard Pascal, Bancel Nicolas, Boëtsch Gilles, Deroo Éric et Lemaire Sandrine (dirs), Zoos humains et exhibitions coloniales. 150 ans d’invention de l’Autre, Paris, La Découverte, 2011 ; Nicolas Bancel, David Thomas et Dominic Thomas, L’invention de la race. Des représentations scientifiques aux exhibitions populaires, Paris, La Découverte, 2014.[v] Léonor Delaunay, « Scènes coloniales. Folklore et exotisme dans le théâtre franco-africain des années 1930 », in Karine Bénac-Giroux dir. Poétique et politique de l’altérité. Colonialisme, esclavagisme, exotisme (XVIIIe-XXIe siècle), Paris, Classiques Garnier, 2019.  [vi] Léonora Miano, Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste, Paris, Grasset, 2020.[vii] Pénélope Dechaufour dir., « Afropea, un territoire culturel à inventer », in Africultures, N°99-100, Paris, L’Harmattan, 2015.[viii] Pénélope Dechaufour, « L’Arche décoloniale ? Nouvelles formes dramatiques, nouveaux regards sur le monde », in Florence Baillet, Nicole Colin dir., L’Arche Editeur. Le théâtre à une échelle transnationale, Aix-en-Provence, PUP, 2021, p. 251.[ix] Sylvie Chalaye dir., « Culture(s) noire(s) en France : la scène et les images », Africultures, N°92-93, Paris, L’Harmattan, 2013. [x] Françoise Vergès, Leïla Cukierman, Gerty Dambury (dir.), Décolonisons les arts ! Paris, L’Arche, 2018.[xi] Stéphane Dufoix, Décolonial, Paris, Anamosa, 2023.[xii] Léonor Delaunay et Joël Huthwohl dir., « Jean-Marie Serreau et les scènes de la décolonisation », in Revue d’Histoire du Théâtre, N°260, 2013.[xiii] Nicolas Bancel, Le postcolonialisme, Que sais-je ?, PUF, Paris, 2022.[xiv] Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2013.[xv] Pénélope Dechaufour et Marine Roussillon dir., « Baroque is burning », Thaêtre, N°6, 2022.[xvi] Bérénice Hamidi-Kim, « Art de la preuve, art du discours : le théâtre documentaire « postcolonial », œuvre d’histoire et forme-affaire », in Béatrice Picon-Vallin et Erica Magris dir., Les théâtres documentaires, Montpellier, Deuxième Époque, 2019. [xvii] Ngugi Wa Thiong’o (1986), Décoloniser l’esprit, Paris, La Fabrique, 2011.[xviii] Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Seuil, 2019.[xix] Sylvie Chalaye et Pénélope Dechaufour, « Nudité et performance décoloniale : quand la sur-exhibition du corps racisé fait voler en éclats l’éroticolonie », in Pierre Philippe-Meden et Philippe Liotard dir., dossier « Nu en scène », Corps, N°19, Paris, CNRS Editions, 2021, pp. 261-271.

[xx] Bérénice Hamidi-Kim, « Des-identifications », in Décoloniser les Arts (dir.), « Voix/voies entravées. Percées émancipatrices », Tumultes, N°54, Paris, Kimé, 2020, pp. 81-91.

Programme·      Jeudi 20 avril, 20h15, Cinéma Utopia, 5 Av. du Dr Pezet (Montpellier)

Projection Les Indes Galantes de Philippe Béziat en présence du réalisateur et suivie d’un échange animé par Typhaine Gerald (Master 1 TSV – Département Théâtre/UFR1).

·      Vendredi 21 avril, 9h-19h30, La Baignoire, 7 rue Brueys (Montpellier)

Journée d’étude9h Introduction, Pénélope Dechaufour (UPVM3) & Bela Czuppon (Directeur de La Baignoire) 9h15-10h15 Conférence inaugurale – Pour un autre théâtre : le geste marron des poétiques décoloniales, Sylvie Chalaye (Sorbonne Nouvelle)Pause café10h30-11h30 – Session n°1 Présidence : Lola Bruyère et Alexis Saladin La nourriture comme outil de redéfinition et d’affirmation identitaires dans L’Estomac dans la peau de Rébecca Chaillon, Mélissa Bertrand (Sorbonne Nouvelle)Rhizome de plasticité : de l’écopoétique à la critique féministe décoloniale dans les œuvres des artistes Martiniquaises Annabel Guérédrat et Daniély Francique, Mickaël Caruge (Sorbonne Nouvelle)Intermède #111h30-12h30 – Session n°2Présidence : Elane Ouamrane et Ambre LentiniL’esthétique transmoderne du théâtre de Conchi León, Lîlâ Bisiaux (Toulouse 2)Discurso de promoción (Yuyachkani, 2017) : décoloniser l’Histoire en complexifiant et partageant la Mémoire, Arianna Bérénice De Sanctis (Université Côte d’Azur)Pause déjeuner14h – 15h Session n°3Présidence : Galina Safaryan et Emma VincentDecolonization is not a metaphor : la performance comme pratique décoloniale chez Kopano Maroga, Fanny Robles (Aix-Marseille Université)L’écriture théâtrale de debbie tucker green et Selina Thompson : deux esthétiques pour la scène britannique aux temps de Black Lives Matter, Marianne Drugeon et Claudine Raynaud (UPVM3)Intermède #2 15h-16h Session n°4Présidence : William Lewer et Anthony PoissonUne histoire noire du théâtre au Brésil, Rosana Correia (Université de Brasilia)In-carné. Pour une hantologie du corps noir (à propos de la recréation de O Samba do Crioulo Doido), Alix De Morant Wallon (UPVM3)Pause café 17h – Le théâtre d’Eva Doumbia, un geste afropéen et décolonial – Pénélope Dechaufour (UPVM3)Intermède #3 17h30 – Rencontre avec Eva Doumbia animée par Anna Bentoure, Una-Wendy Popou et Samuel Aubrun 

Intermède #4.

 

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