[par Xavier-Laurent SALVADOR]
L’affaire de l’IEP de Grenoble révèle au grand jour la série de mensonges qui entoure la vie dans l’Enseignement Supérieur aujourd’hui. On a beaucoup menti depuis des années: on a menti en continuant de faire croire que l’Université était le lieu de la reconnaissance intellectuelle du mérite et de l’intelligence. On voit aujourd’hui la misère dans laquelle l’Institution, partout sur le territoire, se débat face à une série de missions qui lui ont été assignées et pour lesquelles elle n’a pas les moyens de la réussite. La jeunesse afflue sur les campus (plus de 80% d’une classe d’âge), les voies de sélections se sont démultipliées. Les Universités, les Instituts, les classes préparatoires, les grandes écoles sont lancées dans une concurrence folle pour la certification diplômante. Et dans ce contexte, notamment en Sciences Humaines, les représentations des modes de recherche et de leurs objectifs sont également entrés en concurrence: qu’y a-t-il de commun entre une thèse en philologie romane qui ne prétend qu’enrichir la recherche fondamentale et aider à appréhender la réalité de la langue; et une thèse récemment inscrite à l’EHESS sur « la laïcité et le genre: la promotion d’un ordre sexuel à l’école en France » ? L’une des deux prétend changer le monde, l’autre pas. L’une des deux est un militantisme engagé, l’autre pas.
Dès lors que la science entre dans le jeu politique et prétend en être la base, il y a un biais qui se construit. Il n’existe peut être pas de recherche neutre, sans doute on peut être de droite et biologiste, il y a – dit-on – une manière de droite et de gauche d’enseigner la Littérature. Mais l’enjeu de la discipline reste disciplinaire. Cet enjeu, c’est la construction de connaissances et la mise en place d’outils pour appréhender des phénomènes. Il ne s’agit pas de simplement « donner son avis », lequel est lui-même historiquement situé et relatif. On peut enseigner un point de vue Baudelaire : on change le regard de la société sur Baudelaire. Mais on ne change ni la Nation, ni le peuple. Car le seul endroit pour changer la cité qui ait une légitimité: c’est l’agora, et son antichambre, l’isoloir.
Il n »est donc pas étonnant que les relations entre chercheurs, dans un contexte où l’on encourage toujours plus au décloisonnement et à l’interdisciplinarité tout en laissant entrevoir que la frontière entre l’amphi et la tribune d’opinion s’effondre, entrent dans une conflictualité toujours plus grande non pas au sujet des enjeux fondamentaux de la recherche ou de son évaluation, mais bien pour des enjeux politiques.
Dans le cas de l’affaire de l’IEP, donc, l’administration veut organiser une journée pour lutter contre le « racisme ». Soit. On voit avec quelle légèreté ces décisions sont prises, laissées au gré des appréciations de comités théodules qui s’agrègent et se redimensionnent en fonction des affinités électives des uns et des autres. Qui aurait pu songer que les membres du comité organisateur d’un événement anodin et bénévole pourraient accuser l’un des leurs de racisme ? N’y a-t-il pas déjà là un événement qui interpelle le bon sens ? Et surtout, ne voit-on pas d’emblée que la surréaction du camp des révoltés professionnels montre l’hyper-politisation du sujet et la manipulation dont il est question ?
Allons: au titre « Racisme, islamophobie et antisémitisme » un collègue suggère simplement … d’écrire « Racisme, antisémitisme et autres discriminations (islamophobie, etc.) » et cela suffit à déclencher la folie à laquelle nous avons tous assisté ces derniers jours ? Quel est l’enjeu: fallait-il « qu’islamophobie » arrivât avant « antisémitisme » ? De quelles abjections victimaires la syntaxe est-elle en réalité le masque ? Rappelons les manipulations constantes dont le mot « islamophobie » est l’objet : feu le CCIF (?) a fédéré les bonnes volontés naïves pendant des années avant d’être reconnu comme foyer d’intégrisme.
Les masques tombent, et l’on voit aujourd’hui au grand jour ce que nous vivons depuis des années: la montée d’une intolérance, fondée sur une représentation biaisée de l’Université et de son rôle supposément sociétal, portée par des chercheurs dont parfois toute la carrière se résume à avoir été étudiant puis aussitôt recruté « Chercheur » – sans rien connaître du secondaire, ou des métiers en dehors de la fonction publique. On voit aujourd’hui de quel côté est la dénonciation, la calomnie, la pratique du « blacklisting »… Il faut lire ceux qui nous attaquent: ils nous imputent leurs pratiques.
L’affaire de l’IEP, l’inertie des collègues à réagir, l’absence de réaction des Institutions laisse un goût amer. Même chose pour les partis de gauche qui détournent ostensiblement la tête pour ne pas avoir à se prononcer sur des questions qui sont pourtant au coeur des enjeux de la démocratie et de la République de demain. Nous en reparlerons.